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Néo-nationalisme et “Neue Rechte” en RFA de 1946 à 1988
◘ Lecture critique de : Margret FEIT, Die “Neue Rechte” in der Bundesrepublik : Organisation – Ideologie – Strategie, Campus, Frankfurt a.M., 1987, 242 p.
Placer
la “Nouvelle Droite” allemande sous la loupe n'est pas une chose aisée ;
d'abord parce que le terme n'est ni utilisé ni revendiqué par les
hommes et les regroupements que les journalistes rangent arbitrairement
sous cette étiquette. En effet, le vocable “Neue Rechte” est
une création de journalistes, une paresseuse commodité de vocabulaire
qui désigne les tentatives d'innovation idéologique et pratique qui sont
survenues dans le camp “nationaliste” en RFA.
Récemment, Margret Feit a tenté de mener une enquête dans ce landernau
et il en est sorti un livre, épais de 244 pages qui foisonnent
d'informations utiles mais aussi, hélas, de commentaires incongrus et de
simplifications abusives.
La
raison de ces déraillements est simple : M. Feit est une militante
anti-fasciste professionnelle, une de ces Don Quichotte qui, 40 ans
après l'effondrement spectaculaire du Reich de Hitler, passe son temps à
harceler des fantômes de plus en plus poussiéreux. Mais la variante de
son donquichottisme diverge un peu de celle de ses collègues
francophones de la bande à Article 31 (Paris) ou à Celsius
(Bruxelles) ; ceux-ci s'emmêlent les pinceaux, fabriquent des complots
rocambolesques où l'on voit, par ex., le Ministre de la Justice belge
Jean Gol, libéral et israëlite, planifier, dans un arrière-restaurant
bruxellois, l'émergence d'un gigantesque réseau para-militaire avec
l'ancien chef du mouvement Jeune Europe, Jean Thiriart, et un représentant du Président zaïrois, Mobutu Sese Seko ! M. Feit ne pousse pas la plaisanterie aussi loin.
Pourquoi lire ce livre ?
Si les gugusses d'Article 31, de Celsius, leur copain flamand qui sévit au Morgen et le non moins inénarrable Maurice Sarfatti, alias Serge Dumont, plumitif au Vif / L'Express
dont les collègues se gaussent en privé en disant, poliment, “Il est
resté un grand adolescent…”, relèvent tous de la fantaisie charmante, de
l'incurable gaminerie des fils à papa des Golden Sixties, M.
Feit effectue un travail plus sérieux ; elle est de la variante
masochiste, celle qui traque (mal) ses propres fantasmes mais
collectionne quand même les documents authentiques afin de dénoncer,
croit-elle, un véritable réseau, perclus de méchanceté et prêt à se
jeter sur la pauvre démocratie comme le loup de la fable sur l'agneau
tendrelet. Mais Dame Feit est archiviste, elle cite ses sources et c'est
pourquoi son livre vaut une note, même s'il ne contient pas d'index et
si le canevas des chapitres qui se veulent une analyse du contenu
intellectuel de la “Neue Rechte” est
purement et simplement repris d'un livre utile et bien fait, paru en
1975 (il y a 14 ans !) et dû à la plume de Günter Bartsch (1).
Il
vaut plus d'une note si on le débarrasse de ses fantasmes, certes
traqués, mais qui reviennent à chaque paragraphe au grand galop, pour
être sans cesse repoussés par l'énergie terrible que déploie le désir
quasi névrotique de M. Feit d'acquérir tout de même un brin de
respectabilité scientifique. Considérons donc que ce livre à une
certaine valeur, qui demeure cachée derrière des broussailles de
fantasmes, et qu'il faut savoir le lire avec l'adresse d'un défricheur
professionnel.
Le camp nationaliste avant l’avènement de la “Neue Rechte”
Dès
1946, apparaît la DReP (Deutsche Rechts-Partei ; Parti Allemand du
Droit), fusion de la DKoP (Deutsche Konservative Partei) et de la DAP
(Deutsche Aufbau-Partei ; Parti Allemand de la Reconstruction), 2
formations nées en 1945. La DReP, dirigée par Fritz Dorls et Fritz
Rößler, était trop hétérogène pour pouvoir durer ; l’aile conservatrice
se sépara de l’aile socialisante qui, avec les 2 chefs de file, forme en
1949, la SRP (Sozialistische Reichs-Partei). En octobre 1952, le
gouvernement interdit ce parti, sous la pression des alliés, inquiets
parce qu’il avait fait preuve d’un certain dynamisme (1951 : 11% des
voix en Basse-Saxe et 16 sièges). Le parti s’était opposé à la politique
pro-occidentale d’Adenauer, luttait pour une Allemagne réunifiée dans
la neutralité et concurrençait sérieusement les “gauches” grâce à son
programme social audacieux. M. Feit ne souffle mot de cet engagement
résolument non droitier… L’interdiction oblige les militants à changer
de sigle et à modifier le style de leur propagande. Ce sera, notamment,
la DRP (Deutsche Reichs-Partei) qui prendra le relais en enregistrant
encore un certain succès en Basse-Saxe (8,1%, plus que les libéraux de
la FDP). Le redressement économique joue cependant en faveur des partis
confessionnels et de la SPD.
Du nationalisme étatique au nationalisme plébiscitaire et “basisdemokratisch”
À
la suite de l’échec et de l’interdiction de la SRP et de la stagnation
de la DRP, les milieux nationalistes opèrent une sorte de retour sur
eux-mêmes. Les plus audacieux rejettent toutes formes de
pro-occidentalisme et choisissent un neutralisme ou une forme allemande
de gaullisme. Mais les critiques se portent essentiellement contre les
reliquats d’étatisme bismarckien que véhiculaient encore les dirigeants
du “vieux nationalisme” de la SRP et de la DRP. Le noyau organisationnel
de cette révision hostile à l’étatisme centralisateur, ce fut la DG
(Deutsche Gemeinschaft ; Communauté Allemande) d’August Haußleiter, issu
de la CSU bavaroise. Cette DG était nationale-neutraliste et
anti-libérale dans le sens où l’entendaient les principaux protagonistes
de la “konservative Revolution” du temps de Weimar. L’État auquel
aspirait cette formation se légitimerait, non sur la puissance d’un
parti qui gagnerait les élections, mais sur la volonté populaire,
génératrice d’une harmonie et d’une convivialité populaires. D’emblée,
avec un tel programme, annoncé pour les 2 républiques allemandes et pour
l’Autriche, les militants de la DG ont pris le parti des peuples
colonisés en lutte pour l’acquisition de leur indépendance (Égypte
nassérienne, FLN algérien, etc.) car ces combats sont à mettre en
parallèle avec la volonté des Allemands d’obtenir, eux aussi, leur
propre auto-détermination.
En
mai 1965, alors que les restes de la DRP venaient de se rassembler au
sein d’une nouvelle formation, la NPD (National-Demokratische Partei
Deutschlands), fondée en novembre 1964, la DG, avec le DFP (Deutsche
Freiheits-Partei ; Parti Allemand de la Liberté) et la VDNV (Vereinigung
Deutsche National-Versammlung ; Association pour le Rassemblement
national-allemand), se mue en AUD (Aktionsgemeinschaft Unabhängiger
Deutsche ; Communauté d’Action des Allemands Indépendants). Un clivage
net se forme immédiatement : les vieux-nationalistes, étatistes, se
retrouvent à la NPD, tandis que la gauche des nationaux, avec les
principaux intellectuels, se retrouve à l’AUD.
