Idées prussienne, destin allemand


Archives, 1982
Gérard Nances & Robert Steuckers

IDÉE PRUSSIENNE, DESTIN ALLEMAND

Que fut l'idée prussienne ? Elle fut tout d'abord une certaine conception de l'État ; une des rares mani­festations historiques, après la chute de Rome, où l'État s'est affirmé essentiellement comme l'expression d'une volonté. Volonté d'exister malgré des données historiques et géographiques défavorables, mal­gré un voisinage politique absolument hostile. Volonté de s'accroître, d'accéder au premier rang et de s'y main­tenir. Cette volonté s'exprimait dans et par cet État qui trouvait ainsi en lui-même sa propre justification. Lors d'un récent débat télévisé sur la Prusse, un journaliste allemand, de toute évidence hostile à cette “idée”, s'est écrié : « Au fond, la Prusse n'avait aucune raison d'exister ». Il ne croyait pas si bien dire ! La Prusse n'avait en effet aucune raison d'exister. Elle n'a jamais trouvé la “justification” de son existence que dans sa volonté d'y parvenir. Son destin prit la forme de cette volonté implacable, et tout le reste fut donné de surcroît. Aucun héritage, aucun mythe, aucune nation préexistante, aucune particularité religieuse ni aucune “frontière natu­relle”, rien ne pouvait susciter une semblable volonté. Celle-ci a dû trouver sa raison d'être en elle-même. Et l'État, qui en était l'expression, ne pouvait logiquement que devenir une fin en soi. D'où cette pugnacité ins­tinctive, qui, encore une fois, n'est pas sans rappeler celle de Rome. Aucun étatisme pourtant dans cet État prussien, qui déléguait volontiers à des instances subordonnées le soin de la gestion publique, mais qui, pour l'essentiel, c'est-à-dire la pérennité de son destin, ne supportait aucun partage politique.

La Prusse a été au XVIIIe siècle la plus jeune des puissances européennes. La configuration physique de son territoire la rapprochait de la Russie ; par la Réforme, elle était liée à l'Angleterre, à la Suède et à la Hol­lande ; par la langue, elle était proche de l'Autriche ; par la présence, sur son territoire, d'émigrés huguenots et par d'indéniables affinités spirituelles, elle pouvait se prévaloir de liens concrets avec la France. Cet État prussien représentait toutefois un défi, parce que le territoire qu'il administrait se situait au milieu d'une Europe partagée entre quelques grandes puissances. Condamné à faire la guerre, cet État devait obéir aux lois de la géostratégie pour achever sa construction : sa suivie s'avérait impossible aussi longtemps que ses territoires res­taient dispersés.

La Prusse a été obligée, de par les circonstances géographiques, de ne vouloir que le possible, mais tout le possi­ble. Pour l'Allemagne, cet État devenait ainsi une sorte de mauvaise conscience ; désormais, il y avait une force qui obligeait à la décision, à la prise de position nette et claire. La Prusse exigeait qu'on fût prêt à faire quelque chose de soi. La mission historique de la Prusse fut de faire du rêve médiéval gibelin une réalité politique et militaire, même si, ce faisant, elle a réduit à néant le vieux “Reich” qui n'avait plus d'autre existence que juridi­que. On peut donc parler d'une renaissance territorialement inconsciente et imparfaite, mais spirituellement renforcée de l'éthique et de l'esprit gibelins.

En outre, la Prusse représenta une révolution. Une révolution que les Allemands n'ont peut-être jamais parfai­tement comprise. Une révolution ne se caractérise pas principalement, en effet, par la violence ou par l'émeute, mais par un changement des perspectives. Ce qui est essentiel à une révolution est moins l'effondrement d'un type de gouvernement et son remplacement par un autre que le changement d'attitude et de foi. Le mythe d'une époque disparaît : ainsi, les révolutions anglaise et française ont pulvérisé le mythe de la monarchie, la révolu­tion prussienne a dépassé celui de l'Empire, d'un Empire devenu une simple formule juridique, un élément dans la stratégie dynastique des Habsbourgs, héritiers du parti guelfe. Parler de “révolution prussienne”, c'est employer un langage qui n'est pas usuel. Pourtant, cette révolution que l'historiographie officielle ne semble pas perce­voir, en est bien une. Elle rejette définitivement un passé révolu : sous son impulsion, la nature du pouvoir reçoit un sens nouveau, les mentalités adoptent de nouvelles perspectives. Cette révolution ne s'est pas faite avec bruit, ne s'est annoncée dans aucun programme ; elle s'est implicitement réalisée sous le feu des artilleries étrangères, pendant les guerres du XVIIIe siècle : Elle fut aussi moins sociale que territoriale, et dans les terri­toires où son esprit s'est implanté, elle a façonné la mentalité allemande plus profondément encore que la Réforme. Cette action en profondeur, elle la doit au fait de n'avoir produit ni une caste (bien que celle des Junker ait eu une grande importance) ni un parti, et de n'avoir favorisé aucunement les ambitions d'une famille. Son mérite est d'avoir forgé un État. L'instauration progressive de cet État marque le refus révolutionnaire d'un Empire devenu guelfe. Le contenu de cette révolution, au caractère résolument affirmateur, ce fut, pour les hommes qui y participèrent, une manière très précise d'être en forme, spirituellement et politiquement. On décidera désor­mais de devenir prussien, de servir une idée d'État. Louis XIV disait : « L'État, c'est moi ». Frédéric de Prusse disait au contraire : « Je suis le premier serviteur (Hausknecht) de l'État ». Une telle attitude n'a pas épargné une révolution ; elle fut une véritable révolution.

