Pourquoi nous opposons-nous à l'OTAN?
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2003
1 - Empêcher que n’émerge une nouvelle alliance germano-soviétique.
2 - Malgré les acquisitions territoriales considérables de l’URSS de Staline, les Anglo-Américains vont lui refuser tout accès à l’Océan Atlantique, verrouillant la Baltique au niveau du Danemark, réitérant de la sorte la politique de Lord Castlereagh lors du Traité de Vienne en 1815 et appliquant les conseils d’Homer Lea dans son livre programmatique de 1912, The Day of the Saxons.
3 - Ne donner à Staline aucun accès à la Mer Méditerranée, en “neutralisant” la Yougoslavie de Tito à leur bénéfice; en laissant en Albanie un régime archaïque, celui d’Enver Hodxha, inféodé à la très lointaine Chine maoïste, laquelle ne cultivait évidemment aucune ambition en Europe; en mettant hors jeu la résistance grecque de gauche, dans la guerre civile qui suivit le départ des Allemands, afin de conserver la maîtrise de l’Egée, sans influence soviétique aucune.
1 - Dominer les “Balkans eurasiens”, c’est-à-dire le centre turcophone et musulman de l’Asie centrale, de concert avec la Turquie et l’appui de quelques spécialistes israéliens. Cette stratégie vise à asseoir une domination américaine sur l’espace où se situent tous les nœuds de communication entre l’Inde, la Chine et la Russie (et derrière celle-ci, l’Europe). Pour Brzezinski, cet espace s’appelle la “Route de la Soie” (Silk Road). Effectivement, la libre circulation sur la “Route de la Soie”, avant les conquêtes musulmanes et surtout turques, permettait une harmonie grande continentale, en dépit des différences majeures entre les civilisations qui la bordaient. Les archéologues parlent de la “Sérinde” avec sa sublime synthèse helléno-bouddhique, détruite par les hordes turco-mongoles et musulmanes. C’est la même volonté iconoclaste qui a animé les talibans, anciens stipendiés de la CIA, lorsqu’ils ont détruit à coups de canon et de dynamite les splendides Bouddhas de Bamiyan en février 2001. Par conséquent, s’allier au Etats-Unis et rester inféodé à l’OTAN, est l’indice d’une volonté de détruire toute possibilité de ré-émergence de la synthèse helléno-bouddhique en Asie centrale, de priver en règle générale et dans tous les cas de figure l’humanité de ses plus longues mémoires, de donner un blanc seing aux rééditions contemporaines de l’iconoclasme turco-musulman, de ruiner le patrimoine de l’humanité défendu par l’UNESCO, de participer à un projet qui interdira les communications fécondes entre trois aires civilisationnelles (euro-russe, indienne et chinoise).
OTAN et multi-criminalité
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2003
Traduction du “Script” néerlandais d’un débat sur l’OTAN qui a opposé Robert Steuckers, au nom de “Synergies Européennes” à Maître Rob Verreycken, du Barreau d’Anvers
Eindhoven, 25 janvier 2003
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis et camarades,
Je voudrais d’abord résumer brièvement les motifs principaux de mon hostilité à l’institution qu’est l’OTAN, afin d’expliciter le point de vue que je vais défendre aujourd’hui :
- D’abord l’OTAN est “internationaliste” dans son essence, elle prend le relais d’un internationalisme inégalitaire, né de l’idéologie interventionniste du “One World” sous égide américaine, défendue par Roosevelt lors de la deuxième guerre mondiale.
- Etre un Etat membre de l’OTAN, dans cette perspective, signifie être dépendant, donc soumis à la volonté d’un autre qui ne poursuit évidemment que ses seuls intérêts; être membre de l’OTAN, c’est être le jouet d’une volonté autre, d’une volonté qui veut nous réduire à l’état de pion docile, sans volonté propre.
- L’OTAN empêche l’éclosion de toute politique de défense autonome chez ses membres mineurs. Elle contraint nos gouvernants à enfreindre l’adage romain : si vis pacem, para bellum. Ipso facto, elle renonce à toute forme de souveraineté et livre nos peuples à l’arbitraire d’une politique étrangère dominante.