De l’AUD à l’ouverture aux mouvements de gauche et à l’écologisme
Notons
que la VDNV comptait dans ses rangs Wolf Schenke, fondateur d’une
conception de “troisième voie” et partisan de la neutralité, et
l’historien Wolfgang Venohr (cf. Orientations n°3). L’AUD,
fidèle à son refus des vieilles formules étatistes et fascisantes et à
sa volonté populiste et organique, s’ouvrira à l’APO
(Außerparlamentarische Opposition ; Opposition extra-parlementaire)
gauchisante et fera sienne quantité d’arguments pacifistes et
néo-démocratiques (dont l’objectif est l’édification d’une démocratie
au-delà des partis et des familles idéologiques traditionnelles). Les
pourparlers engagés avec l’APO échoueront (bien que plusieurs
responsables de l’APO et du SDS, son organisation étudiante, se
retrouveront dans les années 80 dans le camp néo-nationaliste) et les
militants de l’AUD investiront les cercles d’écologistes, au nom d’un
idéologème organique, de tradition bien romantique et germanique : la
protection de la Vie (Lebensschutz). Plusieurs de ces militants
fonderont, avec des éléments plus gauchistes, le fameux “Parti des
Verts” que nous connaissons aujourd’hui.
Les Strassériens : “Troisième Voie”, Solidarisme, Européisme
Les Strassériens, regroupés autour d’Otto Strasser, constituent une composante supplémentaire du néo-nationalisme d’après 1945. Dès l’effondrement du IIIe Reich, Otto Strasser, depuis son exil canadien, envoie massivement des Rundbriefe für Deutschlands Erneuerung (Circulaires
pour le Renouveau Allemand) à ses sympathisants. Ces circulaires
évoquent une réunification allemande sur base d’une “troisième voie
européenne”, axée sur un solidarisme qui renverrait dos à dos le
capitalisme libéral occidental et le socialisme à la soviétique. Ce
solidarisme abolirait les clivages de classe, tout en forgeant une élite
dirigeante nouvelle. L’unité allemande, vue par Strasser, implique un
neutralisme armé, noyau militaire futur d’une Europe indépendante qui
doit devenir une puissance politique égale, sinon supérieure, aux USA et
à l’URSS. Cette Europe serait l’alliée du Tiers-Monde, car les pays de
ce Tiers-Monde devront fournir les matières premières à la “Fédération
Européenne” en gestation.
Pour
soutenir et diffuser ce programme, les Strasseriens ouest-allemands
fondent en 1954 la DSU (Deutsche Soziale Union). Plusieurs militants
nationaux-révolutionnaires y ont fait leurs premières armes, notamment
Henning Eichberg entre 1956 et 1959. En 1961, il passe à la VDNV de
Venohr et Schenke (cf. supra). Ce passage implique un abandon
de l’étatisme et du centralisme néo-strassériens et une adhésion au
démocratisme populiste, dont l’AUD allait se faire le champion.
Auto-gestion ouvrière et nationalisme de libération
Dans
cette même mouvance, apparaissent les “Vötokalisten” autour d’E.
Kliese. Ce cercle politique élabore une théorie nouvelle de
l’auto-gestion ouvrière, dérivée des principes du “socialisme allemand”
(cf. Orientations n°7 et Trasgressioni n°4), seule
véritable rénovation du marxisme en ce siècle. Cette théorie de
l’auto-gestion formera le noyau de la doctrine sociale de l’UAP
(Unabhängige Arbeiter Partei), autre formation qui se crée au début des
années soixante et qui se veut « la formation de combat pour un
socialisme libertaire et démocratique de la nation allemande ». Vötokalisten
et militants de l’UAP se réclament de Ferdinand Lassalle, fondateur de
la social-démocratie allemande et admirateur de l’œuvre de Bismarck. Le
lecteur francophone constatera ici combien proches de la
social-démocratie sont les différentes variantes du néo-nationalisme
allemand.
Ce
socialisme allemand, à connotations lassalliennes, s’oppose tant à la
NPD, jugé droitière, qu’aux communistes et à la SPD, jugés traîtres à
l’idéal socialiste. Un personnage important apparaît dans cette mouvance
: Wolfgang Strauss, ancien militant du parti libéral est-allemand
(LDPD) et ancien forçat de Vorkhuta. Strauss se fait l’avocat d’un
socialisme populaire et d’un nationalisme de libération, dont le modèle
dérive, entre autres, de la résistance ukrainienne, du solidarisme russe
et de la révolution hongroise de 1956. Le nationalisme est conçu, dans
cette optique, comme le levain sentimental qui fera naître un socialisme
proche du peuple, résolument anti-impérialiste, hostile aux super-gros,
ethno-pluraliste.
Le déclin de la NPD
Malgré
quelques succès initiaux lors des élections dans les Länder, la NPD ne
parvint jamais à dépasser le score de 4,3% (en 1969) pour le scrutin
fédéral. Le parti s’est divisé entre idéalistes et opportunistes, tandis
que la mouvance du nationalisme démocratique, néo-socialiste et
pré-écologique attire davantage les intellectuels et les étudiants.
Cette strate sociologique est effectivement porteuse des principales
innovations idéologiques du néo-nationalisme allemand à la veille de
l’agitation de 68. Si l’on s’intéresse à cette germination constante
plutôt qu’aux structures fixes, une analyse des associations étudiantes
qui se sont créées en marge de la NPD (et souvent en opposition directe à
elle) se révèlera très utile.
Plusieurs
initiatives se succèderont dans le monde universitaire. Parmi elles, le
BNS (Bund Nationaler Studenten ; Ligue des Étudiants Nationaux) en
1956, sous l’impulsion de Peter Dehoust, l’actuel directeur de la revue Nation Europa
(Cobourg). Dehoust et ses compagnons voulait appuyer le combat
proprement politique des nationaux par une intervention tous azimuts
dans le domaine de la “culture”, ce qui, dans le langage politique
allemand, s’appelle engager un nouveau Kulturkampf. Les
disciplines que privilégiait ce “Kulturkampf” étaient bien entendu
l’histoire et la biopolitique. Le BNS a assurément constitué un modèle
d’organisation bien conçu, mais son message idéologique était, sous bon
nombre d’aspects, plus conservateur que le programme et les intentions
de la DG qui, plus tard, donnera l’AUD.
Les
organisations qui prendront le relais dans les années 60, entre la mise
sur pied de la NPD et l’effervescence de 67-68, seront, elles, plus
fidèles au populisme révolutionnaire et assez hostiles aux derniers
linéaments d’étatisme. En octobre 1964, Sven Thomas Frank, Bodo Blum et
Fred Mohlau fondent à Berlin l’IDJ (Initiative der Jugend ; Initiative
de la Jeunesse), qui, en 1968, fusionnera avec quelques autres
organisations militantes pour former l’APM (Außerparlamentarische
Mitarbeit ; Coopération extra-parlementaire) ; cette nouvelle initiative
était à l’évidence calquée sur l’APO (Außerparlamentarische Opposition)
gauchiste. L’APM visait à regrouper les nationaux, ceux qui ne
renonçaient pas à l’idée d’une réunification allemande et ne cessaient
de considérer Berlin comme la capitale unique de toute l’Allemagne.
Rudi Dutschke et Bernd Rabehl glissent vers une forme de nationalisme
Günther
Bartsch souligne très pertinemment, au contraire de M. Feit, que,
malgré le clivage initial induit par la question nationale, les groupes
d’étudiants glissaient tous, gauchistes comme nationalistes, vers une
forme nouvelle, militante et revendicatrice de nationalisme. Bartsch
rappelle que les 2 leaders gauchistes du Berlin de 68, Rudi Dutschke et
Bernd Rabehl, ne posaient pas du tout l’équation éculée : “nationalisme =
fascisme”. Au contraire, très tôt, Rabehl, dans plusieurs textes
théoriques, insista sur le fait que les motivations nationalistes
avaient joué un rôle de premier plan dans les révolutions française,
russe, yougoslave et chinoise.