Sur les terre ingrates situées à l'Est de l'Elbe, la clarté que voulait promouvoir la philosophie des Lumières, n'a pas dévié vers l'orgueil individualiste, mais vers un type de vertu objective (Sachlichkeit) et vers un refus de prendre ses propres sentiments en considération. Ce refus de toute sentimentalité, cet esprit de “raison d'État” qui a dominé intellectuellement l'Europe, s'est incarné concrètement en Prusse. La raison prussienne rassemble toutes les forces de la nation au nom d'une idée de l'État, et d'un programme à réaliser. Ce programme est, en fin de compte, le seul souverain : intangible et impersonnel, les rois et les sujets ont pour devoir de le servir. Un tel objectif paraît, à première vue, rébarbatif ; il éveille pourtant un sentiment qui, tout en n'étant pas de la sympathie, est plus puissant que la sympathie. L'humaniste Frédéric le Grand a consacré son existence à une raison d'État dans laquelle, écrivait-il, il ne voyait rien de sacré.

La rudesse de la raison politique séparait la Prusse des charmes de l'empire austro-hongrois, de l'élégance saxonne et de la “naturalité” (Urwüchsigkeit) bavaroise. On pourrait même dire que la Prusse n'avait aucune qualité qui soulevât un quelconque enthousiasme. Elle rebutait plutôt, mais on la respectait. Le philologue silésien Arno Lubo, que cite Sebastian Haffner (Preussen ohne Legende, Wilhelm Goldmann, München, 1981), décrit ce que fut la Prusse dans les 30 dernières années du XVIIIe siècle. C'était un État où régnaient la discipline et le militarisme, où les fonctionnaires et l'administration étaient efficaces, l'aristocratie loyale, l'appareil juri­dique incorruptible et marqué par l'esprit des Lumières ; de plus, les mentalités étaient formées tout à la fois par un puritanisme calviniste qui imposait le renoncement et par une libre-pensée née de la pluralité des confes­sions religieuses pratiquées par les populations vivant sur le territoire du royaume. Pour Arno Lubo, l'essentiel de ce conglomérat résidait à l'origine dans sa pluralité : c'est pourquoi il lui fallait impérativement énoncer des maximes formatrices d'État. C'était, pour lui, la seule façon de survivre. En assignant à chacun une mis­sion, l'État prussien peut garantir à chaque sujet le progrès économique, social et culturel, sur la base d'une volonté générale de prestation. Refuser toute prestation, c'est explicitement mettre l'existence de l'État en dan­ger. Mais l'exigence absolue de servir ne signifie pas, en dépit du mot de Mirabeau, que la Prusse ait été « une armée qui possédait un État ». La saine gestion financière, économique et démographique contribuait égale­ment à l'intégration du corps social.

L'aspect très militaire de cet État, que les historiens ont principalement retenu, est dû au fait que c'est la Prusse qui a tiré les conclusions les plus rigoureuses des bouleversements qu'a connus l'art militaire, dans tous les pays européens, après la paix de Westphalie (1648). Ce bouleversement a consisté en une étatisation de la chose mili­taire. Auparavant, les États ne possédaient guère d'armées permanentes, si ce n'est quelques milices (les maré­chaussées) et les gardes royales. Les armées étaient en fait des entreprises privées, qui se louaient au souverain le plus offrant et qui, souvent, n'était jamais intégralement payées. Ce système obligeait les bandes armées à vivre sur le pays conquis, entraînant parfois des catastrophes économiques de longue durée. Pour remédier à cette situation, la Prusse fut amenée à mettre sur pied de puissantes organisations logistiques, ce qui entraîna le renforcement de la discipline. Le militarisme prussien, dans l'Europe du XVIIIe, n'avait donc rien de bien particulier, si ce n'est trois choses qui lui étaient spécifiques : la quantité de soldats entretenus par l'armée, leur qualité militaire et leur composition sociale.

Cette impressionnante quantité de soldats exigeait une sobriété spartiate à l'égard des autres dépenses publi­ques ; quatre cinquièmes des revenus de l'État se voyaient consacrés à l'armée. Cette manière de concevoir les choses impliquait un choix : la Prusse s'est donc décidée pour le “réel” (selon l'expression de Frédéric le Grand) et pour la puissance contre le “luxe” et la splendeur. Malgré sa parcimonie, la Prusse fut l'État où l'impôt était le plus élevé et où, de ce fait, les fonctionnaires étaient les plus nombreux et les mieux organisés. Mais les lourdes charges financières imposées aux habitants n'étaient pas administrées arbitrairement ; l'État pro­mouvait la construction des manufactures et des filatures, fondait des banques et entreprenait l'assèchement des marais. Cette politique, très moderne pour l'époque, créait emplois et subsistance, tout en étant accessoire­ment (et accessoirement seulement) philanthropique. Cette philanthropie accessoire déterminait aussi la politi­que d'immigration xénophile : huguenots, protestants de Salzbourg, vaudois, mennonites, presbytériens écos­sais, juifs, trouvèrent en Prusse une nouvelle patrie. Tous pouvaient parler leur langue, cultiver les valeurs reli­gieuses de leur choix et vivre à leur façon. Les plus hautes fonctions leur étaient très rapidement accessibles. Les quelques millions de Polonais qui, après les conquêtes territoriales du XVIIIe siècle, étaient devenus Prussiens n'eurent à subir aucune politique de germanisation forcée, comme ce fut le cas quelques décennies plus tard. Une telle libéralité provenait du fait que la Prusse n'était pas un “État national” et ne souhaitait pas l'être ; son objectif était d'être un “État de raison”. La philanthropie n'y avait donc rien de sentimental, elle n'était qu'un moyen au service de la raison d'État.

