Merci, Giorgio Locchi
Août 1973. Sous le soleil torride d’une
rue d’Athènes. C’était un voyage scolaire, organisé par l’agence
Fratelzon. Nos guides sont notre professeur de latin, l’Abbé Simon
Hauwaert, et notre professeur de philosophie, le Frère Lucien
Verbruggen. L’Abbé Hauwaert était un fanatique de l’antiquité. Sa
vision du monde et son anthropologie héroïque, il la puisait dans l’Illiade et l’Odyssée, dans la littérature
latine.
Élève d’Albert Carnoy, l’indo-européanisant de l’Université de
Louvain entre 1920 et 1940, il insistait pour que nous lisions les Nibelungen et les Mabinogion, les Vedas et l’Avesta. Imposant à ses élèves le Vocabulaire raisonné latin-français
de Cotton, il nous communiquait le goût des étymologies et de la
comparaison linguistique. Il nous parlait d’un patrimoine commun aux peuples indo-européens.
C’est avec ces notions, encore vagues dans nos têtes, que nous
déambulions dans les salles des musées d’Athènes, sur l’Acropole, dans
les ruines d’Égine ou du Cap Sounion. Dans une rue d’Athènes donc, un
ami, aujourd’hui médecin, me signala avoir aperçu une publicité pour
une revue intellectuelle française, Nouvelle École, qui venait de publier un article sur cette question des Indo-Européens, en l’occurrence il s’agissait d’un travail de Giorgio Locchi intitulé «Le mythe cosmogonique des Indo-Européens».
Dès notre retour à Bruxelles, nous avons
remué ciel et terre pour en trouver un exemplaire. C’est l’ami médecin
qui a eu la chance d’acquérir l’unique numéro 19 de Nouvelle École
encore disponible à Bruxelles. J’ai dû me contenter d’une photocopie
de cet article de G. Locchi qui a décidé de mon destin. Sans la quête de
cet article, jamais je n’aurais connu Nouvelle École, a fortiori je n’y aurais jamais collaboré et je n’aurais jamais eu l’idée de lancer plus tard Orientations et Vouloir.
Je dois donc indirectement mon destin à G. Locchi. Nous nous sommes
abonnés à la revue, nous en avons commandé des exemplaires en librairie,
notamment celui sur Montherlant (n°20) et celui sur la biologie (n°18),
qui a servi de base à un autre ami, aujourd’hui gynécologue, pour un
“travail de maturité” en biologie. Si mes souvenirs sont bons, le numéro
sur Montherlant a servi à un tiers, dont j’ai perdu la trace. En 1976,
en 1977 et en 1978, je n’ai fait qu’entrevoir G. Locchi, lors de
colloques du GRECE, mais je me suis contenté de le saluer, n’osant pas
déranger le philosophe outre mesure. C’est à cette époque aussi,
qu’invité par Marc Eemans, j’ai commenté à la tribune du Centro Studi
Evoliani de Bruxelles son maître-article de Nouvelle École
(n°20), intitulé «Le règne, l’empire et l’impérium». Dans la salle,
enthousiaste, un octogénaire brillant, qui avait gardé toute sa fougue
oratoire, tout son à-propos philosophique: Pierre Hubermont, un grand
Wallon de ce siècle.
En arrivant à Paris en mais 1981 pour prendre mes fonctions de secrétaire de rédaction de Nouvelle École,
j’ai demandé immédiatement où était G. Locchi. On m’a répondu
vaguement, «qu’il s’était retiré, qu’il n’avait plus envie de
travailler, qu’il préférait désormais la télévision, qu’il était un peu
paresseux!». J’ai appris très vite que ce discours masquait une
querelle dont j’ignorais les tenants et les aboutissants et était bien
sûr mensonger, était l’expression d’une épouvantable mauvaise foi.
Quelle déception, pour moi qui imaginait pouvoir bénéficier de l’insigne
honneur de travailler avec G. Locchi! Celui-ci venait en effet de
rompre avec l’équipe de Nouvelle École, mais travaillait ferme
avec ses amis italiens, publicistes et éditeurs. Il n’était donc pas
“hors course”. Au bout de 9 mois, j’ai quitté Paris sans avoir vu G.
