Dénoncer l'impérialisme
Robert STEUCKERS (1990)
► Robert Steuckers, Vouloir n°68-70, 1990. (intervention au colloque d'Espace Nouveau, Paris, 8 déc. 1990)
Robert STEUCKERS (1990)
Parler de l'impérialisme n'est pas une chose facile. Le sujet est très vaste. Le mot recouvre plusieurs acceptions, son utilisation sert souvent des objectifs très différents. De plus, il a été galvaudé, utilisé à trop mauvais escient par l'idéologie soixante-huitarde, aujourd'hui en totale déliquescence, considérée par ses sectataires d'hier comme une sympathique vieillerie.
Le Golfe : répétition d'un vieux scénario
Pourtant, les événements actuels, en l'occurrence l'affaire du Golfe Persique, le conflit irako-américain, remettent sur le tapis la question irrésolue et refoulée de l'impérialisme. Le procédé utilisé par Bush contre Saddam Hussein rappelle furieusement, à ceux qui savent s'en souvenir, la question d'Orient qui a préoccupé l'Europe à la veille de la Première Guerre mondiale. À cette époque, l'alliance entre l'Allemagne de Guillaume II et l'Empire ottoman fondait une continuité territoriale, géopolitique et géostratégique d'Héligoland en Mer du Nord à l'embouchure de l'Euphrate sur les rives du Golfe Persique. Cet état de choses était inacceptable pour les théoriciens de l'Empire britannique, car pas une puissance, à leurs yeux, ne pouvait occuper des points stratégiques importants dans l'Océan Indien. La présence germano-turque dans le Golfe constituait une menace pour les Indes, clef de voûte de l'Empire.
Après avoir dépecé l'Empire ottoman vaincu en même temps que l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, les Britanniques, animés par la même logique, refusent l'unité arabe, pourtant promise à un Lawrence d'Arabie, favorisent l'implantation des premières colonies sionistes en Palestine et créent en 1922 le Koweït à l'embouchure de l'Euphrate, condamnant de la sorte le jeune État irakien à dépendre de Londres pour le commerce international. Dans l'optique britannique, aucun État ne pouvait prendre le relais de la Turquie ottomane au fond du Golfe, fût-il une toute petite puissance comme l'Irak.
Cette vieille stratégie qui consiste à empêcher un hinterland de bénéficier des facilités de ses propres côtes avait déjà été appliquée en Europe en 1648, lors des traités de Westphalie : quand la Hollande est détachée du Reich et contrôle les embouchures du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut, condamnant l'Allemagne à ne pas avoir de destin au-delà des mers. La Suède, elle, occupe les embouchures de la Weser et de l'Elbe, et jugule ainsi toute initiative qui prendrait le relais de la Hanse.
Aujourd'hui, c'est exactement, je le répète, la même logique qui est à l'œuvre : l'Irak, quasi autonome sur le plan alimentaire — ce qui est une grande victoire du régime baathiste — disposant de ressources importantes en matières premières, essentiellement du pétrole, était obligé de passer sous toutes les formes de fourches caudines que lui imposait le Koweït, cette création artificielle des bureaux londoniens. Les 17 millions d'Irakiens étaient obligé de payer un tribut constant aux 100.000 Koweïtiens, tous, en leur personne, relais des grands trusts britanniques exploitant le pétrole. Des relais qui, de surcroît, investissaient toutes leurs plus-values à Londres ou à New York, ôtant ainsi à leur propre peuple des capitaux qui auraient pu servir à des travaux d'irrigation à grande échelle, à la création d'universités et d'écoles techniques, à donner un travail valorisant au surplus démographique arabe, ce qui aurait permis d'ordonner et de normer les flux migratoires.
Cette logique complexe, à vitesses multiples, avec ses facettes géostratégique, financière, militaire, cette logique que l'on a nommé "impérialiste", est précisément cette logique qui favorise le parasitisme à grande échelle, le parasitisme des petits rentiers oisifs qui vivaient des dividendes de l'Empire hier, et qui vivent aujourd'hui des dividendes du Tiers-Monde ou des capitaux koweïtiens ou saoudiens, investis dans les banques occidentales.
Définir et dénoncer l'impérialisme
Car l'impérialisme n'est pas le colonialisme qui, étymologiquement, signifie défrichage de terres vierges ou rentabilisation de terres arides. Le colonialisme peut être intérieur, non agressif, comme pendant l'ère agronomique en France au XIXe siècle, dans les zones sablonneuses et les landes d'Allemagne du Nord, dans les polders hollandais gagnés sur la mer, etc.