- L’OTAN nous empêche donc simultanément d’avoir une industrie d’armement propre, une industrie aéronautique performante (Airbus constituant une exception en dehors du domaine militaire) et d’avoir une politique cohérente de marine en Europe. Depuis 1945 en effet, seules deux puissances européennes ont pu développer de telles industries en toute autonomie : la Suède et la Grande-Bretagne. De 1950 à 1975, grâce notamment au concours d’ingénieurs allemands (cf. Helmut Müller, «Les scientifiques allemands en France après 1945», in: Nouvelles de Synergies Européennes, n°42/1999), la France a pu développer un pôle d’aéronautique militaire exemplaire, dont le chasseur Mirage III sera le fleuron. Mais en 1975, lors du marché du siècle, des collabos européens au sein des pays de l’OTAN, ont misé sur le F-16 américain, plutôt que sur un chasseur français ou suédois ou franco-suédois, ruinant du même coup ce pôle d’aéronautique qui a besoin de commandes militaires pour être “boosté”. En principe l’OTAN prévoyait une “Two-Way-Street”, une voie à deux sens, où les commandes militaires américaines en Europe et les commandes militaires européennes aux Etats-Unis se seraient équilibrées. Le “marché du siècle” a ruiné ce projet et créé une “One-Way-Street”, une voie à sens unique. Cette voie à sens unique vaut évidemment pour l’aviation, mais aussi pour le matériel terrestre, car les Etats-Unis ont refusé d’acheter des chars allemands, pourtant plus performants que les leurs.
L’OTAN, un jouet socialiste
- Sur le plan de la politique intérieure, l’OTAN a toujours été un concept défendu par les faux socialistes (et vrais corrompus), qui constituaient en quelque sorte une aile droite, influencée intellectuellement par les trotskistes, dont la fidélité aux Etats-Unis a toujours été exemplaire. Qu’on se souvienne de Spaak, ancien révolutionnaire dans le Borinage en 1932, puis néo-socialiste opportuniste quand De Man acquiert du succès, pour devenir, à Londres, le sindic des intérêts américains et britanniques en Europe occidentale (et subsidiairement au Congo…). La servilité à l’OTAN et aux Etats-Unis s’appelle d’ailleurs le “spaakisme” ou le “suivisme”, dans le langage de notre politique étrangère. La première esquisse de l’OTAN, incarnée par le Traité de Bruxelles de 1948, avait reçu le nom de “Spaakistan” à l’époque, par ceux qui, à droite comme à gauche, se montraient clairvoyants et percevaient le jeu de dupes que l’on nous imposait. Plus tard, on a connu l’épilogue de ce suivisme socialo-trotskiste dans la personne du lamentable Willy Claes ou du pauvre De Ryke. S’identifier à l’OTAN équivaut à s’identifier à d’aussi lamentables personnages. A l’étranger aussi, ce sont les socialistes occidentalistes (trotskistes) qui ont été les meilleurs avocats de l’OTAN; songeons à Pierre Mendès-France (dont le niveau est évidemment supérieur à celui de Claes) dans les années 50 en France et à Javier Solana en Espagne. A droite de l’échiquier politique, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’enthousiasme pour l’OTAN a été bien moindre, sinon inexistant : en Belgique, à l’époque où le PSC était encore considéré comme une force politique de droite, Pierre Harmel a tenté, au nom d’un idéal d’«Europe totale», de dégager notre pays de l’étau étouffant que nous imposaient les Etats-Unis. Dans ce que les journalistes appellent l’extrême droite, Jean Thiriart s’est fait l’avocat d’un refus systématique de la domination américaine, dont son mouvement, Jeune Europe, devait devenir le fer de lance.
- Dans la sphère médiatique, la défense des intérêts des Etats-Unis, de l’OTAN et les plaidoyers pour les interventions tous azimuts contraires au droit des gens ou aux décisions de l’ONU, sont le faits de personnages propagandistes, soi-disant philosophes, comme Bernard Henry Lévy, Alain Finkielkraut ou André Glucksmann; au nom d’une certaine “gauche” ou d’un humanisme (qui reste à définir…), ils appellent sans cesse au carnage, que ce soit dans les Balkans, en Irak ou ailleurs, et traitent de “fascistes” tous ceux qui sont en faveur de la modération ou de la diplomatie. Ce sont ces gens-là qui ont paré du label d’”humaniste”, les tueurs, les narco-trafiquants et les proxénètes de l’UCK. Défendre l’OTAN, c’est défendre les crimes commis par ces gens-là. Défendre l’OTAN, c’est entonner un plaidoyer justificateur ou édulcorant pour les crimes de droit commun les plus abjects. Défendre l’OTAN, c’est quitter le domaine de la bienséance et sombrer dans la pire des voyoucraties politiques.
