La leçon du sociologue et philosophe Hans Freyer
« Il faut une volonté politique pour avoir une perception sociologique ».
Pour Hans Freyer (1887-1969), sociologue allemand néo-conservateur (« jeune-conservateur », jungkonservativ)
qui sort du purgatoire où l'on avait fourré tous ceux qui ne singeaient
pas les manies de l'École de Francfort ou ne paraphrasaient pas Saint
Habermas, la virtù de Machiavel n'est pas une "vertu" ou une
qualité statique mais une force qui n'attend qu'une chose : se déployer
dans l'aire concrète de la Cité, dans l'épaisseur de l'histoire et du
politique. Fondateur de l’École de Leipzig, d’où seront issus les
meilleurs cadres de la sociologie historique de Weimar (il est parmi les
fondateurs, avec Werner Conze, de la nouvelle histoire sociale
allemande), puis de la sociologie nazie et une grande partie des
sociologues conservateurs allemands d’après-Guerre (not. Helmuth
Schelsky), ce sociologue a une solide formation de philosophe, dont
l’ouvrage fondateur, Theorie des objektiven Geistes (1928) qui poursuit les pensées de Hegel et de Wilhelm Dilthey, va préparer le projet sociologique, not. dans son ouvrage Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft
(1930), d’une « révolution de droite » qui prendrait acte de l’anomie
de la société industrielle et de l’échec de la lutte des classes, en lui
opposant un État autoritaire. Ayant pris ses distances avec le nazisme –
il sera professeur à Budapest entre 1941 et 1945 – il est l’exemple
même du penseur conservateur, du théoricien de cette Révolution
conservatrice qui aura grand mal à se justifier au moment de la
dénazification. Il n’en est pas moins l’un des premiers sociologues
professionnels qui, après la mort de Max Weber et de Georg Simmel, dont
il ne cesse de se nourrir de manière critique, va lancer des projets
innovateurs en sociologie industrielle, des organisations et de
l’administration publique.
Victor
Leemans, qui avant-guerre avec Raymond Aron introduisit en Belgique et
en France les grands noms de la sociologie allemande, écrivait, à propos
de Hans Freyer, dans son Inleiding tot de sociologie (Introduction à la sociologie, 1938) :
« Pour Freyer, toute sociologie est nécessairement "sociologie politique". Ses concepts sont toujours compénétrés d'un contenu historique et désignent des structures particulières de la réalité. Dans la mesure où la sociologie se limite à définir les principaux concepts structurels de la vie sociale, elle doit ipso facto s'obliger à prendre le pouls du temps. Elle doit d'autant plus clairement nous révéler les successions séquentielles irréversibles où se situent ces concepts et y inclure les éléments de changement, Les catégories sont dès lors telles : communauté, ville, état (Stand), État (Staat), etc., tous maillons dans une chaîne processuelle concrète et réelle. Ces concepts ne sont pas des idéaltypes abstraits mais des réalités liées au temps. (...)
Selon Freyer, aucune sociologie n'est donc pensable qui ne débouche pas dans la connaissance de la réalité contemporaine. À ce concept de réalité ne s'attache pas seulement la connaissance des structures immédiatement perceptibles mais aussi et surtout la connaissance des volontés de maintien ou de transformation qui se manifestent en leur sein. La connaissance sociologique opte nécessairement pour une direction déterminée découlant d'une connaissance de la Realdialektik (dialectique réalitaire [ou dialectique réelle, c'est-à-dire non simplement discursive])... ».
Une sociologie de l'homme total
Malgré
cette définition courte de l'œuvre de Freyer, définition qui veut
souligner le recours au concret postulé par le sociologue allemand, nous
avons l'impression de nous trouver face à un édifice conceptuel
horriblement abstrait, détaché de toute concrétude historique. Ce
malaise, qui nous saisit lorsque nous sommes mis en présence de
l'appareil conceptuel forgé par Freyer, doit pourtant disparaître si
l'on fait l'effort de situer ce sociologue dans l'histoire des idées
politiques. Avec les romantiques, les jeunes hégéliens (Junghegelianer),
Feuerbach et Karl Marx, le XIXe siècle montre qu'il souhaite abandonner
définitivement l'homme des humanistes, cet homme perçu comme figure
universelle, comme espèce générale dépouillée de sa dimension
historico-concrète. Désormais, sous l'influence et les coups de boutoir
de ces philosophies concrètes, l'épaisseur historique sera rendue à
l'homme : on le percevra comme seigneur féodal, comme serf, bourgeois ou
prolétaire.