La noblesse prussienne fut très différente des noblesses française, autrichienne ou polonaise ; elle n'était pas urbaine ou courtisane, mais paysanne. La noblesse allemande non prussienne lui attribuait le sobriquet de Kraut­junker (de Kraut, “herbes, légumes”). Ce caractère avait pourtant l'avantage de créer une parfaite symbiose entre Junker et paysans. Le Junker n'était pas un “exploiteur” lointain et anonyme, mais un gestionnaire que l'on connaissait personnellement. Cette symbiose sociale, inattendue dans l'Europe du XVIIIe siècle, est peut-­être le véritable secret de la puissance militaire prussienne. Les paysans-soldats marchaient derrière leurs chefs sans l'enthousiasme patriotique que l'Europe allait connaître après la Révolution française. On n'exigeait d'eux qu'un inébranlable sens du devoir. La devise suum cuique pourrait fort bien se traduire par “à chacun selon son devoir”.

L'affirmation constante d'un type humain

Sebastian Haffner parle des trois indifférences majeures de la mentalité prussienne : l'indifférence confession­nelle, l'indifférence nationale et l'indifférence sociale. Les libéraux d'aujourd'hui admireront la première, dou­teront de la seconde et s'horrifieront de la troisième. Pourtant, ce qui, aux yeux des hommes du XXe siècle, apparaîtra comme la plus élémentaire des libertés, la liberté religieuse, représentait, au XVIIe et au début du XVIIIe siècle, une contrainte encore plus dure que les servitudes militaires, la lourdeur du système fiscal ou la domination féodale. Plus tard, à la fin du siècle des Lumières, quand les religions auront perdu leur force d'attraction, le sens du devoir vis-à-vis de l'État allait devenir plus puissant que la responsabilité individuelle devant Dieu. Comment expliquer l'instauration de cette sobre et rude religion politique ? Comment les vertus de la Rome la plus ancienne ont-elles pu renaître dans cette région du Nord-Est européen, qui ne fut jamais soumise aux aigles des Césars ? Sebastian Haffner nous rappelle la persistance d'une religiosité populaire balto­-germano-slave dans ces pays si tardivement christianisés. Très peu de temps après avoir adopté le catholicisme, les Prussiens se rallièrent à la Réforme. Devenus protestants, on leur imposa une tolérance religieuse qui relati­visa leurs convictions luthériennes. Un vide se créa alors, qui fut rempli par l'éthique étatique ou la religion du devoir. Celle-ci procurait une sorte de satisfaction esthétique pour l'État. Comme la Prusse n'existait en vertu d'aucune nécessité, on peut estimer que sa nature était essentiellement idéelle, qu'elle correspondait à l'Esprit en marche dans l'Histoire. Sa réalisation constitue ainsi l'arrière-plan historique de l'idéalisme alle­mand et, partant, de la philosophie hégélienne du politique.

Mais cette conception de la vie a elle-même des racines très anciennes. Deux historiens, Hans-Joachim Schoeps (Preussen : Geschichte eines Staates, Ullstein, Berlin, 1966-1980) et le Britannique Francis L. Carsten (Die Ent­stehung Preussens, Ullstein, Berlin, 1981), ont souligné l'importance de la fondation de la Prusse par les Che­valiers teutoniques de Hermann von Salza. L'Ordre teutonique fut l'instance administrative de cette région au Moyen Âge. Il répartissait les colons allemands dans les zones où cela s'avérait le plus nécessaire. L'Ordre avait ses propres fonctionnaires, qui anticipaient déjà la future gestion prussienne. Une certaine rationalité était de mise dans cette zone de colonisation, ce qui constituait un contraste flagrant avec les principautés voisines. La noblesse propriétaire de terres jouait un rôle moins prépondérant que dans le reste de l'Europe ; la Prusse était peuplée de paysans libres, de petits propriétaires d'origine allemande ou prussienne. Ainsi, la majeure partie de la population se trouvait immédiatement placée sous l'autorité du seigneur politique et non sous celle d'un propriétaire terrien privé.

Hans-Joachim Schoeps mentionne un autre trait idéologique, dont toute étude sur la mentalité prussienne doit tenir compte : l'amalgame opéré entre la tendance religieuse piétiste et l'esprit des “casernes”. Le piétisme postulait une éthique sociale, et la volonté réformatrice qui le caractérisait n'avait rien d'irénique ; sa sobriété et sa rudesse prédisposaient ce mouvement protestant à devenir une religion pour “fonctionnaire”. Cette idéolo­gie piétiste de solidarité est une des racines de ce que Spengler, au XXe siècle, appellera le prussianisme. Il faut y ajouter d'autres idéologèmes, comme le calvinisme de la maison régnante, ou les idéaux néo-stoïciens importés de Hollande. Dans les règlements militaires, au début de l'histoire prussienne, on trouvera d'ailleurs, revenant de manière récurrente, les doctrines héritées de la Stoa, selon lesquelles la raison est en lutte perpé­tuelle contre les passions. L'officier devra d'abord être le maître de ses émotions. Plus tard, le Corpus juris militaris de JC. Lünig, enseigné dans les écoles d'officiers, recommandera la lecture des ouvrages de Sénèque, de Cicéron et d'Épictète. Les vertus antiques de patientia et de constantia furent ainsi les “formes” païennes ressuscitées par l'idéologie, au départ très chrétienne, des piétistes.