Dialectiquement,
selon Rabehl, le nationalisme recèle une utilité progressiste ; il
dynamise le processus de l’histoire et provoque l’accélération des
conflits de classe, donc le déclenchement des révolutions socialistes.
L’idéologie nationale permet de donner un discours unificateur aux
différentes composantes de la classe ouvrière. À l’échelle du globe,
poursuit Rabehl, un néo-nationalisme allemand, porté par la classe
ouvrière, permettrait d’ébranler le condominium américano-soviétique,
incarnation de la réaction, de l’immobilisme, au XXe siècle, tout comme le “système Metternich”, issu du Congrès de Vienne de 1815, l’avait été au début du XIXe.
Dutschke,
avec tout son charisme, appuya ce glissement entamé par son camarade
Rabehl. Il alla même plus loin : il écrivit que le XXe
siècle allemand avait connu 3 formes de socialisme ouvrier et
révolutionnaire : la SPD socialiste, la KPD communiste et… la NSDAP de
Hitler (à qui il reprochait toutefois certaines compromissions et
orientations diplomatiques). Cette réhabilitation (très) partielle du
rôle historique de la NSDAP démontre à l’évidence que l’anti-fascisme
manichéen, qui fait rage de nos jours, n’avait déjà plus droit de cité
chez les théoriciens gauchistes sérieux des années 60. Margret
Feit ne souffle évidemment mot de ce glissement et évite,
dogmatiquement, de se pencher sur la valeur théorique de cet
argumentaire commun à la “Nouvelle Gauche” et à la “Nouvelle Droite”. Bartsch constate que les militants de gauche et les jeunes nationalistes avaient bon nombre d’idées en commun, notamment :
- le refus de l’establishment ;
- la critique de la société de consommation ;
- l’hostilité à l’encontre des manipulations médiatiques ;
- le refus de l’hyper-spécialisation ;
- l’attitude anti-technocratique à connotations écologiques ;
- l’anticapitalisme et la volonté de forger un nouveau socialisme ;
- le mythe de la jeunesse rénovatrice ;
- l’anti-bourgeoisisme où marxisme et niétzschéisme se mêlaient étroitement ;
- la volonté de remettre absolument tout en question.
Pourquoi
nationalistes et gauchistes n’ont-ils pas marché ensemble contre le
système, puisque leurs positions étaient si proches ? Bartsch estime que
c’est parce que les nationalistes véhiculaient encore de manière trop
patente des imageries et des références du passé, tandis que la gauche
maniait la théorie “critique” avec une dextérité remarquable et
bénéficiait de l’impact retentissant du livre de Marcuse, L’homme unidimensionnel [cf. l'analyse critique de M. Haar, L'Homme unidimensionnel, Hatier/Profil d'une œuvre, 1975]. La césure entre les “styles” était encore insurmontable.
“Junges Forum” et “Junge Kritik” : un laboratoire d’idées à Hambourg
La revue Junges Forum,
fondée en 1964 à Hambourg, envisageait d’emblée de « jeter les bases
théoriques d’une pensée nouvelle ». La volonté qui animait cette
intention, c’était de sortir du ghetto strictement politique, où se
percevait une nette stagnation quant au recrutement de militants
nouveaux, et de suggérer aux citoyens dépolitisés un message neuf,
susceptible de les intéresser et de les sortir de leur torpeur. Ceux que
M. Feit nomme les « têtes pensantes » de la “Neue Rechte” ont publié
articles et manifestes dans les colonnes de Junges Forum. Parmi
elles : Wolfgang Strauss, Lothar Penz, Hans Amhoff, Henning Eichberg et
Fritz Joß. Les thèmes abordés concernaient : le renouveau intellectuel,
la recherche d’une forme de démocratie plus satisfaisante,
l’élaboration d’un socialisme organique, la réunification allemande,
l’unité européenne, l’ébauche d’un ordre international basé sur les
principes de l’organicité, l’écologie, le régionalisme, le solidarisme,
etc.
En
1972, le comité de rédaction de la revue publie un manifeste en 36
points, dont l’objectif avéré est de poser les bases d’un socialisme
populaire et organique, capable de constituer une alternative cohérente
aux idéologies libérale et marxisante alors dominantes (le texte, sans
les notes, est reproduit in extenso en annexe du livre de
Bartsch). Ce manifeste exercera une influence relativement modeste chez
nous, notamment dans certains cercles proches de la Volksunie,
chez les solidaristes flamands, chez les régionalistes, chez quelques
néo-socialistes et/ou solidaristes bruxellois, notamment dans la revue
lycéenne Vecteurs (1981) dont il n’est jamais paru qu’un seul numéro, lequel reproduisait une traduction adaptée du programme de Junges Forum, par Christian Lepetit, militant de l’AIB (Anti-Imperialistische Bond ; Ligue Anti-Impérialiste) para-maoïste. Robert Steuckers diffusait ce message dans l’orbite de la revue Pour une renaissance européenne, organe du GRECE-Bruxelles, dirigé par Georges Hupin.
Nationalisme européen, nouvel ordre économique, philosophie et politique
Parallèlement à la revue paraissait une collection de petits livres de poche, dénommée Junge Kritik. Davantage encore que les cahiers de Junges Forum, les textes de réflexions alignés dans les pages des 3 volumes de Junge Kritik
constituent la base essentielle d’une rénovation totale de la pensée
nationaliste à l’aube des années 70 (la parution des 3 premiers
fascicules s’étend de 1970 à 1973). Margret Feit, évidemment, ne
s'intéresse pas à l'évolution des idées : elle préfère fabriquer un
puzzle de connections réelles ou imaginaires pour étayer une x-ème théorie du complot.
L’objectivité nous oblige à recourir directement aux textes. Dans le volume n°1 (Nationalismus Heute ;
Le Nationalisme aujourd’hui), les jeunes leaders Hartwig Singer
(pseudonyme d’Henning Eichberg), Gert Waldmann et Michael Meinrad
entonnaient un plaidoyer pour une européanisation du nationalisme et,
partant, pour une libération de l’ensemble de notre sous-continent des
tutelles américaine et soviétique. Le nationalisme rénové serait dès
lors “progressiste” puisqu’il impliquerait, non la conservation de
structures mortes (comme le suggère la vieille historiographie libérale /
marxiste), mais la libération de nos peuples d’une oppression politique
et économique, fonctionnant à 2 vitesses (l’occidentale et la
soviétique), ce qu’avaient déjà envisagé les “dutschkistes” berlinois.
Dans le second volume de Junge Kritik, intitulé Leistungsgemeinschaft
(communauté de prestation), Meinrad, Joß et Bronner développent le
programme économique du néo-nationalisme : solidarité des strates
laborieuses de toutes les nations, propriété des moyens de production
pour tout ceux qui prestent, limitation drastique des concentrations
capitalistes. Hartwig Singer, pour sa part, y publiait un Manifest Neue Rationalität
(Manifeste pour une nouvelle rationalité), où le parallèle avec les
efforts d’Alain de Benoist à la même époque saute aux yeux. Singer et de
Benoist, en effet, voulaient, par le biais de l’empirisme logique
anglo-saxon et de l’interprétation que donnait de celui-ci le Français
Louis Rougier, lancer une offensive contre l’essentialisme des
idéologies dominantes de l’époque. Singer ajoutait toutefois à ce
message empiriste et rougiérien l’apport de Marx, pour qui toute
idéologie cache des intérêts, et de Max Weber, théoricien du processus
de rationalisation en Occident. Singer, s’inscrivant dans un contexte
allemand nettement plus révolutionnaire que le contexte franco-parisien,
grèvé d’un anti-marxisme trop littéraire, osait mobiliser le Marx dur
et réaliste contre le Marx abstrait et faux des néo-moralistes. Ce qui
permettait de corriger l’apolitisme de Rougier qui conduisait à un
conservatisme BCBG, incapable de briser les incohérences pratiques du
libéralisme ambiant de l’Occident.