Locchi.
Je ne l’ai revu que 7 ans plus tard,
lors d’un petit colloque, où nous étions 3 orateurs: G. Locchi, notre
aîné, le philosophe chevronné, Pierre Krebs, l’éditeur d’Elemente
à Kassel en Hesse, aujourd’hui docteur en lettres de la Sorbonne grâce
à une thèse admirable sur Paul Valéry, et moi-même. Le soir, au
restaurant Le Dauphin, avec Jean Mabire,
Tahir de la Nive, André Casanova et bien d’autres, Pierre Krebs et moi,
nous nous sommes retrouvés en face de Giorgio et d’Elfriede Locchi.
Giorgio, que je rencontrais véritablement pour la première fois, me
donnait l’impression d’une immense sérénité, d’une grande douceur, mais
qui cachait une détermination inébranlable dans ses convictions,
solidement étayées par un corpus philosophique classique de très haut
niveau.
G. Locchi avait le don de narrer des
anecdotes, mais dès qu’il avait fini de les raconter, il les hissait
aussitôt, avec une élégance surprenante, à un niveau philosophique, leur
donnait une dimension cosmique. Détail surprenant, nous avons parlé,
une fois n’est pas coutume, surtout à l’étranger où l’on se désintéresse
totalement de ce genre de choses, du roi des Belges, Baudouin ler. G.
Locchi l’avait rencontré à la fin des années 50, quand le roi était
encore célibataire. Giorgio était l’envoyé du Tempo; il faisait
une enquête sur les monarchies d’Europe. Et 2 ans plus tard, il
“croquait” pour son quotidien romain le mariage d’Albert de Saxe-Cobourg
et de Paola. Giorgio Locchi m’a dit qu’une sympathie immédiate s’est
établie entre lui et le roi. Qu’il a conversé longuement avec le
souverain et croyait avoir décelé chez lui une grande tristesse, celle
de ne pouvoir s’adonner à ses passions sportives (aviation,
parachutisme) ou à ses désirs de voyages ou d’exploration, hérités de
son père, Léopold III.
Après cette soirée, je n’ai plus revu G.
Locchi. 1988 a été riche en événements divers. En 1990, la maladie a
surpris Giorgio; il l’a vaincue mais est sorti affaibli de l’épreuve. Le
25 octobre 1992, les Nornes ont cessé de lui tisser un destin. G.
Locchi est mort d’un arrêt cardiaque en travaillant, en combattant.
Pour le déclic que vous avez provoqué en août 1973 sous le soleil d’Athènes, pour vos articles de Nouvelle École, Giorgio Locchi, merci!
* * *
(Vouloir n°97/100, 1993).
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RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerMerci pour votre bel article. Pourriez-vous numériser l'article « Le mythe cosmogonique indo-européen : reconstruction et réalité », de Giorgio Locchi du numéro 19 de la revue Nouvelle École et le mettre en ligne je vous prie? Il nous a été impossible de le trouver sur Internet, ni de le commander sur le site de la revue Éléments, et il serait dommage que cette ressource disparaisse.
Merci d'avance
Je vais demander à mon collègue de le faire (s'il ne l'a pas déjà fait...). Il est souffrant pour l'instant et en convalescence. Vérifiez de votre côté s'il n'est pas sur http://vouloir.hautetfort.com ou sur http://archieveseroe.eu . Inutile d'essayer du côté de Nouvelle école, ils ont ignominieusement chassé Giorgio Locchi et l'ont vilipendé pendant des années.
RépondreSupprimerBien à vous,
RS.
Vous avez ceci: http://www.archiveseroe.eu/mythe-a48671384
RépondreSupprimerBonsoir Monsieur Steuckers,
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour votre réponse rapide et le formidable travail que vous faites. Oui je connais le site que vous avez donné dans votre seconde réponse, et je suis heureux d'y trouver une communication de Monsieur Locchi. Je ne savais pas pour la Nouvelle École...
J'espère que l'article de Locchi de la Nouvelle École n° 19 pourra être mis en ligne lorsque votre collègue ira mieux.
Bien à vous,
MO.