L'idée prussienne, c'est encore l'affirmation d'un type humain précis, exclusivement mis au service de l'État. Ce type humain ne pouvait s'affirmer, sur le plan éthique, que par ce genre d'État et, en retour, ce même État engendrait, favorisait ce type d'hommes. Le Prussien, au sens le plus élevé du terme, comme le civis romanus, n'avait pas à se faire violence. Il n'était, par l'exercice de ses qualités, ni en dehors ni contre son monde. Il en était l'incarnation. Il représentait l'État, quelle que fût sa position sociale. La qualité de Prussien n'a jamais été ainsi une exigence morale et individuelle, mais bien l'affirmation d'un type au sein d'une communauté don­née. A. de Benoist a énuméré ici même ces vertus “romaines” de la Prusse : « la clarté, la froideur du juge­ment, l'impersonnalité active, l'objectivité, la renonciation à tout enthousiasme romantique irraisonné, l'auto­discipline, l'austérité. À l'esprit allemand traditionnel, marqué par la persistance du rêve romantique médiéval, il (le Prussien) oppose la Sachlichkeit, l'aptitude à reconnaître ce qui est factuel » (Nouvelle école, 35, 1980, 49). Pour compléter ce tableau, il faudrait encore mentionner une certaine forme d'abnégation, sans pathétique et de tous les instants, ainsi que le refus des compromis pratiques. On peut véritablement parler d'une sorte d'ascétisme du caractère, de l'acceptation volontaire et silencieuse d'une règle qui finit par donner une liberté intérieure. Preussisch ist Entsagung : cette formule revient souvent sous la plume d'Oswald Spengler. Enfin, l'esprit prussien se caractérise par un sentiment foncièrement tragique de la vie, fondé sur la certitude que ce monde, entièrement bâti sur la volonté, disparaîtra le jour où celle-ci fera défaut. Le néant est probablement au bout de toute chose, mais ce n'est pas une raison pour accepter la fatalité ni pour se retirer du monde. D'où une volonté redoublée d'imprimer sur le monde une marque encore plus profonde.

L'unité allemande née de la guerre contre la France en 1870, grâce aux efforts de Bismarck et du roi de Prusse, a-t-elle représenté une extension politique du système prussien ? C'est une question que se posent les historiens allemands d'aujourd'hui. Leur réponse est négative. La fondation, à Versailles, dans la Galerie des Glaces, du deuxième Reich n'a pas “prussianisé” l'Allemagne. Le vieux roi Guillaume Ier, le jour qui précédait la céré­monie de Versailles, fondit en larmes et s'écria : « Demain sera le jour le plus infortuné de mon existence ! On enterrera la monarchie prussienne ! » Pour Sebastian Haffner et Wolfgang Vehnor, les victoires de Metz et de Sedan marquent en effet le triomphe de la bourgeoisie allemande et constituent le prélude de la Première Guerre mondiale, durant laquelle cette même bourgeoisie allait se heurter aux intérêts tout aussi strictement matériels des bourgeoisies anglaise, française et américaine.

1870 fut donc, pour la Prusse, l'année d'une victoire tragique. Le destin voulut en effet que cette éclatante victoire fût la cause première des grands conflits à l'issue desquels la Prusse allait disparaître. La fondation du deuxième Reich intégra la Prusse à un monde allemand où elle n'avait pas que des amis. Ses valeurs y furent soit édulcorées, soit, au contraire, exaspérées et faussées par les résistances d'une autre sensibilité allemande. Plus grave encore fut la rupture avec la France, nation avec laquelle la Prusse avait infiniment plus d'affinités que l'on ne veut bien le dire. Au regard de l'évolution historique, on peut penser en effet que l'alliance de l'es­prit français et de la volonté prussienne aurait pu être une bénédiction pour l'Europe. Ce qui manquait à l'une, était exactement ce que possédait l'autre. La complémentarité était exemplaire. Mais les événements devaient aller dans un tout autre sens...

Après 1870, l'Allemagne fut réorganisée en de plus grands ensembles. La Kleinstaaterei — division en petits États — prit fin et laissa la place à un monde “bipolaire” : au Nord, la Prusse (qui avait pris de l'extension à l'Est et à l'Ouest) et la Saxe ; au Sud, le Bade-Würtemberg et la Bavière, dont les attaches culturelles avec l'Autriche étaient plus qu'évidentes et l'adhésion au nouvel ensemble assez réticente. Le Nord l'emportait dans tous les domaines de direction : économique, militaire, démographique et politique. Das Preussentum était un principe d'État, une idée directrice et une éthique. C'était un mythe mobilisateur et unificateur. Au Sud, en Bavière, se manifestaient la part romantique de l'Allemagne, une sensibilité particulière, des coutumes, un art de vivre tournés plutôt vers la patrie charnelle que vers la communauté nationale ; en d'autres termes, une inci­tation à la résistance contre l'unité. 

La Prusse face aux systèmes idéologiques dominants

En 1945, les Alliés décrétèrent la dissolution juridique de la Prusse. Mais à cette date, la Prusse avait déjà reçu plusieurs coups mortels. Entre 1914 et 1918, la quasi-totalité de son aristocratie était tombée sur les champs de bataille. Son existence, dès lors, ne connut plus qu'un épilogue administratif et juridique. Les conflits de la République de Weimar, la crise économique de 1929 et les douze années du régime national-socialiste ont longtemps caché cette évidence.