Car l'impérialisme ne procède pas d'une conscience identitaire nationale ; ses manifestations se qualifient par un mot que l'on a oublié aujourd'hui mais que les polémistes du début de notre siècle n'hésitaient jamais à employer : le jingoïsme. Un mélange de clinquant, de tintamare triomphaliste et de sadisme. C'est la clochette folklorique pour justifier le massacre d'indigènes récalcitrants dans des colonies lointaines, des indigènes qui par leur existence même pourraient faire diminuer les dividendes. Pensez : ils doivent se nourir, les bougres... Ça coûte cher... Ça fait chuter les cours en bourse... Qu'on se rapelle les Cipayes ou les Mahdistes ou les Boers... Ou les Irakiens qui réclament une côte-part aux sheiks du Koweït pour avoir payé le lourd impôt du sang pendant la guerre qui les opposait à l'Iran.
Jingoïstes sont les déclamations ronflantes de la propagande américaine. Comme étaient jingoïstes les manchettes des feuilles londoniennes quand les soldats kakhis parquaient les femmes et les enfants boers dans des mouroirs sinistres entourés de barbelés qu'on n'appelait pas encore camps de concentration... L'objet de ce crime : les mines d'or du Transvaal ; l'objet du blocus du Golfe : le pétrole de Mossoul.
Le jingoïsme, ersatz impérialiste du réflexe identitaire
Le jingoïsme, écrivait un polémiste britannique du nom de Hobson en 1902, « c'est uniquement la convoitise non ennoblie par un effort, un risque ou un sacrifice personnel quelconque, du spectateur qui se délecte des dangers, des souffrances et de l'extermination de ses frères, qu'il ne connait pas, mais dont il souhaite ardemment l'anéantissement, dans un accès de haine et de vengeance aveugle et artificiellement provoqué. Le jingoïste est entièrement absorbé par le risque et la colère aveugle de la lutte. La difficulté et la monotonie pesante d'une marche, les longues périodes d'attente, les dures privations, l'accablement d'une longue campagne, ne jouent aucun rôle dans son imagination. Les moments qui ennoblissent la guerre, le beau sentiment de la camaraderie que développe le danger commun, les fruits de la discipline et de l'abnégation, le respect de la personne de l'ennemi dont on doit reconnaître le courage, et dans lequel on reconnaît peu à peu un homme, son semblable, tous ces moments qui atténuent la réalité de la guerre, sont des sentiments absolument inaccessibles au jingoïste....
Il est tout à fait évident que la volonté du jingoïste spectateur est un facteur très sérieux de l'impérialisme. La fausse dramatisation tant de la guerre que de toute la politique d'expansion impérialiste en vue de développer cette passion dans les larges masses occupe une place importante dans l'art des véritables organisateurs des exploits impérialistes : les petits groupes d'hommes d'affaire et d'hommes politiques qui savent ce qu'ils veulent et comment l'obtenir. Aveuglé par l'auréole vraie ou fausse de l'héroïsme militaire et les brillantes prétentions à l'édification d'empires, le jingoïsme devient l'âme d'un patriotisme particulier que l'on peut pousser à n'importe quelle folie ou à n'importe quel crime ». Voilà ce que nous disait Hobson en 1902 et que Lénine a consigné soigneusement dans ses cahiers sur l'impérialisme (Cahier "kappa").
La conjonction de la pratique impérialiste et de l'hystérie jingoïste prépare l'ère du parasitisme généralisé. Citons une nouvelle fois Hobson via Lénine : « Une grande partie de l'Europe occidentale pourrait alors prendre l'apparence et le caractère qu'ont maintenant certaines parties des pays qui la composent : le Sud de l'Angleterre, la Riviera, les régions d'Italie et de Suisse les plus fréquentées des touristes et peuplées de gens riches : à savoir une poignée de riches aristocrates recevant des dividendes et des pensions du lointain Orient, à laquelle viennent s'ajouter un groupe de plus en plus nombreux d'employés professionnels et de commerçants et un nombre plus importants de domestiques et d'ouvriers occupés dans les transports et dans l'industrie travaillant à la finition des produits manufacturés. Quant aux principales branches de l'industrie, elles disparaîtraient et la grande masse des produits alimentaires et semi-ouvrés affluerait d'Asie et d'Afrique comme un tribut ». Paroles prophétiques... à l'heure où l'Europe ne jouit pas d'une pleine indépendance alimentaire et où un grand nombre d'objet de consommation nous viennent de Taïwan, de Singapour ou de Chine.
