Robert Steuckers:
En souvenir de Gilbert Sincyr (1936-2014), Premier Président européen de “Synergies Européennes”
J’ai
rencontré pour la première fois Gilbert Sincyr à l’Ecole des Cadres du
G.R.E.C.E. de 1980, baptisée “Promotion Thémistoklès Savas”, du nom d’un
camarade grec, tué quelques mois plus tôt dans un accident de moto,
alors qu’il sillonait les routes étroites et sinueuses des montagnes de
l’Epire. Cette “Ecole des cadres” était rondement menée par Philippe
Marceau qui, plus tard, sous son vrai nom, animera les structures des
“Identitaires” avant de s’en dissocier récemment pour aborder d’autres
activités. Marceau était cadre d’entreprises et abordait les choses de
manière pragmatique: il avait notamment fait activer une caméra qui nous
filmait alors que nous devions prononcer un bref exposé ou répondre à
des questions critiques venues d’un public certes fictif mais dont les
interpellations étaient bel et bien calquées sur celles que formulaient
les participants aux activités du G.R.E.C.E. qui vivait alors sa période
de gloire, bien ancré qu’il était dans le monde médiatique grâce au
“Figaro Magazine”. Dans ces exposés filmés, pas question de se gratter
le nez, de jouer avec un stylo à billes, de se tordre les paluches car
le film montrait combien de tels gestes inconscients étaient ridicules:
immense leçon de modestie et de maîtrise de soi! Marceau avait aussi
prononcé un exposé d’une clarté limpide sur les types de personnes à
recruter pour animer des cercles locaux, des antennes régionales, etc.:
je m’en suis toujours souvenu! On était loin du pilpoul que d’aucuns ont
reproché au G.R.E.C.E. quelques années plus tard, après que Marceau eût
tiré sa révérence.
Sur les crêtes du Lubéron
Cette
“Ecole des cadres” avait prévu, comme d’habitude dans toutes les
activités du G.R.E.C.E. en Provence, une longue promenade sur les crêtes
du Lubéron. Gilbert Sincyr était dans mon équipe et jouait le rôle du
serre-file derrière les plus jeunes, dont Patrick Bouts, Stefano Sutti
Vaj et moi-même, qui gambadions comme des cabris. Sincyr m’a alors dit
qu’il venait de fêter ses 44 ans et qu’il avait beaucoup “crapahuté”
(terme militaire qu’il m’a appris!) en Algérie pendant le conflit qui
avait opposé la France au FLN. Gilbert Sincyr, originaire de Picardie,
de la région d’Abbeville, avait en effet servi en Algérie de 1958 à 1961
comme conscrit dans une unité de combat particulièrement efficace et y
avait gagné une citation. Il s’était ensuite installé dans la région de
Toulouse. Après l’“Ecole des cadres” de 1980, j’ai revu Gilbert Sincyr
en Provence, à Roquefavour, en juillet 1984, où il était accompagné de
son fils. C’était à l’occasion d’un séminaire spécial organisé par
Guillaume Faye, à l’époque infatigable animateur du département “Etudes
et recherches” du G.R.E.C.E. Nous avons eu quelques conversations
banales, sur la famille, les études, le quotidien, réalités prosaïques
sur lesquelles Gilbert Sincyr a toujours voulu demeurer branché, avec
raison, car elles sont le socle incontournable de toutes nos actions (et
Heidegger ne l’aurait pas démenti...). Gilbert Sincyr m’a aussi parlé,
au cours de ces journées, de ses activités de délégué syndical au sein
de son entreprise, qualité inhabituelle en milieux néo-droitistes à
l’époque.
Deux
ans plus tard, Gilbert Sincyr remplace Jean-Claude Cariou au poste de
Secrétaire-général du G.R.E.C.E. Tâche ardue et ingrate car l’éviction
de Cariou, à cause des manigances abjectes d’Alain de Benoist et de sa
clique de séides infréquentables, a été une page fort sombre de
l’histoire du G.R.E.C.E, sur laquelle je me suis déjà exprimé (*). C’est
bien sûr une époque où le G.R.E.C.E. ne dispose déjà plus de “fenêtres”
dans le monde médiatique, celui qui compte vraiment dans l’Hexagone:
ses équipes ont été exclues du “Figaro Magazine” et l’entreprise
ambitieuse d’Alain Lefèbvre, “Magazine Hebdo”, a également capoté au
bout de deux années, étouffée par le refus des publicitaires d’acheter
des pages dans ce “news” d’un non-conformisme finalement assez ténu. Par
ailleurs, les options trop “droitistes” de ces organes de presse ne
cadraient plus exactement avec l’évolution intellectuelle et critique du
mouvement, où l’on avait décidé, dorénavant, de mettre l’accent sur une
défense des valeurs historiques européennes contre les non-valeurs
imposées par le soft power
de la “Communauté atlantique”, sur la nécessité d’une déconnexion par
rapport à l’O.T.A.N. et aux institutions économico-financières de
l’Occident, toutes positions que le public de droite, giscardien ou
chiraquien, n’était pas prêt à accepter. Gilbert Sincyr devait alors
gérer son secrétariat dans un espace où s’accumulaient les porte-à-faux.
Quand Sincyr était Secrétaire Général du G.R.E.C.E., je n’ai
pratiquement jamais eu affaire à lui, l’année 1986 ayant été la plus
dynamique et la plus active du groupe E.R.O.E. (“Etudes, Recherches et
Orientations Européennes”), qui, au départ de Bruxelles, travaillait
très étroitement à l’époque avec ses amis britanniques du groupe IONA et
allemands du “Gesamtdeutscher Studentenverband” (GdS), ainsi que dans
un cadre belge bien bilingue, grâce notamment aux efforts d’Erik Van den
Broele, de Bruges, et du regretté Reinhard Staveaux, de Ternat, décédé
prématurément quelques années plus tard. A cette époque, où je ne
passais presque plus à Paris, je n’ai eu qu’une très brève conversation
avec Sincyr dans les locaux du G.R.E.C.E., rue Charles-Lecocq dans le
XVème. Manifestement, de Benoist, inquiet et jaloux du succès,
finalement fort modeste, de l’E.R.O.E. avait raconté à Sincyr pis que
pendre à notre sujet —car tous ceux qui lui déplaisaient étaient
toujours décrits comme de “dangereux extrémistes” ou des “terroristes
potentiels”— et le Secrétaire général du G.R.E.C.E., qu’était devenu
Sincyr, prenait alors des airs fort soupçonneux en me posant des
questions sur nos activités.