Le néo-nationalisme est “progressiste”
Dans le troisième volume, qui eut pour titre Europäischer Nationalismus ist Fortschritt
(Le Nationalisme Européen, c’est le progrès !), Meinrad, Waldmann et
Joß reprenaient et complétaient leurs thèses, tandis que Singer, dans sa
contribution (« Logischer Empirismus »), accentuait encore le
modernisme conceptuel de Junge Kritik ; la proximité de sa démarche par rapport à celle d’Alain de Benoist dans Nouvelle École en 1972-73 apparaît plus évidente encore que dans le texte Manifest Neue Rationalität. Singer non seulement cite abondamment Nouvelle École mais incite ses camarades à lire Monod, Russell, Rougier et Heisenberg, 4 auteurs étudiés par Nouvelle École.
Singer ajoute que, de cette quadruple lecture, il est possible de
déduire un socialisme de type nouveau (Monod et Russell), un
néonationalisme (Heisenberg) et une nouvelle “conscience européenne”
(Rougier). Rougier, en effet, avait démontré que le génie européen était
le seul génie ouvert sur le progrès, capable d’innovation et
d’adaptation. La rationalité européenne, selon Rougier, de Benoist et
Singer, transcendait largement les idéaux orientaux contemplatifs que la
vogue hippy, dans le sillage de 68 et de la contestation
américaine contre la guerre du Vietnam, injectait dans l’opinion
publique. Le néo-nationalisme apparaissait dès lors comme progressiste,
car ouvert aux sciences modernes, tout comme il apparaissait
progressiste aux yeux de Dutschke et Rabehl car il pouvait briser, par
son énergie, l’oppression représentée par une aliénation macro-politique
: celle instaurée à Yalta.
Ce tandem philosophique germano-français ne durera pas : quelques années plus tard, la revue éléments,
organe du GRECE et proche d'Alain de Benoist, attaque la mouvance
écologique, dans laquelle les Allemands se sentent directement engagés.
Sur le plan de la défense nationale, les Français appuyent l'armement
atomique national, démarche dans laquelle les Allemands ne se sentent
pas concernés. Ce n'est qu'à partir de 1982, quand A. de Benoist tranche
nettement en faveur du neutralisme allemand, que les positions
respectives des Allemands et des Français se rejoignent une nouvelle
fois.
L’apport flamand
En Flandre, le pays où, en dehors de l’Allemagne, Junges Forum
compte le plus d’abonnés, le solidarisme et le régionalisme de la revue
hambourgeoise ont éveillé beaucoup d’intérêt, si bien que bon nombre
d’écrivains (méta)politiques flamands ont contribué à l’effort de Junges Forum. Citons, pêle-mêle : Jos Vinks (Le nationalisme flamand, 1977 ; Le pacifisme du mouvement flamand, 1981; La langue afrikaans, 1987), Roeland Raes (Le régionalisme en Europe, 1979), Willy Cobbaut (L’alternative solidariste, 1981), Frans de Hoon (Approche positive de l’anarchisme, 1982), Piet Tommissen (Le concept de “métapolitique” chez Alain de Benoist, 1984), Robert Steuckers (Henri De Man, 1986). À l’occasion du 150ème
anniversaire de la Belgique, en 1980, Jos Vinks, Edwin Truyens, Johan
van Herreweghe et Pieter Moerman expliquent, d’un point de vue flamand,
les racines historiques et la situation de la querelle linguistique en Belgique. La contribution française se limite, en 1984, à un texte d’A. de Benoist définissant la “Nouvelle Droite” et à un essai de Jacques Marlaud sur la théorie gramscienne de la métapolitique et sur son application pratique par la “Nouvelle Droite”.
On
imagine ce qu’aurait pu donner, en Europe, une fusion du “dutschkisme”,
du néo-européisme et de la praxis gramscienne — ce qu’avaient espéré
les quelques lycéens bruxellois francophones, regroupés autour de
Christian Lepetit et Éric Delaan, avant que la dispersion universitaire
et le service militaire ne les séparent… La mésaventure furtive de
Lepetit et de Delaan mérite l’attention car elle montre que le
néo-nationalisme néo-socialiste et régionaliste, préconisé par les
Allemands, pouvaient séduire, au-delà des frontières, des garçons qui
militaient dans la mouvance anti-impérialiste du maoïsme en pleine
liquéfaction.
Les “groupes de base” nationaux-révolutionnaires
Parallèlement à l’entreprise Junges Forum,
qui se poursuit toujours aujourd’hui et qui fêtera ses 24 ans en 1988,
la mouvance néo-nationaliste allemande s’est constituée en “groupes de
base” (Basisgruppen). Le terme est issu du vocabulaire de la
contestation gauchiste. Les organisations étudiantes de gauche avaient
débordé le cadre universitaire et envahit les lycées et les usines.
L’émergence du “groupe de base” signifie que, désormais, il existe une
imbrication des révolutionnaires nationaux dans toutes les couches de la
société. Cette diversification postule une décentralisation et une
relative autonomie des groupes locaux qui doivent être prêts à
intervenir à tout moment et très vite dans leur ville, leur lycée, leur
usine, sans devoir s’adresser à une instance centrale.
Agitation à Bochum
La
stratégie des “groupes de base” se manifestera de la façon la plus
spectaculaire à l’Université de la Ruhr à Bochum. Un groupe d’activistes
néo-nationalistes y militait efficacement et y avait fondé un journal,
le Ruhr-Studenten-Anzeiger. Autour de cette feuille militante, s’organise en 1968 un Republikanischer Studentenbund
(RSB ; Ligue des Étudiants Républicains) qui se propose de devenir un
contrepoids au SDS gauchiste. L’affrontement n’allait pas tarder : les
militants du RSB reprochaient au SDS d’organiser des grèves sans objet
afin d’asseoir leur pouvoir sur les masses étudiantes. Au cours d’un
blocus organisé par les gauchistes, le RSB prend l’université de Bochum
d’assaut et proclame, avec un langage marxiste-populiste, son hostilité
aux “exploiteurs” et aux “bonzes” du SDS, devenus parties prenantes d’un
néo-establishment, où le gauchisme avait désormais sa place. Les
proclamations du RSB, rédigées par Singer, étaient truffées de citations
de Lénine, de Marx et de Mao. Singer se référait également aux discours
tenus par les agitateurs ouvriers berlinois contre les fonctionnaires
communistes d’Ulbricht, lors du soulèvement de juin 1953. Les révoltés
insultaient les fonctionnaires est-allemands de la SED, marionnettes des
Soviétiques, de “singes à lunettes”, de “patapoufs adipeux” et de
“ronds-de-cuir réactionnaires”. Cette annexion du vocabulaire marxiste
et de la verve berlinoise de 53 irritait les gauchistes car, ipso facto,
ils perdaient le monopole du langage-choc militant et entrevoyaient une
possible intrusion des NR dans leurs propres milieux, avec le risque
évident du débauchage et de la contre-séduction…
Les
bagarres de 1968 et l’adoption par les nationalistes d’un langage puisé
dans l’idéologie marxiste, bien qu’elles aient surpris le SDS, n’eurent
guère d’échos en dehors de la Ruhr et durent affronter la conspiration
du silence. Le RSB et le Ruhr-Studenten-Anzeiger disparurent,
sans pour autant entraîner la disparition totale d’une agitation
nationaliste de gauche à Bochum. Ainsi, au début des années 70, les
nationalistes participent aux manifestations de la gauche contre la
spéculation immmobilière et l’augmentation des loyers et reprennent à
leur compte le slogan des groupes trotskystes : “La division de
l’Allemagne, c’est la division du prolétariat allemand !”. L’aventure du
RBS est en ceci significative pour l’évolution ultérieure du
néo-nationalisme allemand (que M. Feit nomme abusivement “Neue Rechte”),
qu’elle marque sa transition définitive vers la gauche, sa sortie hors
du microcosme para-droitier dans lequel, du fait de l’existence de la
NPD, il demeurait incrusté. La faillite et la stérilité historique du
“droitisme” y sont proclamées et l’accent est mis résolument sur le
socialisme, la rationalité critique, l’athéisme militant et le
futurisme.