- Enfin, défendre la politique globale américaine, dont l’OTAN est un instrument, surtout sur le théâtre européen et nord-atlantique, c’est accepter que certains Etats, notamment l’Hegemon américain, “dealent” de la drogue, afin de pouvoir financer et mener des opérations “sales” qu’aucun Parlement n’accepterait d’avaliser. Par conséquent, il me paraît impossible d’être simultanément en faveur de l’OTAN, d’une part, et de préconiser une politique identitaire européenne, donc une politique d’indépendance européenne, d’appeler à défendre les valeurs de notre propre civilisation, de lutter contre les réseaux criminels et de s’opposer à la libéralisation de la drogue, d’autre part.
L’OTAN et la question américaine
La question de l’OTAN est inséparable de la question américaine. Les Etats-Unis et, avant eux, les treize colonies britanniques d’Amérique du Nord qui les formeront à partir de 1776, sont marqués dès le départ par une idéologie anti-historique, qualifiable de “chronophobique” (cf. à ce propos: Cliffrod Longley, Chosen People - The Big Idea that Shapes England and America, Hodder & Stoughton, London/Sydney/Auckland, 2002). Les colons qui ont peuplé ces colonies étaient généralement des “non conformistes” sur le plan religieux. Les Founding Fathers, les Pèlerins du Mayflower et autres zélotes religieux, adeptes d’un fondamentalisme bibliste protestant, ont pour dénominateur commun un rejet total du passé et de ses acquis. Pour eux, les institutions, les continuités, les traditions, parce qu’elles ne reposent pas sur leur lecture réductrice de la Bible, sont frappées du sceau du Mal et doivent être abolies, éradiquées, extirpées. Les hommes sont pécheurs s’ils s’inscrivent dans de “longues mémoires”, ils n’appartiennent dès lors pas au clan des “Justes”, parce que ces traditions, qu’ils entendent cultiver, auraient généré, au fil du temps, des injustices “inacceptables” et, par le biais de la doctrine de la prédestination, “impardonnables”, “imprescriptibles”. Si ce radicalisme fanatique a été quelque peu atténué à la fin du 18ième siècle sous la direction politique ou intellectuelle d’hommes comme Washington, Jefferson ou Hamilton, il n’en demeure pas moins qu’il est une donnée constitutive de la mentalité américaine, laquelle est instrumentalisée contre le monde entier. Qui ne fait pas la même lecture des faits de monde que le gouvernement américain, qui propose d’autres formes de gouvernement ou d’autres projets d’aménagement territorial se retrouve ipso facto assimilé au Malin et traduit, le cas échéant, devant un “tribunal international”. Le fanatisme des puritains a changé de forme —bien que les gestes religieux que pose un Bush, par exemple, relèvent de ce schématisme puritain sans profondeur temporelle— mais il reste néanmoins in nuce une volonté d’éradiquer les legs du passé, de faire de celui-ci une table rase. Toute résistance à cette volonté se voit criminalisée.
Après les premières décennies de l’histoire des Etats-Unis, le Président Monroe proclame en 1823 une doctrine que l’on a souvent résumée comme suit : «L’Amérique aux Américains». Elle s’adresse, menaçante, à toutes les puissances européennes en général, à l’Espagne, maîtresse de l’Amérique centrale et méridionale, en particulier. Implicitement, cette doctrine constitue une déclaration de guerre à toutes les puissances européennes souhaitant défendre leurs intérêts dans le Nouveau Monde. L’hostilité à l’Espagne culminera en 1898, lors de la guerre hispano-américaine. Toutes les forces soucieuses de maintenir les acquis de l’histoire en Europe se sont montrées hostiles à l’américanisme, y compris l’Autriche, dont le ministre Johann Georg Hülsemann avait parfaitement perçu le danger américain, dès la proclamation de la Doctrine Monroe en 1823 (cf.: Heinrich Drimmel, Die Antipoden. Die Neue Welt in den USA und das Österreich vor 1918, Amalthea, Wien/München, 1984).