Une « objectivité » qui doit mobiliser l'homme d'action
Mais
ces hégéliens et marxistes, qui dépassent résolument l'idéalisme
fixiste de l'humanisme antérieur au XlXe, demeurent mécaniquement
enfermés dans la vision de l'homo œconomicus et n'explorent que
chichement les autres domaines où l'homme s'exprime. À cette négligence
des matérialistes marxistes répond l'hyper-mépris des économismes d'un
Wagner ou d'un Schopenhauer, d'un Nietzsche ou d'un Jakob Burckhardt.
L'homme total n'est appréhendé ni chez les uns ni chez les autres. Pour
Freyer, les essayistes et polémistes anglais Carlyle et John Ruskin nous
ont davantage indiqué une issue pour échapper à ce rabougrissement de
l'homme. Leurs préoccupations ne les entraînaient pas vers des empyrées
légendaires, néo-idéalistes ou spiritualistes mais les amenaient à
réfléchir sur les moyens de dépasser l'homme capitaliste, de restituer
une harmonie entre le travail et la Vie, entre le travail et la création
intellectuelle ou artistique.
Dans deux postfaces aux travaux de Freyer sur Machiavel (ou sur l'Anti-Machiavel de Frédéric Il de Prusse), Elfriede Üner
nous explique comment fonctionne concrètement la sociologie de Freyer,
qui cherche, au-delà de l'abstractionnisme matérialiste marxiste et de
l'abstractionnisme humaniste pré-marxiste, à restaurer l'homme total.
Pour parvenir à cette tâche, la sociologie et le sociologue ne peuvent
se contenter de décrire des faits sociaux passés ou présents, mais
doivent forger des images mobilisatrices tirées du passé et adaptées au
présent, images qui correspondent à une volition déterminée, à une
volition cherchant à construire un avenir solide pour la Cité.
La méthode de Freyer repose au départ, écrit Elfriede Üner, sur la théorie de "l'esprit objectif" (Theorie des objektiven Geistes).
Cette théorie recense les faits mais, simultanément, les coagule en un
programme revendicateur et prophétique, indiquant au peuple politique la
voie pour sortir de sa misère actuelle. Le sociologue ne saurait donc
être, à une époque où le peuple cherche de nouvelles formes politiques,
un savant qui fuit la réalité concrète pour se réfugier dans le passé :
« Qu'il se fasse alors historien ou qu'il se retire sur une île
déserte ! », ironisera Freyer. Cette parole d'ironie et d'amertume est
réellement un camouflet à la démarche "muséifiante" que bon nombre de
sociologues "en chambre" ne cessent de poser.
Les
écrits de sociologie politique doivent donc receler une dimension
expressionniste, englobant des appels enflammés à l'action. Ces appels
aident à forger le futur, comme les appels de Machiavel et de Fichte ont
contribué à l'inauguration d'époques historiques nouvelles. Fichte
parlait d'un « devoir d'action » (Pflicht zur Tat). Freyer ajoutera l'idée d'un « droit d'action » (Recht zur Tat). « Devoir d'action » et « droit d'action » forment l'épine dorsale d'une doctrine d'éthique politique (Sittenlehre).
L'activiste, dans cette optique, doit vouloir construire le futur de sa
Cité. Anticipation constructive et audace activiste immergent le
sociologue et l'acteur politique dans le flot du devenir historique.
L'activiste, dans ce bain de faits bruts, doit savoir utiliser à 100 %
les potentialités qui s'offrent à lui. Cette audacieuse mobilisation
totale d'énergie, dans les dangers et les opportunités du devenir, face
aux aléas, constitue un "acte éthique".