Munich et Bielefeld
Après
Bochum, d’autres “groupes de base” voient le jour et chacun d’eux
développe une originalité propre. Ainsi, à Munich, Wolfgang Strauss
forme un comité pour jeunes travailleurs, lycéens et étudiants, dont
l’objectif est de donner une culture militante, basée sur la littérature
et la science politique. Strauss nomme son groupe Club Symonenko,
du nom d’un poète ukrainien, Wasyl Symonenko, décédé en 1963, après
avoir subi la répression soviétique. Ce comité exige la libération de
l’historien ukrainien Valentin Moro, organise des soirées avec
l’écrivain polonais exilé Zygmunt Jablonski et des matinées du 17 juin,
en souvenir du soulèvement ouvrier berlinois de 1953, distribue des
tracts bilingues en faveur de l’IRA irlandaise et fonde un “cercle de travail” James Connolly,
en hommage au syndicaliste militant et nationaliste irlandais, qui
savait puiser ses arguments dans la mythologie celtique. Les références
allemandes étaient le poète Georg Büchner, fondateur au XIXe siècle de la Société des droits de l’Homme et le poète romantique Theodor Körner, engagé dans le Corps Lützow
(Cf. la musique de Weber) pour chasser l’oppresseur bonapartiste et ses
troupes de pillards hors d’Allemagne. Strauss réussit à la veille des
années 70 à jeter les bases d’une culture politique originale, puisant
dans le corpus des nationalismes populaires et libertaires slaves et
celtiques et à réveiller l’enthousiasme des jeunes allemands pour leurs
poètes nationalistes, libertaires, anarchisants et radicalement
anti-bourgeois du début du XIXe. Ce corpus se maintiendra tel jusque dans les colonnes de la revue Wir Selbst, au début des années 80 (cf. infra).
Si
en Sarre et en Rhénanie-Westphalie, les “groupes de base” finissent par
choisir une inféodation à la NPD — qui ne cessa jamais d’être
problématique et d’engendrer des conflits idéologiques graves — à
Bielefeld, le groupe NJ-Stadtverband (Groupe urbain de la
jeunesse nationaliste), proche des Berlinois de l’APM, parvient à
organiser une agitation moderne, avec disques de chants protestataires
composés par Singer, et à tirer un journal, Wendepunkt, à 4.500
exemplaires ! Du jamais vu ! La tactique éditoriale était de rassembler
un maximum de textes et d’informations, émanant directement des
militants, et de les aligner dans les colonnes du journal ; d’autres
“groupes de base” suivent la même stratégie, ce qui permet de former un
cadre solide, grâce à une bonne division du travail et à une masse
concentrée d’informations militantes. Le militantisme devenait ainsi
vivant donc rentable.
Cinq types d’action
La
coordination entre les groupes doit s’étendre à l’échellon national,
pensait Meinrad, et éliminer la NPD droitière et désuète. Les groupes
doivent compter de 15 à 20 activistes locaux auto-financés grâce à des
cotisations relativement élevées, et mener régulièrement 5 types
d’action, explique Bartsch :
- 1) Les commémorations, notamment celle du 17 juin 1953 et du 13 août 1961, date à laquelle fut érigé le Mur de Berlin.
- 2) Les actions écologiques : le groupe Junges Forum de Hambourg y excella. Il organisa des Bürgerinitiativen (Initiatives de Citoyens) contre la construction d’une autoroute en plein milieu de la ville. Le nationalisme, dans cette perspective, c’était de protéger l’intégrité naturelle du biotope populaire.
- 3) Les actions sociales : elles sont essentiellement dirigées contre la spéculation immobilière, l’augmentation des loyers et l’augmentation des tarifs des transports en commun. Ces actions visent aussi à expliquer l’irrationalité du fonctionnement de la machine étatique, qui prétend être une démocratie parfaite.
- 4) Les actions de solidarité : elles visent à soutenir les nationalismes contestataires est-européens, car, pensent les activistes néo-nationalistes ouest-allemands des années 70, l’unité allemande ne pourra se réaliser que si un bouleversement majeur s’effectue en Europe de l’Est.
- 5) Les actions de résistance : il s’agit surtout de chahuts contre la visite de personnalités est-allemandes à l’Ouest dans le cadre de l’Ostpolitik de Willy Brandt.
Vers l’unité : la NRAO (Nationalrevolutionäre Aufbauorganisation)
L’ensemble
des “groupes de base” ne forme pas un parti, structuré de façon rigide,
mais un mouvement dynamique qui intègre sans cesse des informations et
des faits nouveaux. Sa non-rigidité et sa diversité le mettent au
diapason de l’actualité et empêchent tout encroûtement, tout repli sur
soi et/ou sur un corpus figé. Le politique ne se joue pas seulement aux
élections, moments furtifs, mais se déploie et s’insinue sans cesse dans
la vie quotidienne. Mieux : il s’incruste dans les consciences grâce à
une agitation constante, laquelle implique que chaque militant ait à
cœur de se former personnellement chaque jour en lisant la presse et les
livres, ceux qui confortent ses références culturelles essentielles et
spontanées et ceux écrits par ses adversaires, afin de bien connaître
les clivages idéologiques qui s’articulent dans le pays.
Afin
d’amplifier l’action de ces “groupes de base” bien imbriqués dans les
villes et dans les universités allemandes, plusieurs figures de proue de
cette mouvance néo-nationaliste (ou nationale-révolutionnaire) décident
en mars 1974 de créer une “organisation de coordination” qui prendra le
nom de NRAO ou Nationalrevolutionäre Aufbauorganisation (Organisation
de Construction nationale-révolutionnaire). Plusieurs réunions seront
nécessaires pour mettre au point une stratégie commune. Au cours de la
première, qui eut lieu les 2 et 3 mars 1974 à Würzburg, trois orateurs
jetèrent les bases du renouveau : Alexander Epstein (alias Sven Thomas
Frank), Lothar Penz et Hans Amhoff.
Le discours d’Epstein
Le
discours tenu par Epstein révélait, entre autres choses, une volonté de
combattre les “ennemis de l’intérieur”, de réfuter le patriotisme ersatz
ouest-européen (l’intégration-CEE vendue comme une panacée par les amis
d’Adenauer), de jouer, en politique internationale, la carte chinoise
contre les 2 super-gros. Epstein intégrait de cette façon la théorie
maoïste des “trois mondes” dans le corpus doctrinal NR. En outre, il
pose le mouvement NR comme le seul mouvement authentiquement national,
puisque la SED est-allemande et la DKP ouest-allemande sont à la solde
de l’URSS, tandis que les partis bourgeois, la SPD, la FDP et la CDU /
CSU constituent les garants de la présence américaine, malgré l’aile
gauche de la SPD, favorable à une Ostpolitik démissionnaire.