Le visage de l'Allemagne a radicalement changé au cours de ces dernières décennies. D'aucuns s'imaginent, bien à tort, que la RFA a reconstitué, à sa façon, la bipolarisation Nord-Sud des temps passés. En fait, le centre de gravité a glissé vers le Sud. L'après-1945 peut être considéré comme un retour en force de ce qui avait été vaincu à Sadowa en 1866, lors de la victoire des armées prussiennes sur les troupes austro-hongroises, dans une guerre où la diplomatie vaticane avait déjà joué un rôle considérable, avec l'intention de “récupérer” les territoires septentrionaux allemands perdus depuis la Réforme. Cette stratégie impliquait l'élimination de la Prusse en tant que seule grande puissance militaire “protestante”. Aujourd'hui, la configuration politique cor­respond, grosso modo, aux intentions austro-hongroises (habsbourgeoises) et vaticanes de la seconde moitié du XIXe siècle. Territorialement parlant, la majeure partie de l'ancienne Prusse se trouve désormais en Alle­magne centrale, tandis que la partie occidentale a été morcelée en Länder. D'autre part, le politique a été réduit en RFA à sa plus simple expression. L'État est conçu à Bonn essentiellement comme un appareil de représenta­tion et de gestion. Là où la décision purement politique est inévitable, on insiste pour ne jamais la laisser à une seule instance : le fédéralisme, s'il tient compte des particularités régionales et évite la “concentration” du pouvoir, tend aussi à diminuer le caractère de puissance de toute décision.

Une concrétisation sérieuse de l'idée prussienne dans le monde politique de la RFA se heurterait d'ailleurs à l'importance prise par la Bavière et à tout ce qu'elle symbolise. Cette importance est d'abord territoriale : la Bavière est le plus grand Land, et ses dirigeants ont su exploiter à fond le système fédéral. Gouvernée par la démocratie chrétienne (60 % de l'électorat), elle soutient avec vigueur une position “régionaliste”. Cette affir­mation du régionalisme bavarois est souvent d'autant mieux acceptée qu'elle représente une garantie contre un pouvoir trop puissant. Les souhaits des Alliés, de l'Amérique en particulier, s'exercent dans le même sens, tout comme ceux du Vatican, qui tient avec la Bavière l'un de ses plus solides bastions européens. On ne saurait donc parler d'une renaissance politique de l'idée prussienne en RFA : l'univers mental créé par la société mar­chande suffirait, à lui seul, à rendre l'entreprise impraticable.

Le débat sur la Prusse se situe ailleurs. Il se manifeste sur le plan culturel. Le peuple allemand semble, par des voies détournées, parfois inconscientes, reprendre possession de son passé. Et cette redécouverte entraîne tout naturellement des révisions gênantes pour les systèmes idéologiques dominants. La statue équestre de Fré­déric II a retrouvé sa place à Berlin-Est. L'“autre” Allemagne semble, elle aussi, reprendre en charge son passé. On parle d'ailleurs, depuis longtemps, de la “Prusse rouge”. À ce propos, il convient pourtant d'éviter 2 erreurs d'interprétation. La première, pur produit de l'idéologie atlantiste, considère la division de l'Allemagne comme un fait irréversible et, somme toute, profitable. Elle conduit à opposer une “bonne Allemagne” (celle “de l'Ouest”, rhénane et bavaroise) à une “mauvaise” (celle “de l'Est”, essentiellement prussienne). La deuxième tend à voir dans la RDA, l'image, cette fois positive, d'une nouvelle Sparte, inaccessible à la décadence occi­dentale, où l'idéologie communiste ne constituerait qu'un vernis superficiel. La première interprétation con­forte le système de Yalta. La seconde en sous-estime gravement les effets. Dans les 2 cas, on parle du “mili­tarisme prussien”, soit pour le condamner, soit pour le louer. Mais en réalité, le véritable “militarisme” prus­sien n'impliquait nullement l'encasernement général, ni une mentalité frénétiquement belliciste. C'était bien plutôt la volonté de faire prévaloir, par le moyen de l'éducation et de l'exemple militaire, un certain type humain se reconnaissant dans une “conception guerrière de la vie”. Le prussiannisme était avant tout une vision du monde et une éthique. Il n'y a rien de semblable dans le régime actuel de la RDA, qui se borne à exploiter, en raison de leur efficacité sociale, certaines qualités prussiennes : le sens de l'organisation, la discipline, l'hor­reur du verbiage, la prédilection pour l'action, l'exactitude, la fidélité envers l'État, etc.

En fait, l'important, en Allemagne centrale, n'est pas ce qui subsiste d'un ordre ancien, mais plutôt ce qui, dans les rapports de forces du monde est-européen, va pouvoir entraîner un accroissement de puissance politi­que. Un renouveau “prussien” passerait alors, non par la réapparition de certaines traditions, mais par le fait même que cette partie de l'Allemagne puisse à nouveau jouer un rôle. Le passage de l'état de dépendance totale à celui d'une puissance avec laquelle il faudrait compter, tel serait le trait dominant de la situation nouvelle. Ce n'est pas les casques à pointe qui réapparaîtraient au son du Preussens Gloria, mais la logique de Clausewitz.