Une immersion complète dans le flot de l'histoire
L'éthique
politique ne découle pas de normes morales abstraites mais d'un agir
fécond dans la mouvance du réel, d'une immersion complète dans le flot
de l'histoire. L'éthique freyerienne est donc "réalitaire et
acceptante". Agir et décider (entscheiden) dans le sens de
cette éthique réalitaire, c'est rendre concrètes des potentialités
inscrites dans le flot de l'histoire. Freyer inaugure ici un
"déterminisme intelligible". Il abandonne le concept de "personnalité
esthétisante", individualité constituant un petit monde fermé sur
lui-même, pour lancer l'idée d'une personnalité dotée d'un devoir
précis, celui de fonctionner le plus efficacement possible dans un
ensemble plus grandiose : la Cité. L'éthique doit incarner dans des
images matérielles concrètes, générant des actes et des prestations
individuels concrets, pour qu'advienne et se déploie l'histoire.
Selon
cette vision freyerienne de l'éthique politique, que doit
nécessairement faire sienne le sociologue, un ordre politique n'est
jamais statique. Le caractère processuel du politique dérive de
l'émergence et de l'assomption continuelles de potentialités
historiques. Le développement, le changement, sont les fruits d'un
déplacement perpétuel d'accent au sein d'un ordre politique donné,
c'est-à-dire d'une politisation subite ou progressive de tel ou tel
domaine dans une communauté politique. Le développement et le changement
ne sont donc pas les résultats d'un "progrès" mais d'une
diversification par fulgurations successives [fractales], jaillissant
toutes d'une matrice politico-historique initiale. La logique du
sociologue et du politologue doit donc viser à saisir la dynamique des
fulgurances successives qui remettent en question la statique éphémère
et nécessairement provisoire de tout ordre politique.
Une sociologie qui tient compte des antagonismes
Cette
spéculation sur les fulgurances à venir, sur le visage éventuel que
prendra le futur, contient un risque majeur : celui de voir la
sociologie dégénérer en prophétisme à bon marché. Le sociologue, qui
devient ainsi "artiste qui cisèle le futur", poursuit, dans le cadre de
l'État, l'œuvre de création que l'on avait tantôt attribué à Dieu tantôt
à l'Esprit. L'homme, sous l'aspect du sociologue, devient créateur de
son destin. Au Dieu des humanistes chrétiens, s'est substitué une figure
moins absolue : l'homo politicus... Cette vision ne risque-t-elle pas de donner naissance aux pires des simplismes ?
Elfriede Üner répond à cette objection : la reine Rechtslehre (théorie pure du droit) du libéral Hans Kelsen, idole des juristes contemporains et ancien adversaire de Carl Schmitt,
constitue, elle aussi, une "simplification" quelque peu outrancière.
Elle n'est finalement que repli sur un formalisme juridique qui détache
complètement le système logique, constitué par les normes du droit, des
réalités sociales, des institutions objectives et des legs de
l'histoire. Rudolf Smend, lui, parlera de la "domination" (Herrschaft)
comme de la forme la plus générale d'intégration fonctionnelle et
évoquera la participation démocratique des dominés comme une intégration
continue des individus dans la forme globale que représente l'État.
Cette
idée d'intégration continue, que caressent bon nombre de
sociaux-démocrates, évacue tensions et antagonismes, ce que refuse
Freyer. Si, pour Smend, la dialectique de l'esprit et de l'État
s'opère en circuit fermé, Freyer estime qu'il faut dépasser cette
situation par trop idéale et concevoir et forger un modèle de système
plus dynamique, capable de saisir les fluctuations tragiques d'une ère
faite de révolutions. L'idéal d'une intégration totale s'effectuant
progressivement ne permet pas de projeter dans la praxis politique des
"futurs imaginés" qui soient réalistes : un tel idéal s'abrite
frileusement derrière la muraille protectrice d'un absolu théorique.