Un secrétariat général très difficile
Mais
tout en prêtant l’oreille aux médisances fielleuses d’Alain de Benoist,
heureusement contrebalancées par les analyses plus rationnelles de la
situation que posait Guillaume Faye à l’époque, Sincyr s’apercevait que
le navire prenait eau de toutes parts. Cariou laissait derrière lui un
grand vide, d’autant plus que le prestigieux Président, le Prof. Jean
Varenne, indianiste de réputation internationale, avait été écoeuré et
atterré par le comportement inique des hommes de mains français et
vietnamiens d’Alain de Benoist, lors du “procès” interne intenté contre
Cariou, viré illico pour avoir osé demandé un salaire décent pour Faye, à
l’époque principal animateur de la revue “Eléments”. Varenne avait
définitivement quitté les locaux de la rue Charles-Lecocq, sans mot dire
et sans plus jamais donner de nouvelles. D’autres avaient fondé une
association parallèle, l’I.E.A.L. (“Institut Européen des Arts et des
Lettres”), qui appuyait l’E.R.O.E. dans ses initiatives françaises ou
franco-belges (et c’est surtout cela qui inquiétait de Benoist...).
Ensuite, au printemps de l’année 1987, Faye prend définitivement congé
du G.R.E.C.E, en rédigeant une lettre très pondérée et équilibrée aux
amis de son combat métapolitique, puis anime, dans un premier temps, les
cercles bretons de Paris avec son ami de toujours, Yann-Ber Tillenon,
avant de disparaître pendant une douzaine d’années dans l’univers très
différent du show-bizz. Au bout de dix-huit mois, Sincyr est bien forcé
de s’apercevoir, à sa grande désolation, que la baraque est vide, sauf
bien entendu le bureau capharnaümesque de l’intrigant-en-chef, flanqué
de son bougre-à-tout-faire que j’aimais à surnommer “Vlanparterre”,
loueur de microphones et recruteur de tirailleurs tonkinois (on me
comprendra...). C’est alors au tour de Sincyr, désabusé, de tirer sa
révérence, de retourner à Toulouse et de dresser le bilan avec ses amis
de la région, fort nombreux, au départ, à avoir été séduits par le
combat métapolitique du G.R.E.C.E. Ces personnalités du pays toulousain,
du Languedoc et du Bordelais vont alors, autour de Sincyr, réfléchir à
d’autres possibilités de réamorcer un combat métapolitique efficace sans
qu’il ne soit, cette fois, handicapé par l’irrationalité puérile et
malfaisante de personnalités narcissiques, de vieux gamins immatures à
problèmes irrésolus, et sans véhiculer un flou artistique permanent et
désorientant quant au message à transmettre. C’est fort de ce repli, de
ce “withdrawal” introspectif, que Sincyr me recontactera cinq ans plus
tard.
En
attendant, onze ans se sont écoulés depuis notre première rencontre en
Provence: Sincyr a désormais 55 ans. A l’automne 1988, Charles
Champetier, qui n’a que dix-neuf ans, a pris contact avec le G.R.E.C.E.
moribond, végétant autour de de Benoist et de son drôle de zouave de
Vlanparterre. Champetier donne réellement une impulsion nouvelle à
l’association qui, grâce à ses très jeunes recrues, va connaître une
renaissance vigoureuse dans les années 1989 et 1990. Le G.R.E.C.E. est
désormais flanqué d’une structure modeste mais efficace que l’on a
appellé “Nouvelle Droite Jeunesse” (N.D.J.). Elle publie un bulletin,
“Metapo”, que je fais imprimer à Bruxelles.
Universtié d’été 1991
Début
1991, après une épuration de cette structure, à l’instigation du grand
comploteur habituel, le G.R.E.C.E.-N.D.J. se rétrécit, perd quelques
fortes personnalités jeunes (issues des milieux néo-gaullistes ou
gaullistes de gauche) et s’aligne sur la politique erratique des
“aggiornamenti” constants et quotidiens, sur la fébrilité touche-à-tout
d’Alain de Benoist qui prend un malin plaisir à choquer et à désorienter
ses propres vieux amis, au lieu de leur expliquer calmement, avec
bienveillance, la nécessité qu’il y a parfois (mais pas toujours...) à
adapter le discours sans renoncer à l’essentiel. Champetier,
malheureusement, fasciné au mauvais sens du terme par son “Maître”,
embraye sur cette politique néfaste, croyant bien faire et n’ayant plus
rien à perdre car son militantisme trop zélé l’a conduit à rater ses
études: il est désormais un jouet aux mains de son manipulateur retors.
L’Université d’été du G.R.E.C.E. de 1991 est une catastrophe, alors que
celle de 1990 avait été un franc succès. Sous l’impulsion de Maurice
Rollet et d’Arnaud Hautbois, les veillées, en cette campagne isolée de
l’arrière-pays aixois, comprenaient, faute d’autres distractions, des
libations diverses mais surtout des sketches amusants, imités, le plus
souvent de ceux de Thierry Le Luron, vedette du show-bizz à l’époque.
Hautbois était un virtuose de ce genre de spectacle et un bon imitateur
de Le Luron. Pendant que Hautbois se démenait sur la scène improvisée,
le lugubre de Benoist était au fond de la salle, l’air sinistre, la
trogne grimaçante, le cul pincé, la lippe nicotinée prête à éructer, et
désapprouvait l’humour (faculté dont il est effectivement dépourvu) des
animateurs. L’un d’eux, ami de Guillaume Faye, E.L., avait émis quelques
blagues en chantant dans une fausse langue soi-disant
“vieille-slavone”. Ces histoires drôles et ces contrepèteries étaient
peut-être un peu lourdes mais je ne me souviens pas de leur teneur tant
elles étaient somme toute anodines, en marge des sketches de Hautbois.