Pendant longtemps, après la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques, croyant à la réunification possible de l'Allemagne, ont tenté de la prévenir en proposant une solution neutraliste. La RDA était alors, pour eux, une structure provisoire et une monnaie d'échange. Les dirigeants de Pankow étaient invités à se démarquer (Abgren­zungspolitik) au maximum de l'Allemagne fédérale. Mais aujourd'hui, l'Allemagne centrale a acquis une impor­tance plus grande au fur et à mesure que les difficultés ont surgi dans le bloc de l'Est. En outre, la RDA pré­sente (fait presque incroyable dans le monde communiste) une économie qui fonctionne ! Et si les Soviétiques n'y effectuaient pas de lourdes ponctions, ce pays pourrait constituer une force économique non négligeable. La RDA n'échappe pas, évidemment, aux tares de l'économie collectiviste, mais celles-ci sont atténuées par l'engagement d'une population à laquelle on ne fait pas appel en vain lorsqu'il s'agit de serrer les rangs, de travailler, de faire passer l'intérêt de la communauté avant ceux de l'individu. Il se trouve que pour de nom­breuses raisons, l'Union soviétique a d'autre part besoin désormais d'un bastion à l'Ouest, sur lequel elle puisse compter au moment opportun. Ses problèmes externes et internes l'obligent à laisser se créer une puissance auxiliaire. La RDA semble se préparer à jouer ce rôle. Les rapports germano-soviétiques évoluent et le moment est apparemment venu, où la courbe de collaboration contrainte pourrait passer au-dessus du degré zéro et devenir “positive”, c'est-à-dire nécessaire pour celui qui l'impose et profitable pour celui qui la subit. Toute l'ambiguïté de la collaboration est là. La domination du maître prend fin, potentiellement du moins, au moment où l'es­clave parvient à se rendre nécessaire. Or, l'Union Soviétique commence à avoir besoin de l'Allemagne de l'Est, car elle ne peut compter vraiment sur aucun autre pays. On peut donc risquer l'hypothèse que l'accroissement de la puissance est-allemande, son degré de nécessité et d'utilité, finiront par modifier les rapports de force. Ce changement entraînera, à son tour, une rectification du discours politique, car on finit toujours par avoir les exigences qui correspondent à sa puissance. L'idéologie ne crée pas la puissance, elle la sanctionne. D'autre part, une puissance ne peut avoir éternellement une ligne contraire à sa dynamique et à ses intérêts.

On aboutirait ainsi à ce paradoxe que la RDA parviendrait à obtenir plus de liberté et d'indépendance, non en cherchant à s'affranchir de sa sujétion par rapport à l'URSS, mais au contraire en la poussant jusqu'à ses conséquences ultimes. La pensée allemande, d'ailleurs, privilégie une démarche consistant à affronter un système de l’intérieur, à provoquer son dépassement en le poussant, à fond, dans sa propre logique. Clausewitz préconi­sait le refus de la confrontation directe aussi longtemps qu'il était possible d'acquérir indirectement de la puis­sance et cela, même dans des conditions défavorables. Pour Nietzsche, le nihilisme se détruira de lui-même par son propre mouvement, et la “grande volonté” ne consiste pas à chercher à l'empêcher, mais à l’accélérer pour que puisse naître une nouvelle perspective. Somme toute, cette stratégie n'est pas plus extravagante que celle d'un peuple de l'Est qui, croyant à la “solidarité occidentale”, prendrait le risque d'un soulèvement direct con­tre l'Armée rouge. La balle est donc dans le camp de l'Est. On ne peut qu'en prendre acte.

► Gérard Nances et Robert Steuckers, Nouvelle École n°37, 1982.

LA PRUSSE DE SPENGLER
 
L’instinct anglais conduit à affirmer que la force appartient à l'individu. Dans cette concep­tion, c'est le libre combat de tous contre tous et le triomphe du plus fort. C'est le libéralisme et l'inégalité ; c'est la disparition de l'État. L'instinct français, lui, veut que la force n'ap­partienne à personne. Dès lors, il n'y a plus aucune hiérarchie et, par suite, aucun ordre. Il n'y a pas d'État, mais le néant. C'est l'égalité de tous, l'anarchisme idéal, la survie de l'ensemble n'étant assuré, dans la pratique, que grâce au despotisme des généraux ou des présidents (..)

La révolution allemande, au contraire, est le produit d'une théorie. L'instinct allemand — pour être plus précis, il faudrait dire : l'esprit prussien — postule que la force appartient au tout, à la collecti­vité (die Macht gehört dem Ganzen). L'individu sert ce tout. Le tout est souverain. Le roi lui-même n'est, selon le mot de Frédéric le Grand, que le premier serviteur de son État. Chacun se voit assigner une place. On commande et on obéit. C'est déjà là, depuis le XVIIIe siècle, du socialisme autori­taire, non libéral et antidémocratique dans son essence, par opposition au libéralisme anglais et à la démocratie française (..)

Mais je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur ce concept de “prussianité” (Preussentum). Même si le mot renvoie à un espace géographique, dans lequel une forme puissante a pris son essor et où une évolution significative a débuté, il est important de savoir que la prussianité est d'abord un senti­ment vital, un instinct, une manière d'être (..) Dans le mot “prussien” se trouve tout ce que, nous autres Allemands, nous possédons, non en idées, en souhaits, en vagues intuitions, mais en volonté de destin, en sens des nécessités, en pouvoir-faire. Partout en Allemagne, il existe des natures prus­siennes. Je pense à Friedrich List, à Hegel, à nombre de grands ingénieurs, de grands organisateurs, à des explorateurs, des érudits, mais aussi et surtout à un type allemand de travailleur. Depuis Ross­bach et Leuthen, il y a des Allemands qui détiennent au plus profond de leur âme quelque chose de prussien, comme une potentialité toujours présente, qui, aux grands moments de l'histoire, se mani­feste avec soudaineté (..) Dans ce que l'on entend aujourd'hui par “allemand”, dans le type actuel de l'Allemand, l'élément prussien est toujours fortement représenté. Beaucoup d'Allemands parmi les meilleurs l'ignorent eux-mêmes. Cet esprit prussien se définit par un sens de ce qui est factuel, par une discipline, un esprit de corps, une énergie, qui, ensemble, constituent une promesse d'avenir. Ce n'est pas seulement au sein du peuple que l'esprit prussien rassemble ces vertus, mais aussi et sur­tout à l'intérieur même de chaque individu, à l'intérieur de ce personnage qu'on surnomme depuis longtemps le Deutscher Michel : ce personnage qui disparaît dans le chaos d'aujourd'hui et qui reste silencieux face à la civilisation occidentale (..)