Un « Hegemon » auquel aucune fidélité n’est due
Au 20ième siècle, Wilson veut imposer un nouvel ordre international, via le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais cette base juridique pourrait dresser les peuples dont les richesses sont convoitées par les Etats-Unis contre la volonté de Washington. Les Américains décident donc de ne pas adhérer à la SdN, qu’ils avaient appelée de leur vœux. Franklin Delano Roosevelt poursuit l’œuvre du siècle américain, visant à contrôler les rives asiatiques du Pacifique et les rives européennes de l’Atlantique. Du dernier conflit mondial naît l’ONU, dont les décisions ne sont pas davantage respectées par les Etats-Unis aujourd’hui. Dans The Grand Chessboard (1996), Brzezinski décrit la stratégie qui consiste à exciter les vassaux les uns contre les autres pour ne pas qu’ils fassent collusion contre l’hegemon américain. On le voit : la politique du “Big Stick”, destinée à l’Amérique latine, du temps de Theodor Roosevelt, le refus de se conformer aux décisions des instances internationales et la hantise de voir de fortes coalitions se dresser contre les ambitions de Washington sont anciennes mais régulièrement renouvelées. Toutes les puissances de la planète, l’Europe comprise, les “alliés” aussi, peuvent devenir demain les victimes de ces politiques : on ne peut donc considérer l’hegemon comme bienveillant, comme garant de la paix civile chez nous. Par conséquent, un tel hegemon ne saurait être un “allié” ou un “protecteur”, et donc aucune fidélité ne lui est due.
Carl Schmitt nous a démontré que les idéologies de la Révolution française, de la révolution bolchevique —du moins jusqu’en 1945 car, après la seconde guerre mondiale, l’URSS renoue avec la diplomatie traditionnelle et sa pratique des rapports bilatéraux— et de l’interventionnisme américain, à partir de Theodor Roosevelt, de Wilson et de Franklin Delano Roosevelt, sont des idéologies qui ne respectent pas les équilibres traditionnels, hérités de l’histoire, ni les formes ni les us et coutumes de la diplomatie. En ce sens, ces idéologies sont dangereuses et bellogènes : elles impliquent une guerre permanente sans limites et sans tempérance. L’OTAN est un instrument de cette politique d’intervention tous azimuts, au nom de principes hostiles aux héritages historiques des peuples, de principes qui entendent faire du passé table rase. Par conséquent, celui qui entend s’inscrire dans les continuités de l’histoire, qui entend perpétuer ces continuités, qui a le sens de l’histoire, qui respecte les équilibres traditionnels entre puissances ne peut soutenir ni l’Amérique ni l’OTAN.
De la Mer Blanche au Golfe Persique
Pour étayer notre propos, rappelons les étapes de l’histoire européenne et nord-atlantique qui ont suivi les conférences de Yalta et de Potsdam (en 1945). Il faut savoir que la seconde guerre mondiale, menée contre une puissance occupant le cœur géographique de l’Europe, a été gagnée dès 1941, par la maîtrise du Proche-Orient qu’obtiennent les Britanniques en trois étapes: en mai 1941, ils matent la révolte de Rachid Ali en Irak, occupent le territoire mésopotamien et engrangent les puits de pétrole, assurant une couverture énergétique pour le matériel militaire allié; en juin et en juillet 1941, ils éliminent la (faible) menace qu’auraient pu exercer les Français de Vichy au Liban et en Syrie. En août et en septembre 1941, ils occupent l’Iran (avec les Soviétiques, mais qui sont confinés au Nord de Téhéran). Les réserves iraniennes de pétrole s’ajoutent à celles de l’Irak. Cette triple maîtrise de l’espace proche- et moyen-oriental permet d’alimenter en matériels l’URSS, faisant office de champion continental contre le principal challengeur. Ces opérations d’approvisionnement s’effectuent via la Caspienne et le trafic fluvial sur la Volga. De cette façon, tous les points du front de l’Est peuvent être assurés d’une bonne logistique: au Nord, via Mourmansk en toutes saisons ou via Arkhangelsk en été seulement, via les canaux de la Mer Blanche (le fameux Belomor) menant aux deux grands lacs Onega et Ladoga et de ceux-ci vers l’intérieur des terres, via chemins de fer, et vers le cours de la Volga au-delà du nœud ferroviaire de Vologda. Ce système de communication entre Mourmansk et Arkhangelsk sur les rives de l’Arctique, d’une part, et la Caspienne et le Golfe Persique, d’autre part, n’a jamais été interrompu ni sérieusement menacé par les troupes allemandes ou finlandaises.