Aussitôt, de Benoist ordonne qu’E.L. soit jugé par un tribunal composé à
la hâte, présidé par le nouveau Secrétaire Général Xavier Marchand. Les
“juges” s’installent alors à une grande table disponible dans une pièce
annexe et le “prévenu” doit s’installer sur un vieux siège avant de
Peugeot 403, au tissu complètement élimé, sans pieds, ce qui le place
automatiquement très bas —les longues jambes de cet homme de haute
taille étant pliées, avec les genoux à hauteur de son menton— par
rapport à ceux qui vont, dans ce tribunal de sotie, prononcer sa
condamnation avec toute la sévérité voulue. J’étais effaré du spectacle
mais le prévenu n’était guère impressionné: il répondait en rigolant et
augmentait ainsi la fureur de ses interlocuteurs, qui fulminaient des
imprécations “logorrhiques” sans rien entendre. Maurice Rollet était
bien embêté et aurait voulu éviter cet incident grotesque. Je regardais
la scène par une fenêtre et je m’esclaffais, incapable de retenir un
rire homérique en zyeutant les tronches courroucées de Benoist et de
Marchand. A côté de moi, une militante du Périgord, qui avait suivi la
ligne de retrait préconisée par Sincyr et ses amis des pays occitans,
qui était venue espionner les néo-grecistes, me dit que ce type de
comportement n’est pas d’esprit “communautaire” comme il faudrait
l’entendre et que les déviances idéologiques boîteuses et fumeuses
émises depuis l’épuration récente de la N.D.J. ne faisaient que jeter le
désarroi et la confusion dans les esprits. Elle me signale qu’une
structure alternative a été construite à la manière d’un “second
échelon” et que ce second échelon aurait bien besoin de mes compétences.
J’entendais
tout de même respecter mon serment de rester fidèle à la structure de
départ, sans doute parce que je suis naïf et candide comme Tintin, ou du
moins que je l’étais encore à l’époque, où je n’avais que 35 ans. De
toutes les façons, il fallait que je montre à autrui, amis comme
adversaires, une bonne cohérence dans mes engagements, faute de quoi
j’aurais eu l’air ridicule. Mais je ne contestais pas la nécessité de
corriger le tir, vu que l’association, qui avait pourtant connu une
renaissance entre 1989 et début 1991, repartait de plus belle en
quenouille, sous la fausse direction d’une parfaite marionnette comme
Xavier Marchand, nouveau “Secrétaire général” et, par là, successeur de
Sincyr. Des paroles de la jeune dame du Périgord, je retenais donc avec
satisfaction qu’il existait un “second échelon” capable, éventuellement,
de mieux fonctionner, composé d’hommes et de femmes formés au
G.R.E.C.E. des temps héroïques, peu enclins à varier selon les humeurs
et les dernières lectures ou propos commensaux d’Alain de Benoist.
Marchand avait cependant surpris mes conversations avec la militante
périgourdine et répéré une de nos escapades en Mini Morris vers le
bureau de poste de Ventabren, afin de pouvoir causer à la terrasse d’un
bistrot local sans craindre les oreilles indiscrètes. Aussitôt Marchand
m’a soupçonné (et son patron avec lui) de faire partie du “second
échelon”. Plus tard, à Paris, Marchand, la mine coléreuse, m’apostrophe
en me parlant de ce “second échelon”: je fais le bête parce que je n’en
sais finalement pas grand’chose, la militante périgourdine ayant été
très vague comme il se doit; Marchand enchaîne, me décrit parfaitement
ce que cette structure encore inconnue représente en réalité et me
déclare tout de go que ce “second échelon”, véritable incarnation du mal
pour de Benoist, dispose désormais de plus de militants et de fonds que
son propre G.R.E.C.E.! Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd!
Quelques semaines plus tard, une voix venue du “second échelon” me
précise au téléphone qu’une fidélité au G.R.E.C.E. n’est pas
incompatible avec une participation discrète aux séminaires du “second
échelon”. Je participe à l’un d’eux et c’est là que je revois Sincyr qui
me dit être l’un des principaux hommes-orchestre de ce “second échelon”
et que son intention avait toujours été de poursuivre le combat
métapolitique qu’il avait promis de mener, comme moi, quand il était au
G.R.E.C.E.: la déréliction dans lequel celui-ci était plongé empêchait
tout un chacun de travailler de manière cohérente à une oeuvre
métapolitique donc de respecter son serment.
Ce
n’est qu’après le colloque du G.R.E.C.E. de décembre 1992 que je romps
définitivement avec le petit club gravitant autour d’Alain de Benoist,
qui avait mené tout au long de l’année, sous la houlette de Marchand et à
l’instigation de Benoist himself,
de véritables cabales contre ma personne, notamment parce que je
collaborais à la revue de Michel Schneider “Nationalisme &
République” et, bien sûr, parce que j’étais désormais considéré comme
une “taupe” du “second échelon”. C’était peut-être amusant de démonter
les intrigues à deux sous de ce jeune sot de Marchand mais les plus
courtes étant les meilleures, cela devenait fatigant à la longue,
d’autant plus que le seul garçon chaleureux et jovial de la bande,
Arnaud Hautbois, venait d’être viré sous des prétextes futiles,
poursuivi par la haine de son concurrent, Arnaud Guyot-Jeannin, qui ne
rêvait que d’une chose: prendre sa place, remplacer sa truculence et sa
jovialité par un guénonisme de Prisunic. Cependant, dans mes
conversations avec Sincyr, j’avais bien précisé que notre combat
métapolitique devait être public et surtout visible, au nom de la notion
de “visibilité” que préconisait Carl Schmitt, sans doute inspiré,
catholique rhénan qu’il était, par le verset évangélique qui dit que
l’on ne peut cacher un luminaire sous un boisseau.