Le peuplement organisé des marches-frontières d'Allemagne orientale a été le fait d'Allemands venus de toutes les régions. La majorité d'entre eux, pourtant, provenaient de Basse-Saxe. Le noyau du peu­ple prussien est donc apparenté de près à celui du peuple anglais, puisque ce sont précisément des Saxons, des Angles et des Frisons qui, devenus marins (“Vikings”) sous des noms normands ou danois, soumirent les Bretons insulaires (..)

(Toutefois), ce furent deux impératifs éthiques de nature contradictoire qui dérivèrent progressive­ment de l'esprit viking et de l'idée d'ordre propre aux Chevaliers teutoniques. Tandis que les uns étaient porteurs de l'idée germanique en leur for intérieur, les autres la ressentaient comme située au-dessus d'eux, comme extérieure à eux-mêmes. De là des sentiments contradictoires, d'indépendance person­nelle et de communauté supra-personnelle. On appelle cela aujourd'hui individualisme et socialisme. Derrière ces mots, ce sont des vertus de premier rang qui se dissimulent : responsabilité vis-à-vis de soi-même, autodétermination, esprit de décision. D'un côté, l'initiative ; de l'autre, la fidélité, la dis­cipline, la capacité de renoncement, la maîtrise de soi. Être libre et... servir : rien n'est plus difficile que de combiner ces deux attitudes ! C'est la raison pour laquelle les peuples dont l'esprit et l'exis­tence sont axés sur de telles vertus — être à la fois vraiment libre et servir — ont assurément le droit de se construire un grand destin.

Servir : voilà le vieux style prussien, proche de ce vieux style espagnol, qui, lui aussi, a forgé un peuple dans un combat chevaleresque (..) Là, il n'y a pas de place pour le moi, mais seulement pour le nous ; là, règne un sentiment communautaire, dans lequel l'existence entière de chacun se trouve sublimée. L'individu n'est pas ce qui compte le plus ; l'individu doit se soumettre au tout. Dans cette concep­tion, chacun n'agit pas pour soi, mais tous agissent pour tous, avec cette liberté intérieure qui a le sens, supérieur, d'une libertas oboedentiae, d'une “liberté d'obéissance”. Et c'est cette vertu que, de tout temps, les plus grands représentants de la discipline prussienne ont incarnée (..)

L'autre idée germanique a, par la suite, lancé vers les prairies d'Amérique du Nord tout ce qu'elle animait encore de sang viking. À quelques siècles d'intervalle, les Anglais, les Allemands, les Scandi­naves, ont achevé l'épopée des Groëlandais évoqués par l'Edda, qui, vers l'an 900, avaient déjà atteint les côtes canadiennes. Une formidable migration germanique, soutenue par une nostalgie des grands espaces illimités, a ainsi créé, avec ses bandes aventureuses, un peuple d'origine saxonne, malheureu­sement coupé du sol maternel de la culture faustienne. Et c'est pourquoi ce peuple ne porte pas le « basalte intérieur » dont parlait Goethe ; c'est pourquoi, même si l'on observe chez lui des traces de la vieille vigueur et de l'antique sang aristocratique, il demeure sans racines et, par conséquent, sans avenir.

Ainsi sont nés les types de l'Anglais et du Prussien. La différence qui les sépare oppose un peuple dont l'âme s'est formée à partir de la conscience de son existence insulaire et un peuple qui a vécu sur une marche lointaine, dépourvue de frontières naturelles, exposée de tous côtés à l'ennemi. En Angleterre, l'île a remplacé l'organisation de l'État (..). Dans cette perspective, on doit considérer que le paysage peut être créateur. Le peuple anglais s'est construit lui-même ; le peuple prussien, au XVIIIe siècle, fut construit par les Hohenzollern, famille originaire du Sud de l'Allemagne, qui sut recueillir l'esprit de la marche-frontière et se mettre elle-même au service de l'idée d'ordre incarnée par l'État. D'un côté le maximum, de l'autre le minimum d'idée politique socialiste et supra-personnelle, d'un côté l'État, de l'autre le non-État, telles sont la Prusse et l'Angleterre considérées comme réalités politiques.

► Oswald Spengler, Preussentum und Sozialismus, C.H. Beck, München, 1920. (tr. fr. : Robert Steuckers)

Prussien est l'ordre aristocratique de la vie, la hiérarchie selon la valeur personnelle. Prussienne est avant tout la prééminence absolue de la politique extérieure, du gouvernement heureux de l'État dans un monde d'États, sur la politique intérieure dont la tâche est de maintenir la nation en bonne forme pour cette mission, et qui devient une ineptie et un crime si elle poursuit un but idéo­logique propre, indépendant de la première (...)
Et prussienne est la soumission par volonté libre. La valeur du sacrifice consiste dans le fait qu'il est difficile. Celui qui n'a pas de moi à sacrifier ne devrait pas parler de la loyauté. Il ne fait que courir derrière celui à qui il a remis la responsabilité (...) La véritable loyauté — véritablement prussienne —, c'est ce dont le monde a le plus besoin à cette époque de grandes catastrophes. On ne s'appuie que sur un élément qui offre de la résistance. Celui qui comprend cela prouve qu'il est un vrai chef. Celui qui vient de la masse doit savoir d'autant mieux que la masse, les majorités, les partis, ne sont pas de vrais compagnons. Ils ne veulent que les avantages. Ils abandonnent celui qui les mène aussitôt qu'il exige des sacrifices. Celui qui pense et sent en homme de masse ne laissera jamais dans l'histoire que la réputation de démagogue. Ici le chemin se partage pour aller à droite et à gauche : le démago­gue vit parmi la masse toujours comme un de ses pairs. L'homme né pour commander peut s'en ser­vir, mais il la méprise. Il mène la lutte la plus difficile non pas contre un ennemi, mais contre ses amis par trop dévoués (...)