À droite : utopies passéistes, à gauche : utopies progressistes
La
dialectique de l'esprit et du politique (de l'État), c'est-à-dire de
l'imagination constructive et des impératifs de la Cité, de
l'imagination qui répond aux défis de tous ordres et des forces
incontournables du politique, n'a reçu, en ce siècle de turbulences
incessantes, que des interprétations insatisfaisantes. Freyer estime que
la sociologie organique d'Othmar Spann (1878-1950) constitue une
impasse, dans le sens où elle opère un retour nostalgique vers la
structuration de la société en états (Stände) avec
hiérarchisation pyramidale de l'autorité. Cette autorité abolirait les
antagonismes et évacuerait les conflits : ce qui indique son caractère
finalement utopique. À "gauche", Franz Oppenheimer
élabore une sociologie "progressiste" qui évoque une succession de
modèles sociaux aboutissent à une société sans classes et sans plus
aucun antagonisme : cet espoir banal des gauches s'avère évidemment
utopique, comme l'ont indiqué quantité de critiques et de polémistes
étrangers à ce messianisme. Freyer renvoie donc dos à dos les utopistes
passéistes de droite et les utopistes progressistes de gauche.
Ces systèmes utopiques sont "fermés", signale Freyer longtemps avant Popper, et trahissent ipso facto
leur insuffisance fondamentale. Les concepts scientifiques doivent
demeurer "ouverts" car l'acteur politique injecte en eux, par son action
concrète et par son expérience existentielle, la quintessence innovante
de son époque. Freyer privilégie ici l'homo politicus agissant, le sujet de l'histoire. Les acteurs politiques, dans l'optique de Freyer, façonnent le temps.
L'idée
essentielle de Freyer en matière de sociologie, c'est celle d'une
construction pratique ininterrompue de la réalité [les époques sont en
relation les unes aves avec les autres dans la dynamique de la
continuité historique]. Aux époques politiquement instables, les normes
scientifiques (surtout en sciences humaines) sont décrétées obsolètes ou
doivent impérativement subir un aggiornamento, une re-formulation.
L'histoire est, par suite, un chantier où œuvrent des acteurs-artistes
qui, à la façon des expressionnistes, recréent des mondes à partir du
chaos, de ruines. Freyer, écrit Elfriede Üner, glorifie, un peu
mythiquement, l'homme d'action.
Le peuple (Volk) est le dépositaire de la virtù
Le
personnage de Machiavel, analysé méthodiquement par Freyer, a projeté
dans l'histoire des idées cette notion expressionniste/ créatrice de
l'action politico-historique. Le concept machiavelien de virtù,
estime Freyer, ne désigne nullement une "vertu morale statique" mais
représente la force, la puissance de créer un ordre politique et le
maintenir. Virtù recèle dès lors une qualité "processuelle",
écrit Elfriede Üner. Par le biais de Machiavel, Freyer introduit, dans
la science sociologique jusqu'alors "objective" et statique à la Comte,
un ferment de nietzschéisme, dans le sens où Nietzsche voyait
l'existence humaine comme un imperfectum qui ne pouvait jamais être "parfait" mais qu'il fallait sans cesse façonner et travailler.
Le "peuple", dans la vision freyerienne du social et du politique, est, grâce à sa mémoire historique, le dépositaire de la virtù, c'est-à-dire de la "force créatrice d'histoire". Le peuple suscite des antagonismes quand les normes juridiques
et/ou institutionnelles ne correspondent plus aux défis du temps, aux
impératifs de l'heure ou au ni veau atteint par la technologie. Un
système "ouvert" implique de laisser au peuple historique toute latitude
pour modifier ses institutions.
Le
système freyerien est, en dernière instance, plus démocratique que le
démocratisme normatif qui, à notre époque, prétend, sur l'ensemble de la
planète, être la seule forme de démocratie possible. Quand Freyer parle
de « droit à l'action » (cf. supra), corollaire d'un « devoir
éthique d'action », il réserve au peuple un droit d'intervention sur la
trame du devenir, un droit à façonner son destin. En ce sens, il précise
la vision machiavelienne du peuple dépositaire de la virtù, oblitérée, en cas de tyrannie, par l'arbitraire du tyran individuel ou oligarchique.
Relire Freyer
Relire
Freyer, contemporain de Schmitt, nous permet de déployer une critique
du normativisme juridique, au nom de l'imbrication des peuples dans
l'histoire et du décisionnisme. L'État de droit, c'est finalement un État qui se laisse réguler par la virtù
enfouie dans l'âme collective du peuple et non un État qui voue un
culte figé à quelques normes abstraites qui finissent toujours par
s'avérer désuètes.