La leçon géopolitique et géostratégique à tirer de la deuxième guerre mondiale est donc la suivante: l’Europe se contrôle au départ du Sud-Est, plus exactement à partir du Proche-Orient et de la Mésopotamie. Une vision eurocentrée de la défense européenne est donc une aberration, qui caractérise, notamment, la gestion hitlérienne de la belligérance entre 1939 et 1945. Une explication hitlérienne de la seconde guerre mondiale ou une nostalgie de l’hitlérisme constituent par conséquent un danger très grave d’un point de vue géostratégique européen cohérent. Ceux qui cultivent aujourd’hui encore un hitlérisme eurocentré sont les alliés objectifs de l’hegemon américain qui visent notre asservissement, parce que cette vision nous empêche de percevoir correctement la dynamique spatiale articulée contre le cœur géographique de l’Europe et parce que cette vision donne mauvaise presse dans le système médiatique contrôlée en ultime instance par les Etats-Unis.
Une triple politique contre l’URSS
A la suite de cette victoire anglo-américaine en 1945, les alliés occidentaux (France exceptée), vont tenter de garder toutes les cartes entre leurs mains. Dès la fin des hostilités, les Anglo-Américains vont déployer une triple politique contre l’URSS, qui vient d’avancer ses pions vers le centre de l’Europe:
1 - Empêcher que n’émerge une nouvelle alliance germano-soviétique.
2 - Malgré les acquisitions territoriales considérables de l’URSS de Staline, les Anglo-Américains vont lui refuser tout accès à l’Océan Atlantique, verrouillant la Baltique au niveau du Danemark, réitérant de la sorte la politique de Lord Castlereagh lors du Traité de Vienne en 1815 et appliquant les conseils d’Homer Lea dans son livre programmatique de 1912, The Day of the Saxons.
3 - Ne donner à Staline aucun accès à la Mer Méditerranée, en “neutralisant” la Yougoslavie de Tito à leur bénéfice; en laissant en Albanie un régime archaïque, celui d’Enver Hodxha, inféodé à la très lointaine Chine maoïste, laquelle ne cultivait évidemment aucune ambition en Europe; en mettant hors jeu la résistance grecque de gauche, dans la guerre civile qui suivit le départ des Allemands, afin de conserver la maîtrise de l’Egée, sans influence soviétique aucune.
Dans l’immédiat après-guerre, ces trois principes de containment sont appelés à prendre le relais de la politique traditionnelle de contenir la Russie, en dépit qu’elle soit devenu l’allié privilégié —et la réserve de chair à canon— pour abattre l’Allemagne, considérée à Londres et à Washington comme le moteur d’une future Europe unifiée. En toute bonne logique, le nouveau containment de la Russie doit commencer en Europe (aux niveaux de la Baltique, de l’Adriatique et de l’Egée), ce qui induit, quelques années plus tard, après les partages, à la création de l’OTAN en 1949, puis, ultérieurement seulement, à la mise sur pied du Pacte de Bagdad en 1955, avec la Turquie (qui fait charnière puisqu’elle est simultanément membre de l’OTAN), l’Irak sous tutelle britannique avec une monarchie fantoche et l’Iran, avec le nouveau Shah, installé sur le trône en 1941, à la suite de la démission forcée de son père sous la pression anglo-soviétique.
La campagne afghane scelle le destin de l’Union Soviétique
Après les crises des années 50 (Corée, Hongrie, Suez), s’ouvre une période de coexistence et de détente. La confrontation directe, en dépit des discours d’apaisement et des tentatives de dialogue Est-Ouest, reprend en 1978-1980, justement parce que les troupes soviétiques sont rentrées dans un territoire clef sur le plan stratégique : l’Afghanistan. Les stratèges britanniques (et américains) savent, depuis les déboires de l’armée anglaise en 1842, que la puissance qui parvient à contrôler l’Afghanistan finira à terme par contrôler les points nodaux de communication entre la Russie, l’Inde et la Chine, donc contrôlera le destin de ces trois puissances. Surtout si l’on contrôle simultanément l’Arabie Saoudite et ses réserves pétrolières. Par une guerre d’usure, menée par personnes interposées, c’est-à-dire par une counter-insurgency locale bien armée de l’extérieur, les armées soviétiques ne tiennent pas le coup dans les montagnes afghanes; le coût de la guerre entraîne l’effondrement de l’Union Soviétique.