Nous retrouvons une analyse similaire dans une étude récente, sur l'impérialisme français cette fois, due à la plume de J. Marseille. Ce professeur contemporain, à la suite d'une étude minutieuse des chiffres, démontre que l'aventure impérialiste française a été un frein à l'essor, au développement et à la modernisation du capitalisme français métropolitain. En d'autres termes, si la France a aujourd'hui plus de problèmes que l'Allemagne dans le jeu de la concurrence internationale, c'est parce qu'elle a trop investi dans son empire jadis et n'a pas misé, à l'instar de sa voisine germanique, sur les énergies nationales autochtones. Pour J. Marseille, au contraire, la décolonisation, dans les années soixante, favorise l'éclosion d'une industrie française parfaitement apte à la concurrence.
L'historien conservateur britannique Paul Johnson parle, pour sa part, d'hubris [démesure] et de némésis [vengeance] quand il évoque le lent déclin de l'empire britannique, tout en citant Bismarck qui a eu cette parole tranchée : "Les colonies n'ont pas plus d'utilité pour nous qu'une fourrure pour un comte polonais qui n'a pas de chemise". Johnson rappelle également les ravages de la Révolution industrielle en Grande-Bretagne : les masses paysannes écossaises et irlandaises ont été contraintes de travailler dans les industries ou d'émigrer en Amérique ou en Australie. La Grande-Bretagne perdait de la sorte son paysannat, socle de la nation.
À la même époque, les castes dirigeantes allemandes imposent des tarifs douaniers pour protéger le paysannat afin qu'il ne soit pas contraint de partir en Amérique : « l'agriculture doit nous fournir des soldats et l'industrie doit payer pour qu'il en soit ainsi ». Cet axiome de la politique allemande, partagé par les autres grandes puissances européennes, demeure la base de la politique agricole de la CEE : préserver une paysannerie européenne par de lourds prélèvements dans les secteurs industriel et des services. Le regard que nous venons de jeter sur l'histoire permet de comprendre la logique des négociations scabreuses du GATT qui viennent de se dérouler à Bruxelles, dont l'enjeu n'est rien moins que la subsistance économique de 50% du paysannat européen, soit 2,5 millions de familles.
L'impérialisme : une logique de fuite et une logique parasitaire
L'impérialisme est une logique qui privilégie les profits immédiats au détriment des investissements à long terme. Il est une logique de l'argent facile, de la jouissance hédoniste non une logique de travail et de discipline intérieure. L'Empire britannique s'est effondré, nous explique Johnson, et l'Angleterre est devenue un pays pauvre parce que ses élites ont été obnubilées par la vie facile du rentier, de celui qui manipule habilement les techniques boursières, obnubilés par le clinquant des aventures militaires impériales, par le jingoïsme, par les discussions sans objet des parlements de Westminster au lieu de s'investir dans les sciences et les techniques, la chimie ou la construction de machines, à la mode allemande, et de rationaliser ainsi les processus de production. Conclusion : la logique de l'impérialisme est une logique de fuite devant les réalités.
Logique de fuite qu'un des plus grand livre de la décennie 80 a bien mis en exergue. Je veux parler de l'ouvrage du professeur Paul Kennedy, The Rise and Fall of the Great Powers [Naissance et déclin des grandes puissances], digne héritier du célèbre Déclin de l'Occident d'Oswald Spengler. Kennedy souligne le danger de l'imperial overstretch [surexpansion impériale], de la surtension impériale, qui fait que la dispersion ubiquitaire de la puissance d'une nation sur l'ensemble de la planète, provoque à moyen ou long terme des déséquilibres budgétaires terriblement fragilisants, si bien que l'empire d'hier n'est plus qu'un gringalet aujourd'hui. Analyse qui s'applique tant à l'Empire britannique qu'au réseau impérialiste américain de notre après-guerre.
