Le livre politique à la Foire de Francfort
(octobre
2003 – 2ième partie – L’éditeur britannique I. B. Tauris)
Chypre toujours divisé :
L’anthropologue
cypriote-grec Yiannis Papadakis vient de faire paraître un ouvrage sur
l’histoire de l’«Ile d’Aphrodite» au 20ième siècle : il rappelle les étapes de
la lutte anti-coloniale contre les Britanniques, le chaos qui a suivi la
décolonisation, la guerre civile entre Orthodoxes et Musulmans turcs,
l’invasion turque de 1974, les déplacements de population et les affres de la
partition de l’île. Mais son ouvrage n’est pas seulement politique et
historique : anthropologue, Papadakis veut aller à l’encontre des gens, écouter
ceux qui ont vécu cette succession ininterrompue de drames. Une documentation
indispensable pour comprendre le sort de ce pays insulaire, dont la position
stratégique est capitale. En effet, l’Europe (et la Russie) sera/seront
forte(s) si Chypre est fermement tenue par des armées européennes, si les bases
britanniques deviennent des bases européennes, où stationneront plutôt des
soldats grecs, russes, allemands, espagnols, autrichiens, hongrois et serbes,
communiant dans le souvenir commun des
longues luttes contre les dangers sarasin et turc, menées pour le salut de
l’Europe toute entière. Il ne faut jamais oublier que le Vizir Sokollu, après
la bataille de Lépante a dit : «En prenant Chypre, nous leur avons couper le
bras; en coulant notre flotte, ils nous ont rasé la barbe; un bras ne repousse
pas; la barbe repousse». Comme la plupart des hommes politiques turcs, Sokollu
parlait un langage clair; il faut retenir sa leçon : l’Europe doit retrouver ce
bras. Sa survie stratégique en dépend. A ce titre, toute information sur Chypre
est utile.
Yiannis
PAPADAKIS, Echoes from the Dead Zone.
Across the Cyprus Divide, I. B. Tauris, London, à paraître en avril 2004,
ISBN 1-85043-428-X. £17,95.
De
1789 à Le Pen :
Deux
historiens anglais de l’Université de Reading, Nicholas Atkin et Frank Tallett
viennent de publier une histoire de la “droite” française, assez originale. Nos
deux historiens partent du principe que les thématiques classées à “droite” en
France sont des constantes incontournables de la vie politique française, qui
ont contribué à façonner les institutions depuis la Révolution, dans tous les domaines
(politique, économique, social, culturel, religieux). Les deux auteurs ne font
pas l’impasse sur les phénomènes raciaux et les théories racialistes, élaborées
en France au fil des temps. Ils effectuent un tour d’horizon et montrent
quelles influences les droites ont exercé sur le bonapartisme, sur Vichy, sur
les événements relatifs aux deux guerres mondiales, sur le gaullisme et le
post-gaullisme, sans oublier la persistence du phénomène Le Pen, depuis le
“Tonnerre de Dreux” en 1984. En dépit de revers électoraux récurrents, les
droites françaises demeurent une force politique puissante et agissante.
N’oublions pas qu’après les événements de mai 68, la foule gaulliste était bien plus nombreuse
sur les Champs Elysées que tous les contestataires réunis! Et que le
gouvernement issu des élections tenues immédiatement après ces événements était
majoritairement de droite. Ces élections ont sanctionné une débâcle politique
de la gauche. Il nous paraît intéressant de lire un ouvrage britannique sur ce
sujet, de voir comment les droites françaises sont perçues dans le monde
anglo-saxon, de découvrir ces thèses en même temps que les décideurs politiques
britanniques et américains, qui, à coup sûr, à la suite d’une lecture de ce
livre, moduleront leurs propres actions politiques, ouvertes ou souterraines,
qui concerneront la France.
Nicholas
J. ATKIN & Frank TALLETT, The Right
in France. From Revolution to Le Pen, I. B. Tauris, London, 2003, ISBN
1-86064-916-5, £14,95.