Sortir le luminaire du boisseau
L’occasion
de sortir le luminaire du boisseau se présente en janvier 1993. Après
avoir entendu les arguments des uns et des autres suite à mon départ
définitif du G.R.E.C.E., j’ai fini par estimer, avec Christiane Pigacé
et Thierry Mudry, qui collaboraient tous deux à “Nationalisme &
République” comme moi, que les rencontres provençales d’été devaient
être maintenues et entretenues sans les vaudevilles organisés par Rollet
(qui faisait dans le burlesque) et de Benoist (qui avait fait dans le
fouquier-tinvillisme de carnaval). Grâce à Philippe Danon, ancien cadre
d’Alcatel, ami des Mudry, nous avons pu disposer d’un gîte rural de
haute qualité en Provence. Sincyr était enthousiasmé: il voulait lui
aussi sortir le luminaire du boisseau et nous lui offrions là une
occasion rêvée, un projet cohérent et bien étayé. Il crée alors la
F.A.C.E. (“Fédération des Activités Communautaires en Europe”),
structure formelle qui sort partiellement le “second échelon” de
l’informalité et du silence. Ce sera donc la F.A.C.E. qui organisera les
deux premières universités d’été provençales (1993-1994), organisées
sous la quadruple houlette de Christiane Pigacé, Thierry Mudry,
Alessandra Colla et moi-même et sous le patronnage de Julien Freund.
Plusieurs associations, groupes d’amis, structures modestes et
informelles avaient mis leurs efforts en commun grâce à l’appui de
Sincyr. Cette première université d’été fut donc un succès. Inespéré au
départ!
Au
printemps 1994, nous décidons, à Munkzwalm en Flandre orientale, de
mettre sur pied “Synergies Européennes”, dont Sincyr sera le premier
Président européen. Ce fut une aventure formidable qui durera une bonne
dizaine d’années et qui ressuscitera en 2007 sous la forme d’un blog,
alimenté chaque jour par des articles de fonds ou des vidéos, désormais
connu sur la planète entière. En 1995, l’Université d’été connait un
nouveau succès remarquable, alors qu’en 1994 elle avait été moins
fréquentée. A partir de 1996, elle se tient en Italie, d’abord à
Madesimo près du Splügenpass, très haut dans la montagne, où Sincyr et
moi partagions une chambre dont la fenêtre offrait une vue imprenable
sur la vallée. En 1997, elle se tiendra à Varese. En 1998 dans le
Trentin. Plus tard, elles se tiendront à Pérouse et à Gropello di
Gavirate, sur les bords du Lac de Varese, avec vue sur le Monte Rosa (ou
Lyskamm) dont Julius Evola avait escaladé la face nord. Ensuite, de
2001 à 2003, elles se tiendront en Allemagne, à Vlotho im Wesergebirge.
Entre les universités d’été, de nombreux séminaires s’organiseront en
France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Autriche, au Portugal,
etc. Comment ne pas se souvenir de notre voyage commun à Lisbonne, début
novembre 1993, où nous devions inaugurer une antenne? Comment oublier
ce passage au Cabo da Roc, point le plus occidental du continent
européen, où nous avons grelotté sous un vent très froid venu du grand
large?
1998: année fatidique
Rétrospectivement,
je regrette que l’année 1998 ait provoqué notre rupture pour des
raisons finalement indépendantes de nos volontés. Je vais m’expliquer.
D’abord la fusion fin 1997 entre la D.E.S.G. (“Deutsch-Europäische
StudienGesellschaft”) de Hambourg et “Synergies Européennes” donne un
poids plus lourd au pôle allemand et, par ricochet, au nouveau Président
de “Synergies Européennes-France”, le Professeur Jean-Paul Allard,
brillant germaniste, qui prend la parole au Château de Sababurg en Hesse
lors de la journée d’étude, organisée pour sanctionner la fusion entre
les deux associations, journée mémorable appuyée par la présence du
Croate Tomislav Sunic et d’une forte délégation autrichienne. Allard et
moi estimions que nos activités ne pouvaient opérer un retour en
arrière, c’est-à-dire servir de prélude à une réconciliation
hypothétique avec le G.R.E.C.E., sur base d’un travail assidu dont nous
aurions dû donner le meilleur exemple et impulser de la sorte une
dynamique entraînante. Sincyr avait toujours cultivé l’illusion qu’une
telle réconciliation “pan-néo-droitiste” lui aurait permis de demeurer
fidèle à tous ses serments de combattant métapolitique et de voir
l’avènement d’un mouvement plus vaste, regroupant dans l’unanimité tous
ceux et celles qui partageaient nos valeurs. Allard lui avait démontré
l’impossibilité d’une telle réconciliation, vu les intrigues permanentes
de Benoist et d’autres personnages peu reluisants, et ce fut là l’objet
majeur de leurs conversations dans les avions qui les avaient menés de
Lyon à Hanovre et retour. Allard ne percevait pas l’utilité non plus de
revenir au “repli” qui avait permis l’éclosion du “second échelon”.
Sincyr, qui n’était pas a priori germanophile (bonne chose car il faut
se méfier des dérives saugrenues de bon nombre de Français germanophiles
qui ne parlent pas l’allemand), qui avait simplement conservé une
admiration sincère pour des légionnaires allemands sacrifiés en Algérie à
ses côtés, s’est-il méfié de cet apport germanique prestigieux qui
aurait pu déplaire à certains de ses amis, peu soucieux, à juste titre,
de singer des germanophiles infréquentables de la place de Paris ou
d’ailleurs dans l’Hexagone? On peut émettre l’hypothèse. Mais la
D.E.S.G., fondée en 1964, a toujours été d’un européisme positif et n’a
jamais basculé dans un nationalisme anti-démocratique et hystérique.
Elle était le meilleur interlocuteur dont on pouvait rêver en Allemagne.
Il suffit de consulter la collection des cahiers “Junges Forum” qu’elle
éditait.
Malgré
les succès des séminaires de “S.E.-Ile-de-France” sur l’Allemagne et
sur la Russie, Sincyr sera déçu par la faible affluence lors d’un
troisième séminaire parisien sur le thème de “Littérature et rebellion”
où Marc Laudelout, du “Bulletin célinien”, et Nicole Debie, célinienne
historique, avaient pris la parole aux côtés du philosophe futuriste et
heideggerien Jean-Marc Vivenza. Le sentiment d’être supplanté par Allard
qui, de surcroît, partageait ma politique de “visibiliser et de
pérenniser la rupture”, et la déception suite au séminaire parisien si
peu fréquenté du printemps 1998 sont, à mes yeux, les deux raisons
majeures qui vont conduire Sincyr à désespérer de notre propre création,
lancée au début des années 90. J’aurais aimé avoir avec lui une
conversation rétrospective sur cette année 1998, où il semble avoir
perdu espoir, alors même que des horizons nouveaux s’ouvraient à nous,
notamment grâce aux contacts pris lors de la journée d’hommage à Julius
Evola, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. Cette
journée avait rassemblé à Vienne, dans les locaux de la “Burschenschaft
Olympia”, des amis venus d’horizons divers, d’Italie, de Hongrie,
d’Allemagne, d’Autriche, de Grande-Bretagne, de Suisse et de Belgique.