Et
cette volonté freyerienne de s'imbriquer totalement dans le réel pour
échapper aux mondes stérilisés des réductionnismes matérialistes,
économistes et caricaturalement normatifs que nous lèguent les marxismes
et libéralismes vulgaires, ne pourrait-on pas la lire parallèlement à
Péguy ou aux génies de l'école espagnole : Unamuno avec sa dialectique
du cœur, Eugenio d'Ors, Ortega y Gasset ?
► Robert Steuckers, Vouloir n°37/39, 1987.
• 1) Hans FREYER, Machiavelli (mit einem Nachwort von Elfriede Üner), Acta Humaniora, Weinheim, IX/133 p.
• 2) Hans FREYER, Preussentum und Aufklärung und andere Studien zu Ethik und Politik (herausgegeben und kommentiert von Elfriede Üner), Acta Humaniora, Welnheim, 222 p.
¤ Compléments bibliographiques :
- Les Fondements du monde moderne - Théorie du temps présent, H. Freyer, Payot, coll. Bibliothèque scientifique, 1965.
- « Romantisme et conservatisme. Revendication et rejet d'une tradition dans la pensée politique de Thomas Mann et Hans Freyer », C. Roques, in : Les romantismes politiques en Europe, dir. G. Raulet, MSH, avril 2009.
- « Die umstrittene Romantik. Carl Schmitt, Karl Mannheim, Hans Freyer und die "politische Romantik" », C. Roques, in : M. Gangl/ G. Raulet (dir.), Intellektuellendiskurse in der Weimarer Republik. Zur politischen Kultur einer Gemengelage, 2. neubearbeitete und erweiterte Auflage, Frankfurt/M., Peter Lang Verlag 2007 [= Schriftenreihe zur Politischen Kultur der Weimarer Republik, Bd. 10]. [cf. sur ce thème : Les formes du romantisme politique]
- Nationalité et Modernité, D. Jacques, Boréal, Montréal, 1998, 270 p.
- The Other God that Failed : Hans Freyer and the Deradicalization of German Conservatism, J. Z. Muller, Princeton Univ. Press, 1987. Cf. [pt] Reinterpretar Hans Freyer.
- « The Sociological Theories of Hans Freyer : Sociology as a Nationalistic Program of Social Action », Ernest Manheim in : An Introduction to the History of Sociology, H. E. Barnes (éd.), Chicago Univ. Press, 1948.
¤ Liens :
- « La sociologie historique en Allemagne et aux États-Unis : un transfert manqué », G. Steinmetz [ref.]
- « De Tönnies à Weber : sur l'existence d'un "courant allemand" en sociologie », S. Breuer
- Die Bewertung der Wirtschaft im philosophischen Denken des 19. Jahrhunderts, H. Freyer (1921)
¤ Évocations diverses (Merci à BCh!) :
•
1) LE CARACTÈRE INHUMAIN DU CAPITALISME : Mais comment se présente plus
précisément le capitalisme moderne comme système d’action ? Un grand
sociologue humaniste du XXe siècle, Hans Freyer, peut nous aider à
répondre. Dans son livre Theorie des gegenwärtigen Zeitalters (Théorie de l’époque actuelle,
1956), il parle des "systèmes secondaires" comme de produits
spécifiques du monde industrialisé moderne et en analyse la structure
avec précision. Les systèmes secondaires sont caractérisés par le fait
qu’ils développent des processus d’action qui ne se rattachent pas à des
organisations préexistantes, mais se basent sur quelques principes
fonctionnels, par lesquels ils sont construits et dont ils tirent leur
rationalité. Ces processus d’action intègrent l’homme non comme personne
dans son intégralité, mais seulement avec les forces motrices et les
fonctions requises par les principes et par leur mise en œuvre. Ce que
les personnes sont ou doivent être reste en dehors. Les processus
d’action de ce genre se développent et se consolident en un système
répandu, caractérisé par sa rationalité fonctionnelle spécifique, qui se
superpose à la réalité sociale existante en l’influençant, la changeant
et la modelant. Voilà la clé qui permet d’analyser le capitalisme comme
système d’action. (S. Magister)
•
2) En ce qui concerne la tradition sociologique allemande, qui est
marquée par l'influence de nombreuses conceptions philosophiques
(notamment celles du système de Hegel), elle subit en particulier