Dans ce schéma, la NPD, par son droitisme incurable, se place à la
droite de la CSU bavaroise. Seul, le petit microcosme maoïste berlinois,
éditeur de la prestigieuse revue Befreiung, trouvait grâce aux
yeux d’Epstein qui, du coup, se faisait l’avocat d’une coopération
tacite et courtoise entre maoïstes et NR.
Epstein,
comme Penz et Amhoff, pensait que la stratégie à suivre ne pouvait
nullement être clandestine ou illégale ; comme seuls les NR réclamaient
de façon cohérente la réunification du pays, leur programme était
conforme au mot d’ordre inscrit dans le préambule de la constitution
démocratique de la RFA, mot d’ordre qui demandait aux citoyens de
mobiliser tous leurs efforts pour redonner l’unité et la liberté à
l’Allemagne. Ensuite, toujours à l’occasion de ce rassemblement de
Würzburg, Penz précise sa vision sociale « biohumaniste » et Amhoff
explicite sa définition rénovée du nationalisme moderne de libération,
anti-impérialiste dans son essence.
La création de “Sache des Volkes”
La
dispersion géographique des groupes, les modes de travail différenciés
que chacun d’entre eux avait acquis et quelques divergences idéologiques
firent en sorte qu’aucun centralisme ne pouvait plus chapeauter la
diversité propre au mouvement NR. Dès le 31 août 1974, Epstein (= S.T.
Frank), Waldmann et Amhoff convoquent un millier de militants NR pour
leur faire part de nouveaux projets : embrayer sur la contestation
écologique parce que le massacre du paysage est l’œuvre d’un capitalisme
apatride et déraciné ; ébaucher un socialisme solidaire, populaire,
enraciné, à la mode des socialismes adoptés par les peuples opprimés du
tiers-monde ; construire l’autogestion ouvrière à la façon yougoslave,
etc. Le mouvement Sache des Volkes (en abrégé, SdV ; Cause du
Peuple), qui est issu de ce rassemblement, se veut partie d’un mouvement
mondial diffus qui lutte, partout dans le monde, contre le capitalisme
et le socialisme étatisé à la soviétique.
Hartwig Singer va donner corps à ce double refus, auquel adhéraient également les militants NR français (notamment ceux de Lutte du Peuple et les militants provençaux du CDPU) et les Italiens et les Belges de Jeune Europe
et de ses divers avatars. Dans le discours qu’il envoie aux
congressistes et qui leur sera lu, il rappelle l’abc qu’est le refus de
Moscou comme de Washington, mais explique aussi qu’il est nécessaire de
tenir compte de faits nouveaux : l’ennemi principal n’est plus le
capitalisme localisé, à base nationale, mais le capitalisme
multinational qui a fait de l’US Army
et de l’Armée Rouge ses 2 instances policières sur l’ensemble du globe.
Singer désignait dès lors un ennemi plus précis, unique : le capital
multinational, dont les impérialismes
classiques, installés depuis Yalta, ne sont que les instruments. La
politique de la détente, dans cette optique, n’aurait pour objectif que
de permettre au capitalisme occidental multinational d’ouvrir des
marchés à l’est.
SdV s’est exprimée de 1978 à 1988 dans la revue Neue Zeit qui continue de paraître à Berlin, tandis qu’une série de feuilles ont ponctué la vie militante du mouvement comme Laser (Düsseldorf), Ideologie und Strategie, Rebell et Der Nationalrevolutionär à Vienne ; cette dernière paraît toujours sous la direction d’Helmut Müller.
Solidaristische Volksbewegung (SVB)
Tandis
que les éléments les plus jeunes de la mouvance NR calquaient leur
stratégie offensive sur celle des gauchistes, les militants de Hambourg,
regroupés autour de la revue Junges Forum et de la
personnalité de Lothar Penz, optaient pour un “solidarisme” plus positif
que le discours critique, offensif et révolutionnaire de SdV. De ce
désaccord pratique, naîtra un mouvement parallèle, la Solidaristische Volksbewegung (Mouvement Solidariste du Peuple), dont l’organe de presse sera SOL.
En 1980, la SVB devient le BDS (Bund Deutscher Solidaristen ; Ligue des
Solidaristes Allemands), après avoir téléguidé la GLU écologiste (Grüne
Liste Umweltschutz ; Liste Verte pour la Protection de
l’Environnement). En janvier 1981, SOL fusionne avec Neue Zeit, qui devient ipso facto l’organe commun de SdV et du BDS.
“Wir Selbst” et NRKA
Les
2 formations perdent au début des années 80 le monopole de la presse
NR, à cause de l’apparition de 2 nouveaux facteurs : la création par
Siegfried Bublies de la prestigieuse revue Wir Selbst
(Coblence) et l’émergence d’un nouveau réseau coordonateur, le NRKA
(National-revolutionärer Koordinationsausschuß ; Commission de
Coordination NR), appuyé par la revue Aufbruch. Né à Düsseldorf dans le sillage de la revue Laser préalablement inféodée à SdV, le NRKA veut d’emblée rompre avec Neue Zeit
pour aborder les questions sociales dans une perspective plus
“progressiste” et pour accentuer encore la critique anti-capitaliste du
mouvement NR.
Cette
mutation provient du fait que les nouveaux membres de la cellule de
Düsseldorf ne sont plus exclusivement issus de la filière
néo-nationaliste classique de notre après-guerre mais viennent souvent
du marxisme-léninisme. Ces éléments nouveaux entendaient rester fidèles à
la “quintuple révolution” prônée par SdV, dans son manifeste de 1974.
Quintuple révolution qui devait s’opérer aux niveaux national, social,
écologique, démocratique et culturel. La critique lancée par les
militants du NRKA est le fait d’une “deuxième génération” NR, dont le
militantisme récent empêche de retomber dans les “errements” du
paléo-nationalisme droitier.
De nouveaux vocables et concepts apparaissent, notamment celui d’une “démocratie des conseils” (Rätedemokratie)
autogestionnaire, celui de la “déconnexion” à l’albanaise ou à la
nord-coréenne, etc. Ce sont aussi de nouvelles figures qui animent les
cercles et les revues de cette “deuxième génération” : H.J. Ackermann,
S. Fadinger, P. Bahn, Armin Krebs (que l’on ne confondra pas avec le
Français Pierre Krebs, qui fonde en 1985 la revue Elemente, sœur jumelle d'éléments, la revue du GRECE).
Fin 1979, le jeune activiste nationaliste Siegfried Bublies fonde la revue Wir Selbst (Nous-mêmes ; traduction allemande du gaëlique irlandais Sinn Fein)
où, très tôt, l’influence de Henning Eichberg (= Hartwig Singer) se
fera sentir. Celui-ci reprend la plume pour réclamer, dans une optique
de rénovation révolutionnaire partagée par les Verts, la “démocratie de
base” (Basisdemokratie), la révolution culturelle,
l’instauration d’un ordre économique décentralisé, un socialisme à
visage humain (basé sur les thèses de l’économiste tchèque du “printemps
de Prague”, Ota Sik), une approche de la vie en accord avec l’écologie
et l’ethnopluralisme, pierre angulaire de la vision anthropologique du
néo-nationalisme allemand. Bublies trouve en outre une formule qui
explique succinctement le sens de son combat : Für nationale Identität und internationale Solidarität,
c’est-à-dire pour l’identité nationale et la solidarité internationale.