Les questions que j’aurais voulu poser à Sincyr sur ses réticences de
1998 demeureront pour toujours sans réponse et je le regrette vivement.
Comme je regrette qu’une maladie foudroyante ait mis un terme prématuré à
la carrière du Prof. Jean-Paul Allard, qui n’a plus pu exercer ses
fonctions de Président de “Synergies Européennes-France”.
Nos contradictions
Le
décès de Gilbert Sincyr le 6 février 2014, et l’hommage qui lui est dû
pour sa fidélité constante et inébranlable au combat métapolitique, ne
doit pas nous amener à nous voiler la face. Il y avait entre lui et moi
des contradictions accumulées —qui ont atteint en 1998 une intensité
difficilement gérable— et les dévoiler dans cet hommage n’a pour but que
de servir l’histoire authentique (et non trafiquée) de nos initiatives
(dont certains ont déjà la nostalgie, à commencer par moi-même) et, plus
essentiellement encore, de montrer des ambigüités qui ne doivent plus
jamais se répéter; elles doivent plutôt servir à éclairer ceux qui,
jeunes et ardents, s’engagent, aujourd’hui, dans un combat
métapolitique, quel qu’il soit mais dont les modèles auront peut-être
été les nôtres, parmi de nombreux modèles possibles. L’année 1998 a
sanctionné la rupture entre Sincyr et moi; elle reposait sur trois
faisceaux de motifs: 1) la définition du paganisme; 2) les ambigüités
dans l’attitude à adopter vis-à-vis du G.R.E.C.E. et 3) l’attitude qui
consiste à écouter ou à ne pas écouter les sirènes séductrices de tiers
mal intentionnés ou de pseudo-camarades trop timorés, en l’occurrence
ceux qui se présentent comme amis mais veulent la disparition de votre
structure, parce qu’elle est perçue comme concurrente ou comme
dangereuse (pour leur confort personnel ou leur quiétisme paresseux).
Précisons ces trois points. 1) Sincyr cultivait une vision naïve du
paganisme qui, à mon humble avis, risquait de discréditer le mouvement
si elle s’exprimait de manière trop visible. Pour moi, pour Vivenza ou
pour Allard, le “paganisme” était un retour aux Grecs, aux racines
classiques de notre culture européenne, par le biais de la philosophie
contemporaine, notamment Heidegger. Nous étions conscients également de
la nécessité d’une liturgie basée sur le rythme des saisons, comme
l’avait préconisé David Herbert Lawrence (**) dans son petit livre
intitulé “Apocalypse” ou sur la nécessité de renouer avec les idées
religieuses rénovatrices de l’époque qui avait immédiatement précédé la
“révolution conservatrice” (***). Mais qui dit liturgie ne doit pas
nécessairement s’ingénier à inventer de nouveaux rituels, détachés de
tout contexte, qui peuvent trop aisément s’assimiler à de la parodie.
Ces nouveaux rituels et ces quelques ornements ou objets
pseudo-sacerdotaux, auxquels Sincyr tenait beaucoup, expliquent
notamment l’attitude dubitative de nos amis espagnols et, par voie de
conséquence, l’enlisement de S.E. en Espagne.
Ensuite,
2) il y avait l’ambigüité que cultivait Gilbert Sincyr face au
G.R.E.C.E., auquel comme moi, il avait prêté serment. Mais un serment à
mes yeux crée une “Eidgenossenschaft” qui doit impérativement
fonctionner dans les deux sens. Au G.R.E.C.E., après les départs de
Marceau et de Cariou, les valeurs —qui devraient nécessairement
structurer toute “communauté du serment”— ont été systématiquement
piétinées par de Benoist, être incapable de s’aligner sur des vertus
fortes et admirables comme la fidélité et incapable aussi de percevoir
la sacralité que revêt tout serment, en dépit des pensums qu’il a
gribouillés à tours de bras, au début de sa carrière, sur la fidélité
des anciens Germains ou autres ancêtres réels ou imaginaires. Aucune
société alternative, contestatrice d’un quelconque ordre établi, ne peut
cependant fonctionner sans de telles vertus et sans hommes capables de
les incarner. Une société alternative n’est pas un parti politique en
place, bien établi, où ce genre d’intrigues est monnaie courante, comme
nous l’apprennent les actualités, chaque jour qui passe. J’étais donc
partisan de bien visibiliser la rupture entre S.E. et le G.R.E.C.E., en
la soulignant, dans chaque numéro de nos revues, au détour de quelques
phrases sarcastiques ou moqueuses, de manière à ne jamais être assimilé
au pandémonium greciste, à ne jamais avaliser les évictions iniques qui
avaient marqué l’histoire trouble du mouvement, surtout dans les années
80. Sincyr, plus âgé et certainement d’un tempérament plus conciliateur
que moi, voulait “oublier” ces dérapages qu’il jugeait certes navrants
mais non rédhibitoires pour façonner un (très) hypothétique futur
néo-droitiste unanimiste et consensuel. Personnellement, j’estimais que
ce “modus operandi” greciste et benoistien, tissé d’intrigues glauques
et d’évictions iniques, était indéracinable et, par voie de conséquence,
les “oublier” revenait à s’y exposer une nouvelle fois, ultérieurement,
avec le risque de faire capoter de bonnes initiatives où de Benoist
n’aurait pas été la seule, l’unique, l’incontournable vedette et
surtout, où il n’aurait pas pu bénéficier de toutes les ressources de la
caisse. Gommer le passé, l’oublier, est un stratagème de “Big Brother”
dans le “1984” d’Orwell: notre option nous mène à percevoir l’histoire
telle qu’elle est, sans tenir compte des travestissements imposés par le
“Parti” ou par “Big Brother” ou par une quelconque instance censurante.