Dès la fin de la superpuissance soviétique, il aurait fallu dissoudre l’OTAN, instrument créé pour la contenir et la combattre, et revenir à l’”ancienne” diplomatie, avec ses rapports bilatéraux entre puissances. Washington a refusé cette logique de bon sens et a insisté pour le maintien et l’élargissement de l’OTAN, alors que son rôle était révolu. L’Union Soviétique cessant d’exister, l’idéologie internationaliste et radicale qu’elle incarnait cesse automatiquement d’être un facteur de la politique internationale. Mais les Etats-Unis n’ont pas désarmé contre la Russie, preuve que l’idéologie communiste, qu’ils prétendaient combattre parce qu’elle était d’essence totalitaire, ne les dérangeait pas outre mesure. L’objectif n’était pas de lutter contre le communisme mais bien contre la concentration de pouvoir et d’organisation territoriale que représente la Russie. Cette lutte a commencé dès la guerre de Crimée; elle se poursuit aujourd’hui, malgré la disparition du communisme. L’OTAN s’était donné pour objectif la lutte contre le communisme et non pas contre la Russie traditionnelle. Par conséquent, si son objectif disparaît, elle n’a plus lieu d’être.
La mise en œuvre de la Doctrine Brzezinski
Après le retrait des troupes russes d’Afghanistan sous Gorbatchev, les Etats-Unis mettent en pratique la doctrine et la stratégie de Brzezinski, que nous pouvons résumer ici en trois points (pour des raisons didactiques):
1 - Dominer les “Balkans eurasiens”, c’est-à-dire le centre turcophone et musulman de l’Asie centrale, de concert avec la Turquie et l’appui de quelques spécialistes israéliens. Cette stratégie vise à asseoir une domination américaine sur l’espace où se situent tous les nœuds de communication entre l’Inde, la Chine et la Russie (et derrière celle-ci, l’Europe). Pour Brzezinski, cet espace s’appelle la “Route de la Soie” (Silk Road). Effectivement, la libre circulation sur la “Route de la Soie”, avant les conquêtes musulmanes et surtout turques, permettait une harmonie grande continentale, en dépit des différences majeures entre les civilisations qui la bordaient. Les archéologues parlent de la “Sérinde” avec sa sublime synthèse helléno-bouddhique, détruite par les hordes turco-mongoles et musulmanes. C’est la même volonté iconoclaste qui a animé les talibans, anciens stipendiés de la CIA, lorsqu’ils ont détruit à coups de canon et de dynamite les splendides Bouddhas de Bamiyan en février 2001. Par conséquent, s’allier au Etats-Unis et rester inféodé à l’OTAN, est l’indice d’une volonté de détruire toute possibilité de ré-émergence de la synthèse helléno-bouddhique en Asie centrale, de priver en règle générale et dans tous les cas de figure l’humanité de ses plus longues mémoires, de donner un blanc seing aux rééditions contemporaines de l’iconoclasme turco-musulman, de ruiner le patrimoine de l’humanité défendu par l’UNESCO, de participer à un projet qui interdira les communications fécondes entre trois aires civilisationnelles (euro-russe, indienne et chinoise).
2 - Brzezinski parle ensuite de lutter contre toutes les “emerging powers”, contre les “puissances émergentes”. Pour empêcher leur fusion stratégique, les Etats-Unis, notamment via le réseau satellitaire ECHELON, organisent un espionnage en bonne et due forme des firmes civiles et militaires européennes afin de “pomper” des renseignements et de les prendre de vitesse. Dans de telles conditions, adhérer à l’OTAN relève du masochisme le plus aberrant, car l’espionnage satellitaire d’ECHELON ruine nos entreprises de pointe, génératrices de nouvelles dynamiques industrielles, et condamne au chômage des techniciens et des ingénieurs de haut niveau. Les politiciens qui soutiennent les positions des Etats-Unis et de l’OTAN sont responsables du ressac économique dû à la mise en œuvre du système d’observation satellitaire ECHELON.
3 - L’ensemble des opérations actuelles des Etats-Unis a pour but ultime de créer un véritable verrou partant des Balkans, traversant la Mer Noire et le Caucase du Nord, pour s’élancer sur l’ancienne Route de la Soie jusqu’au Pamir. De même, ni une puissance européenne ni la Russie ne peuvent avoir un accès direct et aisé à la Méditerranée orientale.