Aux
sources des questions tchétchènes et daghestanaises:
Lesley
Blanch, écrivain britannique, spécialiste, en autres choses, de l’écrivain
français Pierre Loti, s’est penchée sur l’histoire du Caucase et, plus
particulièrement, sur la période de la “Grande Guerre caucasienne”, qui a fait
rage entre 1834 et 1859, quand les armées du Tsar se sont ébranlées vers le Sud
pour conquérir les glacis musulmans, établis dans ces régions d’altitude plus
élevée, afin de mieux menacer les plaines russes : les puissances musulmanes,
pourtant sur le déclin, entendaient conserver ces portes d’accès à la plaine
ukrainienne et partant au cœur de l’Europe via la plaine hongroise. La
résistance islamo-caucasienne s’est montrée particulièrement âpre dans deux
régions, revenues à l’avant-plan de l’actualité : la Tchétchènie et le
Daghestan. Elle rappelle la trajectoire combattante de l’Imam Chamyl, la figure
guerrière qui sert de modèle aujourd’hui encore aux terroristes tchétchènes,
financés et aidés par les Etats-Unis, la Turquie et l’Arabie Saoudite pour
affaiblir la Russie et démembrer ses frontières stratégiques. Surnommé le “Lion
du Daghestan”, l’Imam Chamyl réussit à tenir en échec les armées russes pendant
vingt-cinq ans, prouvant par là même, que la région est difficile à prendre et
permet une guerre de partisans de longue durée. L’histoire connait des
constantes que le stratège doit garder en tête.
Lesley
BLANCH, The Sabres of Paradise. Conquest
and Vengeance in the Caucasus, I. B. Tauris, London, à paraître en février
2004, ISBN 1-85043-403-4, £12,99.
Références
du livre sur Pierre Loti du même auteur : Lesley BLANCH, Pierre Loti. The Legendary Traveller, à paraître en mai 2004, I. B.
Tauris, London, 1-85043-429-8, £9,99.
Gengis Khan :
On
sait que Brzezinski, l’homme qui a théorisé la nécessité, pour les Etats-Unis, d’ancrer leur puissance dans les
“Balkans eurasiens”, soit l’Asie centrale turcophone et musulmane de l’ex-URSS,
se donne pour modèle l’empire mongol de Gengis Khan. Ses disciples pourront
désormais se référer au livre d’un grand spécialiste néerlandais du grand
conquérant mongol, Leo de Hartog. Celui-ci insiste notamment sur la vitesse et
l’ampleur territoriale de ses conquêtes, mais aussi, comme Brzezinski, sur
l’absence totale d’organisation qu’il laissait derrière lui. Leo de Hartog
rappelle qu’au départ de cette vaste zone de steppes, au sud de la toundra
nord-sibérienne, Gengis Khan et ses cavaliers mongols ont pu conquérir ou
menacer très sérieusement toutes les puissances du “rimland” ou de l’“Outer
Crescent” (pour reprendre les terminologies de McKinder et de Spykman). Les
Mongols ont en effet désorganisé totalement l’Asie centrale (comprenant
auparavant des royaumes indo-européens bouddhistes), l’Afghanistan, la Perse et
l’ancien espace des Scythes en Russie méridionale. Ils ont failli envahir
l’Europe en 1237 et en 1242. Le travail de l’historien néerlandais peut servir
deux objectifs géostratégiques actuels : 1) conforter la théorie gengiskhanide
de Brzezinski ou 2) apprendre aux puissances jadis vaincues et ravagées par les
Mongols à prendre les mesure qui s’imposent pour empêcher la réédition de
pareilles catastrophes ou pour éviter d’être affaiblies par une stratégie
différente, mais, en utlime instance, inspirée par la geste de Gengis Khan.
Leo de
HARTOG, Gengis Khan. Conqueror of the
World, I. B. Tauris, London, 2003, ISBN 1-86064-972-6, £9,99.
Glubb Pacha, Commandeur de la “Légion
Arabe” :
Benny
Morris est un spécialiste de l’histoire du Moyen Orient et professeur à
l’Université Ben-Gourion en Israël. Il vient de sortir une première histoire du
Général John Glubb, dit Glubb Pacha, dernier pro-consul britannique en
Palestine et en Transjordanie. Sir John Glubb a commandé la fameuse “Légion
Arabe” entre 1936 et 1956. En 1948, ses troupes tiendront tête aux forces
israéliennes et conserveront la Cisjordanie pour le monde arabe. Les objectifs
de ce général sont examinés pour la première fois sur base de documents
britanniques, israéliens et arabes. L’analyse de son long itinéraire permet
également de juger plus objectivement l’histoire palestinienne, en se dégageant
des vérités propagandistes, assénées par les uns et les autres.
Benny
MORRIS, The Road to Jerusalem. Glubb
Pasha, Palestine and the Jews, I. B. Tauris, London, 2003, ISBN
1-86064-989-0, £14,95.
