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Quel “nationalisme” pour les années 90 et le XXIe siècle ?
• nota bene : Texte préalablement publié en langue néerlandaise dans la revue Revolte (été 1991). Il entrait dans le cadre d'un débat sur le nationalisme en Flandre.
Dans
nos régions, nous avons coutume d'opposer deux formes de nationalisme, le
nationalisme de culture (ou nationalisme populaire : volksnationalisme) et le nationalisme d'État (staatsnationalisme).
Le nationalisme culturel/populaire tient compte essentiellement de
l'ethnicité, en tant que matrice historique de valeurs précises qui ne
sont pas transposables dans un autre humus. Le nationalisme d'État met
l'ethnicité ou les ethnicités d'un territoire au service d'une machine
administrative, bureaucratique ou militaire. Pour cette idéologie,
l'ethnicité n'est pas perçue comme une matrice de valeurs mais comme une
sorte de carburant que l'on brûlera pour faire avancer la machine.
L'État, dans la perspective du staatsnationalisme, n'est pas une instance qui dynamise les forces émanant de la Volkheit mais un moloch qui les consomme et les détruit.
Les
nationalismes culturels/populaires partent d'une vision plurielle de
l'histoire, du monde et de la politique. Chaque peuple émet des valeurs
qui correspondent aux défis que lui lance l'espace sur lequel il vit.
Dans les zones intermédiaires, des peuples en contact avec 2 grandes
aires culturelles combinent les valeurs des uns et des autres en des
synthèses tantôt harmonieuses tantôt malheureuses. Les nationalismes
d'État arasent généralement les valeurs produites localement, réduisant
la diversité du territoire à une logique unique, autoritaire et stérile.
Valoriser l'histoire, relativiser les institutions
Par
tradition historique, noua sommes, depuis l'émergence des nationalismes
vers l'époque de la révolution française, du côté des nationalismes
culturels contre les nationalismes d'État. Mais au-delà des étiquettes
désignant les diverses formes de nationalisme, noua adhérons, plus
fondamentalement, à des systèmes de valeurs qui privilégient la
diversité plutôt qu'à des systèmes d'action qui tentent de la réduire à
des modèles simples, homogénéisés et, de ce fait même, stérilisés. Toute
approche plurielle des facteurs historiques et politiques implique une
relativisation des institutions établies ; celles-ci ne sont pas
d'emblée jugées éternelles et indépassables. Elles sont perçues comme
exerçant une fonction précise et doivent disparaître dès que cette
fonction n'a plus d'utilité. Les approches homogénéisantes imposent un
cadre institutionnel que l'on veut intangible. La vitalité populaire,
par définition plurielle dans ses manifestations, déborde tôt ou tard ce
cadre rigide. Deux scénarios sont alors possibles : a) les mercenaires
au service du cadre répriment la vitalité populaire par violence ou b)
le peuple met à bas les institutions devenues obsolètes et chasse ou
exile les tenants têtus du vieil ordre.
Qu'en est-il de cette opposition entre pluralité et homogénéisation à la veille du XXIe
siècle ? Il me semble inopportun de continuer à répéter tel quel les
mots d'ordre et les slogans nés lors de l'opposition, au début du XIXe siècle, entre “nationalismes de culture” (Verlooy, Jahn, Arndt,
Conscience, Hoffmann von Fallersleben) et “nationalismes d'État”
(jacobinisme, bonapartisme). Pour continuer à exprimer notre opposition
de principe aux stratégies d'homogénéisation, qui ont été celles du
jacobinisme et du bonapartisme, noua devons choisir, aujourd'hui, un
vocabulaire moderne, dérivé des sciences récentes (biocybernétique,
informatique, physique etc.). En effet, les “nationalismes d'État” ont
pour caractéristique d'avoir été forgés sur le modèle des sciences
physiques mécanicistes du XVIIIe
siècle. Les “nationalismes culturels”, eux, ont voulu suggérer un
modèle d'organisation politique calqué sur les principes des sciences
biologiques émergentes (J.W. Ritter, Carus, Oken, etc.). Malgré les
progrès énormes de ces sciences de la vie dans le monde de tous les
jours, certains États (Belgique, France, Italie, URSS, Yougoslavie,
“démocraties socialistes”, Algérie, etc.) fonctionnent toujours selon
des critères mécanicistes et demeurent innervés par des valeurs
mécanicistes homogénéisantes.