Ce doit être vrai pour l’histoire des peuples comme pour l’histoire des
structures où nous avons été actifs. Point à la ligne. Pas question de
transiger sur ce principe.
Sincyr
n’aimait pas mes petits “poulets”, mes allusions, mes sarcasmes, dont
je ponctuais parfois la longue rubrique des “activités communautaires en
Europe” qui paraissait dans presque chaque numéro de “Nouvelles de
Synergies européennes”. Il estimait que c’était des “attaques
personnelles”. Je rétorquais que mes “attaques” étaient bien moins
perverses, n’étaient pas aussi vicieuses que les tentatives permanentes
de dénigrer nos activités, de faire pression sur les personnes qui nous
louaient ou nous prêtaient salles et locaux, nous accordaient leur
patronage, participaient à nos activités comme orateurs. Qui plus est,
je faisais remarquer à Sincyr, qui, au nom de son unanimisme consensuel,
ne me croyait pas, ne voulait pas me croire, que toutes ces attaques
venues de Paris le prenaient aussi grossièrement pour cible, le
traitaient de “beauf” et de “boeuf”, tandis que moi, évidemment, j’étais
le “Grand Satan”, le “Belge” (Benoist étant sur ce chapitre le meilleur
disciple de Coluche, tant et si bien qu’on pourrait, en ce qui nous
concerne, lui ôter le label de “ND”, qu’il n’aime pas, sans doute à
juste titre, pour le remplacer par “NC” ou “Nouveau Coluchisme”, ce qui
le ferait culbuter dans les rangs d’une certaine gauche, le lavant
ainsi, enfn, de tout soupçon d’infâmie...). Dans une lettre de novembre
1998, je dressais à Sincyr la liste quasi complète des pressions
exercées par le G.R.E.C.E. ou ses séides contre nos initiatives, dont
une des dernières en date avait été de téléphoner au propriétaire d’un
château en Lorraine, qui nous avait prêté une salle pour tenir un
colloque géopolitique où deux “bêtes noires” de de Benoist prenaient la
parole: le politologue Alexandre Del Valle et moi-même. C’est
malheureusement par cette lettre de novembre 1998 que nos relations se
sont terminées, du moins provisoirement jusqu’en octobre 2012: Sincyr
avait achevé son quinquennat de président et son poste était passé à
Alessandra Colla de Milan. Il ne voulait apparemment plus tenir un rôle
dans un espace “néo-droitiste” français (ou assimilable), déchiré par ce
qu’il percevait comme une “guerre civile”. Pour moi, il fallait garder
raison et oeuvrer dans un espace propre et assaini, débarrassé
d’intrigues ineptes, pour exprimer sans détours des vérités politiques,
métapolitiques, culturelles, philosophiques, toutes pertinentes “hic et
nunc”, sans devoir me référer et me soumettre à des cercles de vieux
copains, certes fidèles les uns aux autres, ce qui est bien, mais
incapables d’accepter de nouvelles fidélités, des combattants plus
jeunes et surtout de les conserver dans leurs rangs. Attitude négative
et incongrue que l’on ne peut évidemment reprocher à Sincyr, qui a tout
fait, dans la mesure de ses moyens, pour échapper à ce type d’impasses
dans le réseau associatif néo-droitiste. Ensuite, pour moi, pas question
d’exporter dans toute l’Europe les querelles suscitées par les
atermoiements, les jalousies, les ressentiments, les intrigues et les
caprices de de Benoist. Dans ma lettre de novembre 1998, j’exprimais mon
point de vue à Sincyr en lui expliquant que sa fidélité au seul “camp”
(mot dont je contestais l’usage!) de la ND historique le faisait
chavirer dans une forme de recrutement endogame, conduisant forcément à
un ressac permanent voir à la sclérose et à la dégénérescence, alors que
le but de toute manoeuvre de recrutement est de pratiquer l’exogamie
pour pouvoir disposer en permanence de ressources humaines neuves et
combattives. “Synergies européennes” ne pouvant en aucun cas devenir une
“gérontocratie”.
“Grand Nuisible” et “bathyscaphistes”
Enfin,
3) Sincyr a trop écouté les voix de ceux qui nous dénigraient en jouant
sur sa fibre consensuelle, expression d’une naïveté admirable car, en
effet, il vaut mieux être un naïf qu’un intrigant: c’est plus propre,
c’est plus sain, c’est plus honorable. Parmi ces voix, il y avait
évidemment le “Grand Nuisible” habituel qui promettait à Sincyr, sans
avoir la moindre intention de tenir ses promesses, de lui donner de
nouvelles responsabilités dans une structure fusionnée, unanime et enfin
consensuelle, à la condition bien sûr que le “Grand Méchant” pondeur de
poulets sarcastiques, c’est-à-dire moi, l’adepte de la “thérapie du
miroir”, soit éliminé de la danse. Je ne pense pas que Sincyr ait
vraiment cru à ces promesses mais il a peut-être pensé, oui, que j’étais
un élément perturbateur dans la classe et qu’il fallait m’isoler pour
que je ne trouble plus le consensus qui allait revenir très bientôt,
allelouïa, d’autant plus que 1998 a été l’année du retour de Guillaume
Faye dans l’espace métapolitique néo-droitiste (ou assimilé, Faye
n’ayant pas la manie des étiquettes). Gilbert Sincyr a certainement été
l’un de ceux qui avaient espéré le plus ardemment ce retour. Faye
débarque à Bruxelles à la fin de l’hiver 97-98 et m’annonce, dans une
ambiance de liesse aux tables de la taverne “Le Cent Histoires”, qu’il
reprend le combat et que de nouveaux livres sont prêts à être mis sous
presse. Il accepte de participer à notre Université d’été du Trentin, à
la grande joie de nos correspondants allemands de l’ex-D.E.S.G., devenue
“Synergon-Deutschland”, et de Tomislav Sunic, tous présents à
Bruxelles, le jour du retour de Faye. Champetier interviewe le “fils
prodigue” de la ND historique pour “Eléments”. Sincyr aurait dès lors pu
croire à une fusion rapide grâce au retour de Faye. La clique autour de
de Benoist, elle, a craint une alliance Faye/Synergies qu’elle aurait
difficilement pu contenir. Je ne saurais malheureusement jamais comment
Sincyr a perçu ce remaniement dans le paysage associatif néo-droitiste,
nouvelle donne qui n’existait pas au moment où il construisait
patiemment son “second échelon” et participait aux activités publiques
et visibles de la F.A.C.E. et de “Synergies européennes”. Le retour de
Faye, mes positions intransigeantes pour préserver l’autonomie de S.E.,
comme Jean van der Taelen et moi avions préservé l’autonomie d’E.R.O.E. à
Bruxelles, la rage irrationnelle et délirante d’Alain de Benoist à
vouloir briser toute autonomie soustraite à son contrôle erratique et
capricieux avaient désespéré Sincyr. Il jette l’éponge. Il ne reviendra
pas au G.R.E.C.E. D’autres amis, trouillards, lui disent —et il m’avait
rapporté leurs paroles— qu’il faut procéder à une “immersion profonde”,
soit se soustraire à toute visibilité. A Bruxelles, moqueurs, nous les
appellions les “sous-mariniers” ou les “Commandants Cousteau” ou les
“bathyscaphistes”, ou encore les “scaphandriers cyclistes”, le langage
coloré étant notre marque favorite, zwanze et gouaille obligent.