Bublies cherche ainsi à préserver les identités de tous les peuples et à
solidariser, au-delà des clivages idéologiques, raciaux et religieux,
tous ceux qui, dans le monde, luttent pour la préservation de leur
originalité.
“Wir Selbst” : une tribune remarquée pour les débats politiques allemands
Mais
les essais politico-philosophiques demeurent minoritaires dans la revue
qui, rapidement, devient la tribune de tous ceux qui cherchent à
aborder la question allemande, toujours non résolue, d’une manière
neuve. Wir Selbst ouvre ainsi ses colonnes à des personnalités n’ayant jamais appartenu à la mouvance nationaliste stricto sensu : l’urbaniste écologiste Konrad Buchwald, l’historien Helmut Diwald,
l’ancien haut fonctionnaire est-allemand Wolfgang Seiffert, le
producteur de télévision Wolfgang Venohr (ancien de la VDNV), le
journaliste Sebastian Haffner (anti-hitlérien émigré à New York pendant
la guerre et revenu au nationalisme dans les années 80), l’artiste
provocateur Joseph Beuys (ancien de l’AUD), le Prof. Schweißfurth
(membre influent de la SPD), etc. Plus récemment, les généraux e.r. Löser et Kießling (cf. Vouloir n°30) ont abordé dans les colonnes de Wir Selbst
les problèmes de la défense du territoire et de la réorganisation des
forces armées dans une perspective démocratique et populiste.
La
revue de Bublies, dont la maquette et la présentation générale sont de
qualité, réussit ainsi à se positionner comme un forum où peuvent
débattre en toute liberté des hommes venus d’horizons divers. L’année
1987 a connu un ralentissement du rythme des parutions, du fait que la
revue cherche à se donner définitivement un ton, qui ne soit plus celui
du militantisme activiste de SdV et qui ne soit pas une pâle copie du
militantisme marxiste. Quant au NRKA, il s’est d’abord mué en NRKB
(NR-Koordinationsbüro ; Bureau de Coordination NR), avant de se nommer
plus simplement Politische Offensive. Il est encore trop tôt
pour tirer toutes les conclusions de cette mutation. Il est certain que
les militants NR de la “deuxième génération” sont tiraillés entre, d’un
côté, une fidélité à l’héritage de SdV et, de l’autre côté, une volonté
de rompre tous les ponts avec le “droitisme” anti-marxiste des NR de 68.
Il semble que les “nationaux-marxistes”, derrière Stefan Fadinger,
veulent se séparer des “NR traditionnels de la deuxième génération”,
regroupés derrière Markus Bauer, éditeur d’Aufbruch, nouvelle
mouture. D’autres figures, comme Peter Bahn, Karlheinz Pröhuber et
Werner Olles, préfèrent garder une neutralité dans ce débat interne et
s’exprimer dans Wir Selbst.
La mouvance NR entre les surfeurs et les militants
Vingt
ans après 68, le militantisme connaît un ressac dans toute l’Europe.
Guy Hocquenghem disait à Paris que les “cols Mao” s’étaient recyclés au
Rotary ; Lévy et Glücksmann renient allègrement leurs engagements
antérieurs, etc. En Allemagne, la gauche marxisante connaît une crise
réelle, tout comme les NR. Tous les mouvements hyperpolitisés doivent
faire face à la dépolitisation croissante et à l’hémorragie des
militants. La contestation, la volonté de construire l’alternative a
fait place à la farniente des surfeurs, les barricades ont cédé le pas
aux séductions du “sea, sex and sun”, du moins jusqu’au jour où la
catastrophe boursière ne pourra plus être enrayée ni freinée.
NR
et marxistes soixante-huitards ont exploité un univers de valeurs qui,
qu’on le veuille ou non, demeure immortel, même s’il enregistre
aujourd’hui une inquiétante assomption. C’est pourquoi, des panoramas
globaux, restituant le fil conducteur historique d’une mouvance, ont une
utilité : celle de préparer le terrain pour la prochaine offensive qui,
inéluctablement, surviendra.
Quelques conclusions
Les
livres de Günter Bartsch et de M. Feit nous permettent de saisir
l’évolution du néo-nationalisme allemand depuis 1945. Ils nous
permettent aussi de cerner les grandes options philosophiques de cette
mouvance politique ; citons, pêle-mêle : une théorie de la connaissance
scientiste et européo-centrée (du moins dans la phase initiale qui
revalorisait la science et la rationalité européennes, avec l’appoint de
l’empirisme logique et des travaux de Rougier, Monod et Heisenberg ;
Français et Allemands partageaient à ce moment les mêmes
préoccupations), le biohumanisme oscillant entre l’anthropologie
organique / biologisante et le matérialisme biologique, le nominalisme
ethnopluraliste, le socialisme national et enraciné (le modèle irlandais
de James Connolly et les populismes slaves), le nationalisme de
libération et l’idée d’un espace européen.
Une hétérogénéité que Margret Feit ne veut pas apercevoir
La
dénomination “Neue Rechte” laisse sous-entendre que les mouvements
allemands que M. Feit qualifie de la sorte sont des frères jumeaux de la
“Nouvelle Droite” française. Le chercheur sérieux percevra pourtant
bien vite l’hétérogénéité de ces 2 mondes, malgré les chevauchements
évidents, chevauchements que l’on pourrait tout aussi bien constater
entre Dutschke et Eichberg (alias Singer) ou entre le GRECE et le CERES
socialiste d’un Chevènement. La pseudo-“Neue Rechte” allemande se
profile sur un arrière-plan plus militant, moins métapolitique, et
exploite des domaines de l’esprit différents de ceux exploités en France
par de Benoist et ses amis. S'il faut chercher une influence directe et sans détours du GRECE en Allemagne, c'est chez Pierre Krebs, directeur d'Elemente, chez Armin Mohler qui a révélé au public de Criticon l'existence de la ND française ou dans les traductions éparses des textes néo-droitistes français.
Sur
le plan doctrinal, les Allemands n’ont pas trop insisté sur
l’égalitarisme, cheval de bataille de la ND française ; seul Lothar
Penz, théoricien NR du solidarisme biohumaniste, a inclu quelques
réflexions sur les hiérarchies biologiques dans sa vision de l’homme et
de la Cité. Ensuite, l’impact du paganisme esthétisant, hellénisant
voire celtisant est très réduit en Allemagne, bien que beaucoup
d’activistes NR soient adeptes de “l’unitarisme” de Sigrid Hunke, dont
l’ouvrage La vraie religion de l’Europe a été traduit en France par les éditions Le Labyrinthe en 1985, sous les auspices d’Alain de Benoist.
Si
Bartsch avait objectivement limité son enquête à la mouvance
nationale-révolutionnaire et avait bien montré son souci de ne pratiquer
aucun amalgame, M. Feit, elle, mélange les genres et inclut dans son
analyse de la “Neue Rechte” (terme pour le moins impropre) des
organisations ou des journaux appartenant à la droite nationale
classique, comme Mut, la revue de Bernhard Wintzek, ou le mensuel Nation Europa
de Peter Dehoust. Elle pousse l’amalgame encore plus loin en incluant,
dans ce qu’elle estime être un complot, la revue conservatrice Criticon de Caspar von Schrenck-Notzing,
proche, par certains aspects, de la CSU bavaroise. La lecture de ces
diverses revues révèle que les thèmes choisis et les options
philosophiques prises par chacune d’entre elles sont différents, malgré
des recoupements, dus, bien évidemment, à l’actualité littéraire,
philosophique et politique. Chaque revue possède son originalité et ne
tient pas à la perdre.