Les leçons d’Alvin Toffler
Le
nationalisme, ou tout autre idéologie, qui voudrait mettre un terme à
cette anomalie, devra nécessairement être de nature offensive, porté par
la volonté de briser définitivement les pouvoirs anciens. Il ne doit
pas vouloir les consolider ni remettre en selle des modèles passés de
nationalisme statolâtrique. La lecture du dernier livre d'un écrivain
américain célèbre, Alvin Toffler, nous apparaît utile pour comprendre
les enjeux des décennies à venir, décennies où les mouvements
(nationalistes ou non) hostiles aux établissements devront percer sur la
scène politique. Entendons-nous bien, ces mouvements, dans la mesure où
ils sont hostiles aux formes figées héritées de l'ère
mécaniciste/révolutionnaire, sont authentiquement “démocratiques” et
“populistes” ; nous savons depuis les thèses de Roberto Michels que le
socialisme a basculé dans l'oligarchisation de ses cadres. Nous savons
aussi que ce processus d'oligarchisation a affecté le pilier
démocrate-chrétien, désormais connecté à la mafia en Italie et partout
éloigné du terreau populaire. Si bien que les élus socialistes ou
démocrates-chrétiens eux-mêmes se rendent compte que les décisions sont
prises, dans leurs partis, en coulisse et non plus dans les assemblées
générales (les tripotages de Martens au sein de son propre parti en sont
une belle illustration).
Ce
phénomène d'oligarchisation, de gigantisme et de pyramidalisation
suscite l'apparition de structures pachydermiques et monolithiques,
incapables de capter les flux d'informations nouvelles qui émanent de la
réalité quotidienne, de la Volkheit en tant que fait de vie.
Je crois, avec Alvin Toffler, que ce hiatus prend des proportions de
plus en plus grandes depuis le milieu des années 80 : c'est le cas chez
nous, où le CVP s'effrite parce qu'il ne répond plus aux besoins des
citoyens actifs et innovateurs ; c'est le cas en France, où les partis
dits de la “bande des quatre” s'avèrent incapables de résoudre les
problèmes réels auxquels la population est confrontée. Toffler nous
parle de la nécessité de provoquer un “transfert des pouvoirs”. Ceux-ci,
à l'instar de ce qui s'est effectivement produit dans les firmes
gigantesques d'Outre-Atlantique, devront passer, « des monolithes aux
mosaïques ». Les entreprises géantes ont constaté que les stratégies de
concentration aboutissaient à l'impasse ; il a fallu inverser la vapeur
et se décomposer en un grand nombre de petites unités à comptabilité
autonome, opérationnellement déconcentrées. Autonomie qui les conduira
inévitablement à prendre un envol propre, adapté aux circonstances dans
lesquelles elles évoluent réellement. Les mondes politiques, surtout
ceux qui participent de la logique homogénéisante jacobine, restent en
deçà de cette évolution inéluctable : en d'autres termes, ils sont
dépassés et contournés par les énergies qui se déploient au départ des
diverses Volkheiten concrètes. Phénomène observable en Italie
du Nord, où les régions ont pris l'initiative de dépasser le monolithe
étatique romain, et ont créé des réseaux alpin et adriatique de
relations interrégionales qui se passent fort bien des immixtions de
l'État central. La Vénétie peut régler avec la Slovénie ou la Croatie
des problèmes relatifs à la région adriatique et, demain, régler, sans
passer par Rome, des problèmes alpins avec la Bavière, le Tyrol
autrichien, la Lombardie ou le canton des Grisons. Ces régions se
dégagent dès lors de la logique monolithique stato-nationale pour
adopter une logique en mosaïque (pour reprendre le vocabulaire de
Toffler), outrepassant, par suite, les niveaux hiérarchiques établis qui
bloquent, freinent et ralentissent les flux de communications. Niveaux
hiérarchiques qui deviennent ipso facto redondants. Par rapport
aux monolithes, les mosaïques de Toffler sont toujours provisoires,
réorientables tous azimuts et hyper-flexibles.
La “Troisième Vague”
Caractère
provisoire, réorientabilité et hyper-flexibilité sont des nécessités
postulées par les révolutions technologiques de ces 20 dernières années.
L'ordinateur et le fax abolissent bon nombre de distances et
autonomisent d'importantes quantités de travailleurs du secteur
tertiaire. Or les structures politiques restent en deçà de cette
évolution, donc en discordance avec la société. Toffler parle d'une
“Troisième Vague” post-moderne qui s'oppose à la fois au traditionalisme
des mouvements conservateurs (parfois religieux) et au modernisme
homogénéisant. Aujourd'hui, tout nationalisme ou tout autre mouvement
visant l'innovation doit être le porte-voix de cette “Troisième Vague”
qui réclame une révision totale des institutions politiques établies.