A ce projet impérialiste, théorisé par Zbigniew Brzezinski, s’ajoute un appui systématique donné au trafic de drogues dans le monde entier. Les moudjahhidins afghans, puis les talibans, ont alimenté leurs caisses avec l’argent de la drogue. Dans ce même circuit, les mafias turque, albanaise et italienne ont joué un rôle déterminant. En conséquence, qui appuie la stratégie militaire des Etats-Unis, accorde ipso facto un blanc seing au narco-trafic international, générateur de réseaux multi-criminels (car-jackings, cambriolages, prostitution, …), notamment au sein des populations immigrées en Europe occidentale. Toute option politique en faveur de l’alliance américaine et de l’OTAN conduit à avaliser cette criminalité débridée, à tolérer l’impuissance de nos appareils judiciaires et de nos services de police, à accepter les débordements des diasporas mafieuses.
Du Triangle d’Or aux autres narco-trafics
L’alliance entre la CIA et le narco-trafic a commencé dès le début des années 50, quand les armées en déroute du Kuo-Min-Tang chinois vont se réfugier au-delà de la frontière sino-birmane, dans le fameux Triangle d’Or. Maintenue en état de combattre pour toute éventuelle reconquista de la Chine devenue maoïste, cette armée vit du narco-trafic pour s’auto-financer, ce qui évite aux autorités américaines de demander un financement officiel pour ces opérations de guerre parallèle. Des cénacles discrets décident d’utiliser l’argent de la drogue, de favoriser indirectement la consommation dans les métropoles occidentales, afin de ne pas avoir recours à l’argent des contribuables. Effectivement, alors que la drogue s’était limitée à des cercles très restreints d’artistes ou de consommateurs très aisés, elle connaît un boom extraordinaire à partir des années 50; dans une première phase, c’est la consommation d’héroïne en provenance d’Indochine qui domine l’avant-scène; dans une seconde phase, la consommation de cocaïne en provenance d’Amérique du Sud prend le relais.
Dès le début de l’intervention américaine en Indochine, des tribus rurales comme les Méos ou les Shans sont armées et utilisées contre les gouvernements locaux, accusés de sympathies pour la Chine ou l’URSS. Leur armement est payé par le biais de l’argent de la drogue. C’est la mise en place d’un scénario que l’on appliquera ensuite en Afghanistan et en Tchétchénie, et, qui sait, demain, dans nos propres banlieues et zones hors-droit, pour générer le désordre civil en Europe et éliminer ainsi une puissance concurrent économique des Etats-Unis. Les restes de l’armée du Kuo-Min-Tang de Tchang-Kai-Tchek, par exemple, avaient besoin de 10.000 $ par homme et par année, soit un total de 150.000.000 $ pour des effectifs de 15.000 hommes. Ce financement n’a jamais reçu l’aval du Congrès américain, exactement comme, très récemment, le financement des milices de l’UCK albanaise. Ces pratiques ont toujours été occultées par l’idéologie anti-communiste, laquelle est légitime en théorie, mais à condition qu’elle ne couvre pas des pratiques criminelles. Au départ du Triangle d’Or birman, l’héroïne était acheminée vers les Etats-Unis par voie aérienne, à l’aide de DC-3 (C-47) d’une compagnie appartenant à la CIA (source : Alfred McCoy, The Politics of Heroin in Souteast Asia, 1972). Le scandale a éclaté au grand jour en 1971, dans l’affaire dite des “Pentagon Papers”.
La croissance de la toxicomanie aux Etats-Unis
La distribution de cette héroïne a été assurée aux Etats-Unis par Lucky Luciano, le boss de la mafia utilisé par l’US Army pour garantir le bon succès du débarquement en Sicile en 1943, et par un autre gangster, Meyer Lansky. En Italie, en Chine, en Turquie et en Albanie, les services américains ont donc délibérément parié sur le narco-trafic ou en ont utilisé les réseaux. Luciano, par exemple, est arrivé après la guerre avec 200 mafiosi en Italie pour y distribuer l’héroïne des Chinois et étendre le trafic à l’Europe entière. Pour faire fléchir le gouvernement central italien, les services américains et les mafiosi brandissaient la menace d’un séparatisme sicilien. Les chiffres de la progression des diverses toxicomanies sont éloquents et montrent bien que le phénomène a été créé artificiellement. En 1945, on comptait 20.000 héroïnomanes aux Etats-Unis; en 1952, ils étaient 60.000; en 1965, 150.000; en 1969, 315.000; en 1971, 560.000. Des engouements littéraires, basés sur des rejets ou des révoltes que l’on peut qualifier de “légitimes”, comme la Beat Generation, ont contribué à vulgariser les toxicomanies dans les esprits, ont accentué le désir de se démarquer de la société bourgeoise conventionnelle. L’idéologie de 68, anti-autoritaire et contestatrice des structures fondamentales de nos sociétés, puis le mouvement hippy, consommateur de marijuana, ont amplifié considérablement le phénomène, ce qui nous fait arriver au chiffre astronomique de 560.000 toxicomanes aux Etats-Unis.