Du silence à l’écologisme pratique et localiste
Sincyr
restera silencieux pendant la guerre de Yougoslavie en 1999, où Laurent
Ozon déploie son mouvement “Non à la guerre”, avec l’énergie qu’on lui a
toujours connue. Il ne dira mot non plus lors de la cabale menée par de
Benoist et Champetier contre Faye en 2000, où ces deux brillants sujets
dénoncent leur ancien ami —qu’ils avaient pourtant interviewé pour
“Eléments” en 1998— dans la presse italienne et envoient des communiqués
condamnant ses positions à une liste impressionnante de journalistes du
“Monde”, de “Libération” et du “Nouvel Observateur”, dans le fol espoir
d’apparaître comme de braves nouveaux gauchistes soft face à un méchant Faye hard pourfendant
les idéologies et les lubies dominantes, au risque de se faire crosser
par un jugeaillon parisien (ce qui fut fait...). Champetier, maladroit,
envoie ce courriel avec les adresses lisibles par tous, parce
qu’envoyées en mode “CC” et non “CCI”. Par cette maladresse
informatique, il tombe le masque, et fait tomber celui de son chef, mais
il est à son tour évincé fin 2000. Sa servilité et sa veulerie n’ont
servi à rien. Son commanditaire était plus veule que lui, et surtout
plus retors, et n’avait cure de cette fidélité que son féal disciple
avait toujours montrée sans faiblir jusqu’à participer à une délation
particulièrement sordide mais qu’il croyait juste de commettre pour
assurer le triomphe de son vil Maître, pour les siècles des siècles, et
où il aurait reçu un petit morceau de sa gloire, une portion congrue et,
sans doute, une entrée dans les dictionnaires de noms propres. La série
noire des évictions a donc continué... Ce comportement suscite alors la
réaction d’un “Cercle Gibelin” qui lance sur la grande toile des
“manifestes dextristes” en préconisant, comme le voulait d’ailleurs
Sincyr au départ, une réconciliation des pôles de la ND (G.R.E.C.E.,
T&P et S.E.), sous les auspices d’une personnalité non contestée
(Mabire ou Venner). Sincyr n’intervient pas dans le débat. Je ne saurais
jamais ce qu’a pensé Sincyr de tous ces soubresauts de l’année 2000.
A
partir de décembre 1998, Gilbert Sincyr n’opte pourtant pas pour un
retrait total, pour la stratégie étonnante que préconisaient les
“bathyscaphistes” de ses amis. Il était un amoureux de la nature. Il
admirait Paul-Emile Victor et le Commandant Cousteau. Il avait été
séduit, au début de l’aventure de “Synergies européennes” par les
travaux de Laurent Ozon et par la revue de son équipe, “Le Recours aux
Forêts”, surtout par les deux numéros exceptionnels sur l’urbanisme et
la “bonne alimentation” que l’écologiste le plus original de France
avait publiés suite à son passage chez les Verts d’Antoine Waechter et à
sa lecture méticuleuse des théories d’Edward Goldsmith. Gilbert Sincyr
va donc s’occuper d’écologie dans un mouvement local qu’il baptise
“D’abord Vert”, actif surtout dans la périphérie toulousaine. On verra
alors Sincyr renouer avec son passé écologiste, avec l’admiration qu’il
vouait à Paul-Emile Victor, en inaugurant des marchés de Noël, des
foires aux produits régionaux, en plantant des arbres avec les enfants
des écoles. Sincyr était devenu un “localiste” très actif dès le début
de la première décennie du 21ème siècle. Nos chemins étaient séparés:
pour moi, les années 2002 et 2003 ont été très difficiles, vu que le
Ministère de la Justice, sous la brillante gestion d’une ministresse
aussi incompétente que prétentieuse, ne payait plus ses experts, vu que
la Région bruxelloise ne payait plus les bureaux d’architecture qui me
confiaient des travaux, j’ai dû faire le gros dos, laisser passer
l’orage et, en décembre 2003, j’apprends que ma mère est atteinte d’un
mal incurable, que son grand âge (89 ans) va permettre de ralentir,
toutefois après une opération très meurtrissante et un recul général de
ses facultés mentales. Fils unique, elle est dès lors à ma seule charge.
Je la maintiendrai chez elle, en ses foyers, jusqu’en février 2008,
alors que les médicastres et les Diafoirus de l’hôpital Saint-Jean
voulaient l’enfermer dans un “mouroir”. Elle rendra l’âme en décembre
2011. Les revues “Nouvelles de Synergies européennes” et “Au fil de
l’épée”, émanations de “Synergies européennes” et créées sous les
auspices de Sincyr, paraissent jusqu’en 2002 et 2004, année où je
rencontre Ana, ma deuxième femme flanquée de son petit chien “Gamin”,
avec qui j’ai entamé une nouvelle série de voyages à travers l’Europe. A
partir de janvier 2007, nous lançons à Bruxelles, le blog http://euro-synergies.hautetfort.com qui sera suivi plus tard par http://vouloir.hautetfort.com et http://archieveseroe.eu
, animés tous deux par une équipe parisienne. La dynamique était
relancée et je ré-amorçais en Europe mes tournées de conférence, en
bénéficiant finalement d’une logistique mise en place dans les années 90
par “Synergies européennes” et appuyée cette fois par la notoriété qu’a
acquise le blog au fil de ces sept dernières années. Eh oui, le petit
Belzébuth de Bruxelles n’est pas mort malgré les trente ans de guerre
qu’on a menées contre lui. Espiègle à l’instar d’Uilenspiegel, il
continuera à adresser ses pieds-de-nez aux sots qui se prennent pour des
phares de l’humanité.