l'influence néfaste de la distinction opérée par Wilhelm Dilthey
(1833-1911) entre les systèmes de culture (art, science, religion,
morale, droit, économie) et les formes «externes» d'organisation de la
culture (communauté, pouvoir, État, Église). Cette dichotomie fut encore
aggravée par Hans Freyer (1887-1969) qui distinguait les « contenus
objectifs » ou « signification devenue forme », qui sont les « formes
objectivisées de l'esprit » dont l'étude relève des « sciences du logos
», de leurs « être et devenir réels » qui sont l'objet des « sciences de
la réalité ». Le caractère insupportablement artificiel de cette
opposition ne saurait être mieux démontré qu'en rappelant que dans cette
conception, le langage lui-même est défini comme un « assemblage de
mots et de significations, de formes mélodiques et de formations
syntaxiques », comme si on pouvait appréhender le langage indépendamment
de l'organisation sociale des hommes qui l'emploient. Bien entendu, les
langues (Langage) présentent aussi des structures intellectuelles qu'on
ne peut expliquer par la sociologie sans tomber dans l'erreur du
sociologisme; mais ces structures ne constituent que la moitié du
problème. En outre, les entités intellectuelles objectives ne peuvent
jamais être opposées au devenir social, mais seulement former avec lui
une corrélation fonctionnelle dans des complexes d'action culturelle (A.
Silbermann). Dilthey lui-même adoptait à cet égard une position
radicalement plus ouverte, aussi bien dans ses explications réelles,
opposées à son projet, que dans beaucoup d'autres occasions, comme le
prouvent ses tentatives pour établir les fondements psychologiques des
sciences humaines et ses tentatives périodiques pour mettre sur pied une
éthologie empirique (que l'on pourrait également définir comme une
science empirique de la culture). Le danger que recèle cette distinction
consiste avant tout dans ce qu'elle ouvre la voie à une sorte de
distinction hiérarchique à une culture « supérieure », en quelque sorte
proche de l'« esprit », et une culture « inférieure » ; celle-ci se
confond facilement avec le concept de « civilisation » (matérielle), ce
qui introduit dans toute cette approche du problème une évaluation
patente. Il semble préférable de passer de ces conceptions fortement
teintées de philosophie à une approche plus réaliste. Après la
destruction totale de l'ancienne théorie des aires culturelles par
l'ethnologie moderne, la dernière possibilité apparente de séparer
certains contenus culturels de leurs rapports fonctionnels avec la
société a définitivement disparu. (R. König)
• 3) La conférence « Normes éthiques et politiques » que Freyer a tenue en mai 1929 devant la Kant-Gesellschaft, souligne encore la primauté de l'État [comme fondement de la vie politique] sur le peuple. «
L'État est celui qui rassemble et éveille les forces du peuple au
service d'un projet culturel caractéristique ; sa politique est le fer
de lance dans lequel le peuple devient historique ». Deux ans plus tard
[en pleine crise de la République de Weimar], Freyer voit la signification
véritable de la « révolution de droite » dans la résolution avec
laquelle elle mobilise le peuple contre l'État. Et trois ans plus tard,
il est avéré, pour Freyer, «
qu'il existe aussi un véritable esprit du peuple en dehors des
frontières politiques de l'État-Nation ». L'esprit du peuple, lit-on
alors dans un sens tout à fait national-populiste, « doit être autre
chose qu'un contexte fondé sur la politique. Le peuple doit être autre
chose qu'un rassemblement d'hommes au sein d'un système étatique »
(1934). Les singulières variations qui caractérisent la définition par
Freyer du rapport de l'État et du peuple sont bien mises en valeur chez
Üner (Soziologie als „geistige Bewegung“. Hans Freyers System der Soziologie und die „Leipziger Schule“, 1992). (S. Breuer)
Commentaires
Enregistrer un commentaire