Ces 560.000 drogués ont contribué à financer la machine de guerre, sans qu’il n’ait fallu augmenter les impôts, car c’est à cela que sert la drogue sur le plan stratégique: à ponctionner les citoyens, sans recourir à l’impôt, toujours impopulaire. La succession des modes contestatrices et anti-autoritaires n’est pas arrivée “par hasard”: elles ont toutes été vraisemblablement téléguidées de “haut”, par des services de guerre psychologique. A partir de 1975, la consommation d’héroïne diminue aux Etats-Unis, car les troupes américaines quittent le Vietnam et les auxiliaires tribaux des zones reculées d’Indochine ne sont plus appelés à constituer des contre-guérillas. En revanche, la consommation de cocaïne en provenance d’Amérique du Sud augmente. Elle sert à consolider le trésor de guerre de bandes au service de la politique américaine et des services secrets. La plus-value du trafic de cocaïne servira ultérieurement à financer les “Contras” au Nicaragua, tout comme les réseaux mafieux avaient armés les partisans italiens, et la drogue du Triangle d’Or avait contribué à équiper les guérilleros Méos et Shans au Laos.
La double stratégie —militaire et narco-trafiquante— mise en œuvre par les services secrets américains trouve également un relais en Turquie, où le pouvoir est détenu par un complexe militaro-mafieux, principal pilier de l’OTAN dans ce pays. L’insistance de Washington pour faire accepter à l’UE la candidature turque vise un objectif bien clair pour tous ceux qui se rappellent ce pan d’histoire occulte de la seconde moitié du 20ième siècle qu’est l’organisation, à des fins stratégiques et impérialistes, du narco-trafic en Asie, en Amérique latine et ailleurs. Cet objectif est, tout logiquement, de faciliter la distribution de drogues dans toute l’UE, pour en saper ainsi les assises sociales, faire de l’Europe une zone politiquement émasculée. Après avoir soutenu la candidature de la Turquie, Washington appuiera bien évidemment celle d’un autre Etat trafiquant, le Maroc; ce qui accentuera encore davantage la pandémie toxicomaniaque dans nos sociétés, qui sont déjà bien ébranlées par la perte de leurs anciennes valeurs cardinales, par leur ressac démographique général, par leur nanisme militaire, etc. 12.000 familles marocaines vivent de la culture du cannabis dans le Nord du pays, comme le souligne l’Atlaseco de 2002, publié par l’hebdomadaire parisien Le Nouvel Observateur. Déjà instrumentalisé contre l’Espagne pendant l’été 2002, cet Etat est un atout complémentaire dans la panoplie américaine destinée à ruiner l’Europe.
En conclusion, défendre l’OTAN, même si on prévoit dans cette défense une revalorisation du pilier européenne de cette organisation, est incompatible avec un programme politique intérieur qui vise une lutte systématique contre le trafic de stupéfiants illicites, parce que c’est justement la puissance hégémonique au sein de l’OTAN, qui la contrôle entièrement, qui est responsable de la diffusion planétaire du fléau de la drogue. Ensuite, si ce même programme politique promet aux citoyens de traiter la criminalité ambiante par “la manière forte”, il envisage, par conséquent, de traiter de la même manière forte la part de la criminalité qui découle de la drogue et des cartels de “multi-criminalité”, où la drogue joue un rôle moteur. Par suite, tout programme politique prévoyant la lutte contre la drogue et contre la criminalité, doit s’attaquer non pas seulement aux effets mais aux causes; or la cause principale de ces deux fléaux réside dans la politique menée par les services secrets américains dans le Triangle d’Or, en Turquie, en Afghanistan, au Maroc et en Amérique latine. L’OTAN est le principal instrument de la politique américaine. Il faut le rendre inopérant pour pouvoir assainir nos sociétés et les rendre à nouveau conviviales pour tous les citoyens, surtout pour les humbles qui peinent chaque jour, dans leurs tâches quotidiennes.
Robert STEUCKERS,
Forest/Flotzenberg - Eindhoven, 24 & 25 janvier 2003.
Forest/Flotzenberg - Eindhoven, 24 & 25 janvier 2003.
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