Israël : le “clash” des historiographies :
Benny
Morris, de l’Université Ben-Gourion, se penche également sur les controverses
qui opposent les différentes écoles d’historiens en Israël aujourd’hui. Cette
querelle des historiens israéliens a commencé vers les milieu des années 80 et
porte, pour l’essentiel, sur la formation de l’Etat hébreu en 1948 et sur le
conflit israélo-palestinien. En gros, la querelle oppose les sionistes
“traditionnels” aux non-sionistes “révisionnistes” (ou aux anti-sionistes).
Nous n’entendons pratiquement rien filtrer dans les médias francophones de ce
débat, pourtant très important pour l’histoire de la seconde moitié du
vingtième siècle. Il nous apprendrait pourtant beaucoup sur le conflit entre
Israël et les Palestiniens et sur les débats qui, finalement, minent la
cohésion sociale d’Israël. Nous avions publié un article sur cette question :
Irene CASPARIUS, «La querelle des historiens en Israël», in : Nouvelles de Synergies Européennes,
n°48, 2000.
Benny
MORRIS, Making Israel. The Clash of
Histories, I. B. Tauris, London, à paraître en mai 2004, ISBN 1-8543-441-7
(avec reliure), £40,00, ou ISBN 1-85043-442-5 (avec brochure), £15,95.
Une histoire des Kurdes :
Spécialiste
du Moyen-Orient, David McDowall se penche sur l’histoire des Kurdes, peuple de
langue indo-européenne divisé en cinq Etats. L’auteur récapitule l’histoire
kurde depuis le 19ième siècle, analyse les rivalités entre clans kurdes,
rivalités tragiques qui permettent à des puissances tierces de les manipuler à
l’envi pour réaliser leurs propres desseins. Un aspect important de ce conflit
protéiforme : l’incapacité des Etats modernes à répondre au défi kurde.
McDowall soulève là un problème juridique important, non seulement pour le
peuple kurde, mais aussi pour tous les autres peuples sans Etat.
David
McDOWALL, A Modern History of the Kurds,
I. B. Tauris, London, 2003, ISBN 1-85043-416-6, £15,95.
L’eau dans le conflit israélo-palestinien :
On
sait que l’eau, l’«or bleu», joue un rôle considérable dans le conflit qui
oppose Israéliens et Palestiniens. Beaucoup de textes, d’articles, d’essais et
de livres ont déjà abordé ce sujet. Mais Jan Selby, de l’Université
d’Aberystwyth au Pays de Galles, pousse son étude plus loin, échappe de ce fait
aux généralités que l’on pourrait énoncer sur cette problématique, en épluchant
les témoignages d’administrateurs des eaux et d’ingénieurs hydrauliques.
Jan
SELBY, Water, Power and Politics in the
Middle East. The Other Palestine-Israel Conflict, I. B. Tauris, London,
2003, ISBN 1-86064-934-3, £39,50.
Atatürk et Reza Shah :
Erik J. Zürcher et Touraj Atabaki sont tous
deux professeurs aux Pays-Bas, à Leiden et à Utrecht. Ils viennent de publier
un ouvrage particulièrement intéressant sur l’émergence de deux pouvoirs
“modernistes” en terre d’Islam : le pouvoir kémaliste d’Atatürk en Turquie et
le pouvoir de Reza Shah en Iran. Au départ, il s’agissait d’adopter une forme
de démocratie constitutionnelle, mais la modernisation et la
sécularisation —que celles-ci
impliquaient— postulaient des mesures autoritaires, quasi dictatoriales. D’où
l’ambiguïté du processus : est-il moderniste et progressiste ou est-il une
forme vaguement modernisée du despotisme oriental? Les politiques occidentales,
surtout britanniques et américaines, véhiculent, elles aussi, cette ambiguïté :
elles applaudissent au mouvement de modernisation mais dressent aussitôt des
embûches quand les régimes ainsi installés s’avèrent trop efficaces ou
collaborent trop étroitement avec des concurrents européens potentiels. La même
règle vaut pour le nassérisme ou le baathisme arabes (Saddam Hussein en étant
la dernière victime). Le travail de Zürcher et Atabaki nous permet d’analyser
plus clairement ces processus, trop peu connus en Europe.
Touraj
ATABAKI & Erik J. ZÜRCHER (ed.), Men of Order. Authoritarian Modernization
under Atatürk and Reza Shah, I. B. Tauris, London, 2003, ISBN
1-86064-426-0, £39,50.