Or, Roosevelt avait annoncé avec fracas que le XXe siècle serait le "siècle américain", en fait un siècle dominé par une idéologie où se mêlent impérialisme économique, messianisme laïque, universalisme (one-worldisme) et jingoïsme. La justification morale de cet impérialisme offensif, de type nouveau, réside dans l'absolue certitude que l'Amérique, et l'Amérique seule, est l'incarnation du bien en ce monde. Pour l'Administration Roosevelt, les institutions américaines doivent être exportées partout dans le monde, afin de l'éclairer, sans, bien sûr, que l'on prenne la peine de voir si cette transposition peut ou non fonctionner dans n'importe quel contexte.
Avec l'instrument du dollar, l'Amérique doit unifier le monde, s'attacher le monde comme un appendice : tel était l'objectif du Plan Marshall. Quant aux récalcitrants, qui refuseraient cette béatitude, le feu de l'enfer doit les frapper : sous l'aspect des bombes au phosphore de Hambourg ou de Dresde, du feu atomique d'Hiroshima ou de Nagasaki, du napalm et des défoliants du Vietnam, des tapis de bombe de Panama, et des foudres dont on menace actuellement Saddam Hussein.
Selon l'un des pères fondateurs de la sociologie moderne, le Feldmarschall-Leutnant autrichien Gustav Ratzenhofer (1842-1904), la barbarie se distingue par une consommation effrenée qui engloutit plus qu'elle ne produit ; la civilisation, elle, se mesure au fait que la production dépasse toujours la consommation, par respect pour la Terre-mère et par souci de construire quelque chose de durable pour les générations futures. La société américaine présente tous les symptômes de la barbarie selon Ratzenhofer. La folie du crédit, la spirale des intérêts qui en découle, le gaspillage éhonté des ressources et des énergies, montrent bien qu'il y a hypertrophie de la consommation dans la société américaine, donc déséquilibre permanent donc barbarie.
Le Regnum grand-européen à bâtir
Cette absence d'éthique de la responsabilité, de souci du salut public, montre que l'impérialisme, sous toutes ses formes, est radicalement antinomique par rapport à notre idée impériale. Pour nous, quand nous utilisons le terme "empire" dans un sens positif, nous nous référons au Reich médiéval, au Regnum œkuménique européen ou, plutôt, aux théories modernes qui en récapitulent l'esprit, comme celles d'un Constantin Frantz au XIXe siècle ou celles, audacieuses et contemporaines d'un Reinhold Oberlercher.
Notre notion d'empire n'est pas inspiré de la Rome impériale déjà décadente, où les provinces étaient livrées à des proconsuls pillards, alors que la Rome républicaine reste une source vive d'inspiration pour toute la pensée politique européenne. Notre notion d'empire ne s'inspire pas de l'aventure napoléonienne, car, dans le sillage de la Grande Armée, s'instaure en Europe un droit révolutionnaire bourgeois et individualiste, hostile aux corporations et à toutes les formes d'associations professionnelles, d'enracinement local et économique.
Notre notion d'empire ne s'inspire pas non plus du modèle britannique, car celui-ci est économiquement exploitateur et favorise le parasitisme de petits rentiers improductifs. Et quand nous parlons d'empire, nous n'évoquons pas, bien sûr, j'ai été assez explicite à ce sujet, le modèle politique américain que Raymond Aron appelait la "république impériale".
L'Europe, si elle veut survivre, est appelée à devenir un bloc soudé par le destin, comme Carl Schmitt et Karl Haushofer l'avaient prédit : un grand espace soustrait à toutes les ingérences extérieures et, en même temps, un grand espace qui s'abstient, dans la mesure du possible, de s'immiscer dans les affaires des autres grands espaces de la planète. Exactement dans le sens de la véritable Doctrine de Monroe, élaborée pour un espace donné, rigoureusement circonscrit par la géographie. Effectivement, la Doctrine de Monroe n'a pas été conçue pour être étendue au monde entier, comme l'ont fait, par étapes successives, les présidents américains Théodore Roosevelt, Wilson et Franklin Delano Roosevelt.
En se revendiquant de la Doctrine de Monroe, nous explique Carl Schmitt, ces 3 présidents se réclamaient d'une thèse précise, énoncée au départ pour un espace donné, mais l'appliquaient tous azimuts, sans aucune restriction d'ordre géographique, ce qui est une contradiction majeure et une inconséquence. Contradiction et inconséquence sur lesquelles reposent la puissance américaine dans le monde depuis 1917. En pratique, ce monopole de proclamer des doctrines de non-ingérence doit être réservé aux États-Unis : personne ne peut intervenir en Amérique mais l'Amérique peut intervenir partout. Tel est le sens de la fameuse Doctrine de Stimson, proclamée en 1932, qui affirme que les États-Unis seuls sont en droit de reconnaître ou de ne pas reconnaître telle ou telle modification de frontière dans le monde. Et nous voilà revenu à l'affaire irako-koweïtienne... Et aux pourparlers du GATT à Bruxelles, où les États-Unis tentent par forcing d'imposer leur vision de l'organisation agricole du globe.