L’aventure brève de l’ANR
La
confusion entretenue par M. Feit entre la mouvance NR et les droites
nationales classiques provient de l’observation partiale d’un phénomène
datant de 1972. En janvier de cette année, une dissidence survient au
sein de la NPD bavaroise, sous l’impulsion d’un certain Dr. Pöhlmann.
Celui-ci demande quelques conseils à Singer tout en n’avalisant pas son
anti-américanisme. De cette dissidence nait un groupement activiste,
l’ANR (Aktion Neue Rechte ; Action pour une Nouvelle Droite), qui
rassemble les jeunes mécontents de la NPD, reprochant à leur parti
d’être socialement et politiquement trop conservateur. L’aventure durera
jusqu’en novembre 1973 quand l’ANR se fractionne en plusieurs groupes :
- 1) les nationaux-conservateurs, qui formeront l’AJR (Aktion Junge Rechte ; Action pour une Jeune Droite) ;
- 2) les “hitléromaniaques” (d'où sont issus, en partie, les farfelus friands en déguisements bruns et noirs, avec cuirs et clous, que l'on entend parfois beugler des slogans, notamment à Dixmude et dans les bistrots louches des grandes villes, et qui, dans certains cas, se sont recyclés dans une homosexualité ridicule où les corps “aryens” et juvéniles sont érigés en objets de culte) ;
- 3) ceux qui retournent au bercail qu’est, pour eux, la NPD ;
- 4) ceux qui évoluent vers l’idéologie NR.
Ce
fait divers que fut l’ANR et la présence en son sein de quelques idiots
compromettants, perpétuellement ivres et rapidement éconduits, permet à
des moralisateurs en chambre de conclure au “nazisme” de toute une
école de pensée qui véhicule, finalement, une idéologie de synthèse,
exerçant une réelle séduction sur les esprits libres de la gauche
militante. Le vocable “Neue Rechte” est ainsi erronément appliqué à la
sphère NR. La tactique de M. Feit est grossière : c’est celle de la pars pro toto.
La frange de l’ANR qui évolue vers le nationalisme révolutionnaire
finit par donner son nom à tous les mouvements nationalistes, même ceux
de gauche, qui lui ont été contemporains. L’objectif de cet amalgame est
évident : associer les braillards bottés (médiatisables) aux
intellectuels modernistes, de façon à ce que ceux-ci ne puissent plus
influencer les esprits libres et larges de la gauche dutschkiste et
para-dutschkiste ou, en France, souder en un bloc idéologique
instrumentalisable les analyses du GRECE et du CERES.
On
perçoit évidemment, à la lumière de ces faits, quelle erreur tactique
ont commis certains responsables du GRECE en acceptant et en
revendiquant l'étiquette “Nouvelle Droite” que leur ont accolée les
journalistes provocateurs de la bourgeoisie gauchisante parisienne.
L'opération de diversion de M. Feit s'en est trouvée ultérieurement
confortée : la pseudo-“Neue Rechte” est amalgamée sans nuance à la
“Nouvelle Droite” alors qu'il s'agit de mouve-ments assez distincts.
Impacts en Flandre et en Wallonie
En Flandre, la tentative de synthèse qu’ont essayée Pol Van Caeneghem et Christian Dutoit, notamment avec le groupe Arbeid et les revues Meervoud et De Wesp,
a malheureusement viré au gauchisme stérile, de même que les
brillantissimes synthèses de Mark Cels-Decorte et Freddy Seghers (un
moment proche de Wir Selbst) au sein de la Volksunie et des VUJOs (Cf. les volumes de propagande intitulés Integraal Federalisme — 1976 — et Integraal Federalisme 2 — 1980). Tandis qu’en Wallonie, Jeune Europe
— dont le leader Jean Thiriart avait esquissé d’excellents projets
d’alliances géopolitiques avec les États non alignés du Tiers-Monde,
avec la Chine et avec les militants noirs américains — restait
prisonnière d’une pensée politique latine rigide et impropre à susciter
un dynamisme rénovateur, son syndicat embryonnaire et rapidement
dissident, l’USCE (Union des Syndicats Communautaires Européens), sous
la direction de Jean Van den Broeck, Claude Lenoir et Pierre Verhas,
opte pour une organisation régionaliste de notre continent et se
distancie officiellement dès 1969 de “tout ce qui est de droite”.
L’USCE publiera d’abord Syndicats Européens et, ensuite, L’Europe Combat, qui paraîtra jusqu’en 1978. Cette expérience fut la seule tentative NR sérieuse en Wallonie après l’échec de Jeune Europe,
quand Thiriart n’a pas su inculquer son anti-américanisme à son public
droitier, lequel s’est empressé de le trahir. Aujourd’hui, une synthèse
sympathique voit le jour à gauche, à proximité de l’idéologie
écologiste, dans les colonnes de la revue W’allons-nous.
De “Jeune Europe” au néant
Avatar de Jeune Europe
qui a évolué vers un philosoviétisme non instrumentalisable, le PCN du
Carolorégien Luc Michel, issu, pour son malheur, des groupuscules
extrême-droitistes et néo-nazillonneurs les plus rocambolesques, ne
parvient pas à décoller politiquement (et pour cause !) et son
entreprise éditoriale, très instructive pour les spécialistes et les
historiens (Cf. Vouloir n°32/34), stagne parce qu'elle ne traite pas de problèmes qui intéressent directement un public militant. La revue Conscience Européenne,
qui a récemment consacré de bons numéros sur la guerre économique entre
les USA et l'Europe et sur l'illusion de la détente, a subi une
dissidence en 1984 qui a donné le jour à Volonté Européenne et au Cercle Copernic,
dirigé par Roland Pirard, un individu quelque peu bizarre qui change de
pseudonyme à tour de bras (Bertrand Thomé, Roland Van Hertendaele,
Roland Brabant, etc.) et rêve naïvement de fonder un “ordre de
chevalerie” néo-teutonique ! Si Luc Michel effectue un travail
documentaire utile et fournit des analyses très intéressantes, malgré la
langue de bois, la dissidence Pirard sombre dans un burlesque complet,
renforcé par une rédaction épouvantablement négligée et par des analyses
d'une confondante médiocrité, où surgissent de temps à autre des
prurits hitléromaniaques, mâtinés d'un néo-stalinisme et d'un
pro-khomeinysme d'une lourdeur telle qu'en comparaison, la langue de
bois soviétique s'avère superlyrique. Aucun espoir donc que le dynamisme
de Jeune Europe et de son héritier français, le CIPRE de Yannick Sauveur et d'Henri Castelferrus, ne renaisse à Bruxelles ou en Wallonie.
En conclusion
En
conclusion, nous pourrions dire que la mouvance NR allemande a
constitué une synthèse qui s’est située à la charnière du gauchisme et
du nationalisme et qu’elle recèle bien des potentialités pour les
militants sincères, ceux qui ont vraiment le souci de la Cité. Qui plus
est, quand on observe la synthèse opérée par Cels-Decorte et Seghers au
sein de la Volksunie entre 1975 et 1981, on voit qu’une
synthèse comparable est davantage possible dans nos pays, en dehors de
toute marginalité. Il faut y réfléchir.
► Article paru sous le pseudonyme de "René Lauwers", in: Vouloir n°45/46, 1988.
◘ Bibliographie complémentaire :
- Günter Bartsch, Revolution von rechts ? Ideologie und Organisation der Neuen Rechten, Herder-bücherei, Freiburg i.B., 1975.
- Karl-Heinz Pröhuber, Die nationalirevolutionäre Bewegung in Westdeutschland, Verlag deutsch-europäischer Studien, Hamburg, 1980.
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