Prussien est enfin le caractère qui se discipline lui-même, tel que Frédéric II l'avait et dont il a donné la définition dans sa maxime sur le « premier serviteur de son État » (...) Être le serviteur de son État est une vertu aristocratique dont très peu d'hommes sont capables. Si elle est “socialiste”, c'est d'un socialisme fier et exclusif pour les hommes de race, pour les élus de la vie. L'esprit prussien est un esprit très aristocratique, dirigé contre toute sorte de majorité et contre le règne de la plèbe, et surtout contre les qualités grégaires. Tel fut Moltke, le grand éducateur de l'officier allemand, le plus grand exemple du véritable esprit prussien au XIXe siècle. Le comte Schlieffen a résumé sa personnalité dans cette maxime : parler peu, travailler beaucoup, être plus que paraître.

C'est en partant de cette idée prussienne de la vie morale que l'on parviendra à surmonter définitive­ment la révolution mondiale. Il n'y a pas d'autre possibilité.

► Oswald Spengler, Jahre der Entscheidung, C.H. Beck, München, 1933. (tr. fr. : Raïa Hadekel)
 
Prusse


LA PRUSSE DE MOELLER VAN DEN BRUCK

Il n'y a pas de mythe prussien. Dans le monde, la prussianité constitue un principe. C'est à partir des mythes que jaillissent les cultures des peuples ; c'est en fonction des principes que se construisent les États (..) Nous ne voulons pas connaître le sort des peuples qui n'ont eu que leur culture pour se contenter. Ces peuples, les Grecs par ex., ont tiré la plus grande gloire de leurs qualités artisti­ques, et pourtant ils sont indignement tombés en décadence. Mais nous ne voulons pas non plus nous contenter de la destinée des peuples qui furent exclusivement des bâtisseurs d'États, comme ce fut le cas des Romains, qui, grâce à leur génie politique, parvinrent à dominer tout le monde antique, mais qui, sur le plan culturel, restèrent dans une situation de dépendance. Dans l'avenir, il nous fau­dra donc, en tant que nation, tenter de parvenir au but sublime qui consiste à fondre ensemble la culture et la politique. Il nous faudra allier la créativité foisonnante qui, de tout temps, fit le génie et la tragédie des peuples germaniques et qui, depuis toujours, repose en nous, avec l'idée politique consciente et clairvoyante, rassembleuse d'énergies, que la Prusse nous a léguée et qui a constitué l'épine dorsale de notre peuple dans son histoire récente.

Ce qui est spécifiquement allemand provient du mythe, et c'est de ce mythe qu'est né le romantisme qui, durant un millénaire, voire plus longtemps encore, a déterminé l'histoire de notre vieil empire, avant que ce dernier se transforme, finalement, en un vestige purement formel. La Prusse, elle, est fondamentalement différente. Avec toute la détermination d'une conception de la vie que l'Allema­gne n'avait jamais possédée, et qui, pour la première fois, nous fit poser des actes au lieu de toujours nous évader hors du monde, en cherchant refuge dans des “valeurs”, elle a permis à notre peuple de prendre un nouveau départ.

C'est parce qu'elle est née sur un sol marqué par une colonisation qui fut le fait de toutes les souches allemandes que la prussianité fut contrainte de se distinguer de ce qui est le plus foncièrement alle­mand, c'est-à-dire, non seulement de la nostalgie romantique et de l'esprit de rêverie, avec son enthou­siasme et ses chimères, mais aussi de ce sentiment d'appartenance définitive à un terroir et à une exis­tence aux règles déterminées par les traditions locales. Volontairement, la prussianité a renoncé à tou­tes les forces allemande qui reposaient sur l'imagination, et non sur le sens du réel, sur le goût de l'aventure et non sur la conscience du devoir. Ces forces abandonnées par la prussianité avaient jusqu'alors constitué nos règles d'existence ; elles mettaient surtout l'accent sur les passions, jamais sur l'esprit constructif.

En même temps, nous avons cherché une réalité nouvelle : une vie entreprenante telle que, jadis, nous en avions connue dans l'action missionnaire, dans l'esprit de chevalerie des croisades, dans l'esprit politique de l'âge gibelin. Nous avons retrouvé dans le Nord un tel style de vie. Il s'est présenté sous l'aspect du grand commerce hanséatique, sous un aspect pionnier avec la caste des Junker, sous un aspect politique prussien.

Grâce à l'esprit prussien, on a pu constater qu'il existait encore parmi nous des hommes dotés de la volonté d'être actifs dans la vie et de prendre à leur compte les œuvres et les valeurs du réel. Grâce à l'esprit prussien, nous avons été obligés, de façon méthodique et attentive, de tourner vers l'exté­rieur les contradictions qui agitaient notre être intime. Mais cette fois, ce n'est pas vers Rome, Palerme ou Jérusalem, ces villes autour desquelles, rétrospectivement, s'étaient construites nos représentations romantiques, que notre nouvelle orientation nous a dirigés. Ce fut dans la plaine du Nord de l'Alle­magne, dans ce Blachfeld fait pour la guerre comme pour le travail, dans cette terre d'avenir que nous avons dû d'abord faire conquête sur nous-mêmes. Grâce à l'esprit prussien, du peuple de troubadours en perpétuelle errance que nous étions, nous sommes enfin devenus une nation de pionniers, sédentai­res en quête d'une terre. Ainsi, par une vie intense, nous avons su satisfaire notre nature de question­neurs. Ce n'est pas seulement par les armes, ou par de pieux souhaits, que nous avons conquis des territoires, mais avec la bêche et la charrue.

► Arthur Moeller van den Bruck, Der preussische Stil, Piper, München, 1922. (tr. fr. : Robert Steuckers)

Commentaires

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