Le Grand Espace doit relayer l'État-Nation
Le danger que recèle l'interventionnisme tous azimuts des États-Unis et leur volonté de dicter les conditions économiques de toutes les régions du globe, rend impérieuse, aujourd'hui, une réflexion sur les notions schmittiennes et haushofériennes du Grand Espace, du Regnum européen, préfiguration d'une alternative planétaire au one-worldisme en vogue depuis Roosevelt. Le Grand Espace est l'instance qui doit englober et dépasser l'État-Nation issu de la Révolution française. Son avènement, en Europe et en Extrême-Orient, a été retardé par la victoire américaine de 1945. Mais malgré ce retard, sa pertinence n'en est pas pour autant caduque.
Au sein du Regnum, les nations, les nationalités, les ethnies, les identités, les patries charnelles sont à la fois préservées, dépassées et englobées. Le Regnum grand-européen ne pourra pas imiter le Regnum soviétique aujourd'hui en pleine liquéfaction : ce Regnum soviétique — même si, sur le papier, il prévoyait le respect de toutes les différences — est resté un cocktail explosif de peuples unis de force, par une idéologie communiste peu séduisante.
Le Regnum doit rassembler des nations ou des nationalités, soit des sujets réels et non formels du droit des gens, dans un projet commun, appuyé par un modèle constitutionnel précis, conjugant l'idée gaullienne d'un parlementarisme à vitesses multiples, avec les partis, les professions et les régions, à l'idée fédérale suisse et allemande, laissant aux Länder ou aux cantons une large autonomie en diverses matières. Sans oublier une charte sociale prévoyant la participation et l'intéressement.
L'Europe avance certes vers une "dévolution" générale : en Espagne, en Tchécoslovaquie, en Belgique, en Allemagne, en Grande-Bretagne, les instances de l'État central délèguent aux régions une partie de leurs anciens pouvoirs, selon le principe dit de subsidiarité, c'est-à-dire tout ce qui peut être dévolu, doit être dévolu. Mais est-ce suffisant ? Quel rôle devons-nous jouer, nous les inclassables, dans la foulée de cette tendance ? Notre rôle est de ne pas laisser cette dévolution s'opérer sans réforme de la représentation et sans volet social d'inspiration participationniste. Notre rôle est de traquer sans relâche l'influence néfaste des vieilles idées vermoulues qu'ont injectées les partis idéologico-centrés dans le tissu social.
Asseoir cette notion saine, populiste, ancrée, enracinée, du Regnum, c'est favoriser le retour du réel, de la concrétude, du charnel dans l'arène politique, dans les res publicae, et barrer plus sûrement la route aux ingérences de toutes natures portées par des projets irréels et irréalisables, qui, comme par hasard, sont tous d'inspiration universalistes, comme l'impérialisme américain, qui sont tous sans ancrage, comme les bénéficiaires de dividendes de la vieille Angleterre impériale.
En conclusion, je vous invite à lutter contre les discours médiatiques qui embrayent systématiquement sur la propagande jingoïste venue de Washington, capitale d'un pays en faillite et qui n'a, par conséquence, plus aucune leçon à nous donner. Je vous invite à compléter les inévitables dévolutions européennes par des programmes sociaux participationnistes, en revendiquant sans cesse une réforme des parlements dans le sens gaullien, en engageant un Kulturkampf sans compromis contre les reliquats des vieilles pensées et des vieilles pratiques partisanes. Ce qui trébuche, il faut l'abattre, disait Nietzsche en évoquant les vieux édifices philosophiques qui ne pouvaient plus prendre le réel à bras le corps. À l'aube du XXIe siècle, c'est, je crois, une citation qu'il convient de méditer.
Je vous remercie.
Je vous remercie.
► Robert Steuckers, Vouloir n°68-70, 1990. (intervention au colloque d'Espace Nouveau, Paris, 8 déc. 1990)
Commentaires
Enregistrer un commentaire