L’émergence de l’Iran moderne :
Touraj Atabaki, professeur à Utrecht et à
Amsterdam, consacre un ouvrage à l’émergence de l’Iran moderne. Entre 1906 et
1909, l’Iran connait une crise politique qui débouche sur une “révolution
constitutionnelle”, favorisée par les Britanniques et le parti pro-occidental
des Cadets en Russie, mais regardée d’un mauvais œil par les forces
conservatrices en Russie, qui voient la Perse se faire satelliser par la
Grande-Bretagne. En Iran même, cette “révolution constitutionnelle” rassemble
beaucoup d’adeptes dans les villes, mais rencontre une vive opposition dans les
campagnes. Les peuples nomadisants se révoltent, précipitant le pays dans le
chaos. L’Iran a failli se désintégrer et la première tentative de modernisation
a débouché sur un échec. Les modernisateurs ont alors parié sur une
personnalité charismatique et énergique, Reza Shah, qui rétablira l’ordre et
entamera le processus de modernisation par une voie ferme et autoritaire. Cet
ouvrage aborde donc une problématique récurrente dans les pays moins développés
: la modernisation peut-elle s’effectuer par le biais d’une forme de démocratie
qui n’a jamais fonctionné qu’en Europe et en Amérique du Nord? Plaquer les
critères de cette forme de démocratie
sur une réalité qui ne l’a jamais connue est-elle une politique intelligente,
exempte de toute volonté de satellisation? L’ouvrage historique d’Atabaki peut
nous aider à répondre concrètement à cette question.
Touraj
ATABAKI, Iran and the First World War.
The Emergence of the Modern State, I. B. Tauris, London, à paraître en mai
2004, ISBN 1-86064-964-5, £35,00.
L’Iran de 1941 à 1953 :
Les douze années qui vont de 1941 à 1953 ont
été cruciales dans l’histoire de l’Iran contemporain. Elles commencent par la double occupation britannique et soviétique,
consécutive à la maîtrise par les alliés occidentaux du Proche- et du
Moyen-Orient (campagne d’Irak en mai 41, campagne contre le Liban et la Syrie
de Vichy en juin-juillet 41). La nécessité d’alimenter en armes et en munitions
les arrières du front soviétique contre les armées allemandes rendait
nécessaire l’occupation de l’Iran, de ses chemins de fer et de ses côtes sur la
Caspienne. Reza Shah, le modernisateur de l’Iran, doit abdiquer en faveur de
son fils (qui sera renversé par Khomeiny en 1978). L’ouvrage de Fakhreddin
Azimi explore pour la première fois, de manière complète et scientifique, cette
période de troubles ininterrompus, notamment parce qu’il utilise des documents
iraniens, dont on n’a jamais fait l’exégèse en une langue occidentale. Le livre
analyse aussi les péripéties du gouvernement nationaliste du Dr. Mossadegh,
renversé par la CIA en 1953. Mossadegh avait réussi à obtenir une majorité
parlementaire absolue pour nationaliser le pétrole iranien en 1951, qui,
jusqu’alors, avait été aux mains des Britanniques. Les Américains seront
l’instrument de la vengeance de Londres : John Forster Dulles craignait avant
toute chose la neutralisation de l’Iran, assortie d’une bienveillance à
l’endroit du grand voisin soviétique. Tels étaient ses arguments pour
convaincre la CIA d’agir. Pourtant Mossadegh n’était nullement philo-communiste
: il avait fait campagne pour éliminer toute présence soviétique dans le Nord
de l’Iran, avait maté durement des manifestations communistes, avait mis son
veto à la création d’une compagnie irano-soviétique du pétrole, qui risquait
bien évidemment de faire passer le pays d’une domination britannique à une
domination soviétique. En 1949, le parti communiste iranien, le « Tudeh »,
avait été interdit. Mossadegh n’avait jamais levé cette interdiction. Les
rapports remis à la présidence américaine, pour la convaincre d’agir contre
Mossadegh, avançaient l’argument que l’alliance entre nationalistes et
communistes était imminente et que cette alliance allait profiter aux
Soviétiques. Ils étaient pure invention. Cette période a donc été cruciale pour
l’Iran, mais aussi pour toute l’histoire du monde. La révolution islamiste de
1978 est une conséquence directe, bien que lointaine, des événements de 1953.
Son impact demeure capital aujourd’hui encore. Raison pour laquelle le livre de
Fakhreddin Azimi doit être lu par tous ceux qui veulent comprendre les événements
internationaux, sans accepter benoîtement le prêt-à-penser des médias.
Fakhreddin
AZIMI, Iran : The Crisis of Democracy
1941-1953, I. B. Tauris, London, à paraître en mai 2004, ISBN
1-85043-093-4, £49,50.
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