Des Mérovingiens aux Pippinides
Fin
de la première décennie du 21ème siècle, Gilbert Sincyr, lui, se lance
dans la rédaction de plusieurs ouvrages: sur le paganisme, son violon
d’Ingres, où il recevra, prix de consolation, une maigre préface d’Alain
de Benoist, mais aussi et surtout sur une période de l’histoire
européenne et gauloise-française finalement peu connue et négligée par
notre mouvement de pensée: la période qui va de la disparition de
l’Empire romain, avec Aetius, à l’émergence de la Gaule mérovingienne et
à la réaction austrasienne face aux rezzous maures venus d’Espagne
occupée. Philippe Randa aura la bonne idée d’éditer tous ces ouvrages
historiques de Gilbert Sincyr et, ainsi, d’occuper un créneau vide dans
l’historiographie néo-droitiste. Créneau qu’il s’agit encore de
compléter d’apports nouveaux. Sincyr a ouvert la voie, modestement: à
ses successeurs, d’où qu’ils viennent, de poursuivre sur la sente qu’il a
commencé à tailler pour nous tous. Nous participons ensuite tous les
deux à un ouvrage collectif, “Force et Honneur”, sur les grandes
batailles qui ont marqué l’histoire européenne, mais sans nous
rencontrer.
Ce
fut un deuil qui nous a permis de renouer nos relations rompues en
1998. Je possédais l’adresse électronique de Sincyr mais ne lui envoyais
rien car il ne m’avait rien demandé. J’apprends en octobre 2012 le
décès du politologue italien Mariantoni, qui avait participé à
quelques-unes de nos universités d’été. Ce spécialiste du Proche et du
Moyen Orient vivait en Suisse et était l’un de nos fidèles. J’envoie le
faire-part à Sincyr qui me répond, le 24 octobre 2012: “La mort de
Mariantoni est une grande perte. Son combat restera pour nous un
exemple”. Phrase simple qui exprime une gratitude sincère. Ensuite
Sincyr se réconcilie avec moi, en une seule phrase concise, et termine
son courriel par la formule, très importante à ses yeux, “Que les Dieux
te soient propices!”. Le 12 novembre 2012, il me transmet des nouvelles
d’un ami toulousain. Le 21 janvier 2013, il écrit, tristement, suite à
l’envoi de mon hommage à Yves Debay, camarade d’école, tombé en Syrie, à
Alep, dans le cadre de son métier de reporter de guerre: “Les rangs de
nos amis s’éclaircissent”. Le 22 mars 2013, il me remercie de lui avoir
envoyé le texte d’une de mes allocutions à Nancy, sur la notion de
“patrie charnelle”, qui lui tenait fort à coeur. Le 24 avril, je lui
écris pour lui dire que je ne pourrai pas être présent à Paris pour le
lancement de l’un de ses livres. Il me répond: “C’est dommage que tu ne
puisses pas venir, cela aurait fait une occasion de nous revoir”. Et
sûrement de remettre beaucoup de choses sur le tapis. Je n’ai jamais
revu Gilbert Sincyr. Je me promettais de le revoir à Toulouse en août
2014, lors de mon retour annuel d’Espagne. La Camarde en a décidé
autrement. Adieu donc, camarade, mais sans toi, l’histoire de notre
aventure commune, celle de “Synergies européennes”, demeurera toujours
incomplète. Je vais écouter les “Oies sauvages” et le “J’avais un
camarade”, que tu as dû murmurer en Algérie, face aux corps sans vie de
quelques-uns de tes camarades de combat et de ces légionnaires allemands
et européens que tu as un jour évoqués dans une conversation. Je sais
que cela te fera un immense plaisir car tu es allé les rejoindre. Ne
t’inquiète pas: nous te rejoindrons tous, quand nos heures seront
venues. En attendant, nous continuons le combat en pensant à la phrase
finale de ton éditorial du n°2 de “Nouvelles de Synergies européennes”
(juillet 1994): “On dit que la vie est un combat. Pour nous c’est une
chance: nous aimons l’une et l’autre”.
Robert Steuckers.
Forest-Flotzenberg, 15 février 2014.
Notes:
(*) Cf. sur le site http://robertsteuckers.blogspot.com
l’article “L’apport de Guillaume Faye à la Nouvelle Droite et petite
histoire de son éviction” (qui a servi de préface à une nouvelle édition
italienne de son livre “Le Système à tuer les peuples”) et l’entretien
accordé à Pavel Tulaev, Président de “Synergies Européennes-Russie”,
intitulé “Answers to Pavel Tulaev”, mis en ligne en février 2014.
(**)
Cf. Robert Steuckers, “Le visionnaire Alfred Schuler (1865-1923),
inspirateur du Cercle de Stefan George”, in Vouloir, n°8 (nouvelle
série), automne 1996 (conférence prononcée à Madesimo, été 1996,
Université d’été de “Synergies Européennes”; consultable aujourd’hui sur
http://robertsteuckers.blogspot.com ) & Robert Steuckers, “Paganisme et philosophie de la vie chez Knut Hamsun et David Herbert Lawrence”, in Vouloir,
n°10 (nouvelle série), printemps 1998 (conférence prononcée à Madesimo,
été 1996, Université d’été de “Synergies Européennes”; consultable
aujourd’hui sur http://robertsteuckers.blogspot.com ).
(***) Cf. Robert Steuckers, “Eugen Diederichs et le Cercle Sera”, in Vouloir, n°10 (nouvelle série), printemps 1998 (consultable sur: http://robertsteuckers.blogspot.com ).
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