Basée sur un savoir à facettes multiples et non plus sur l'argent ou la
tradition, la “Troisième Vague” peut trouver à s'alimenter au
nationalisme. de culture, dans le sens où ce type-là de nationalisme
découle d'une logique plurielle, d'une logique qui accepte la pluralité.
Les nationalismes d'État, constructeurs de molochs monolithiques, sont
résolument, dans l'optique de Toffler, des figures de la “Seconde
Vague”, de “l'Âge usinier”, ère qui a fonctionné par monologique
concentrante ; preuve : devant les crises actuelles (écologie,
enseignement, organisation du secteur de santé, transports en commun,
urbanisme, etc.), produites par des étranglements, des goulots, dus au
gigantisme et à l'éléphantiasis des structures datant de “l'âge
usinier”, les hommes politiques, qui ne sont plus au diapason,
réagissent au coup par coup, c'est-à-dire exactement selon les critères
de leur monologique homogénéisante, incapable de tenir compte d'un trop
grand nombre de paramètres. Les structures mises en place par les
nationalismes d'État sont lourdes et inefficaces (songeons à la RTT ou
la poste), alors que les structures en mosaïques, créées par les firmes
qui se sont déconcentrées ou par les régions nord-italiennes dans la
nouvelle synergie adriatique/alpine, sont légères et performantes. Tout
nationalisme ou autre mouvement innovateur doit donc savoir s'adresser,
dès aujourd’hui, à ceux qui veulent déconcentrer, accélérer les
communications et contourner les monolithes désormais inutiles et
inefficaces.
Les “lents” et les “rapides”
Toffler
nous parle du clivage le plus important actuellement : celui qui
distingue les “lents” des “rapides”. L'avenir proche appartient
évidemment à ceux qui sont rapides, ceux qui peuvent prendre des
décisions vite et bien, qui peuvent livrer des marchandises dans les
délais les plus brefs. Les pays du Tiers-Monde appartiennent évidemment à
la catégorie des “lents”. Mais bon nombre de structures su sein même de
nos sociétés “industrielles avancées” y appartiennent également.
Prenons quelques exemples : l'entêtement de plusieurs strates de l'establishment belge
à vouloir commercer avec le Zaïre, pays hyper-lent parce
qu'hyper-corrompu (tel maître, tel valet, serait-on tenté de dire…)
relève de la pure aberration, d'autant plus qu'il n'y a guère de profits
à en tirer ou, uniquement, si le contribuable finance partiellement les
transactions ou les “aides annexes”. Quand Geens a voulu infléchir vers
l'Indonésie, pays plus rapide (dont la balance commerciale est positive
!), les flux d'aides belges au tiers-monde, on a hurlé au
flamingantisme, sous prétexte que l'Insulinde avait été colonie
néerlandaise. Pour toute perspective nationaliste, les investissements
doivent, comme le souligne aussi Toffler, opérer un retour au pays ou,
au moins, se relocaliser en Europe. Deuxième exemple : certains rapports
de la Commission des Communautés européennes signalent l'effroyable
lenteur des télécommunications en Belgique (poste, RTT, chemin de fer,
transports en commun urbains, etc.) et concluent que Bruxelles n'est pas
la ville adéquate pour devenir la capitale de l'Europe de 1992, en
dépit de tout ce que Martens, les banques de l'établissement, la Cour,
etc. ont mis en œuvre pour en faire accepter le principe. Hélas pour ces
“lents”, il y a de fortes chances pour que Bonn ou Strasbourg emportent
le morceau !
Partitocratie et apartheid
Des démonstrations qui précédent, il est facile de déduire quelques mots d'ordre pour l'action des mouvements innovateurs :
• lutte contre toutes les formes d'oligarchisation issues de la partitocratie ; ces oligarchisations ou pilarisations (verzuiling)
sont des stratégies de monolithisation et d'exclusion de tous ceux qui
n'adhérent pas à la philosophie de l'un ou l'autre pilier (zuil).
Sachons rappeler à Paula d'Hondt que ce ne sont pas tant les immigrés
qui sont des exclus dans notre société, qui seraient victimes d'un
“apartheid”, mais qu'une quantité impressionnante de fils et de filles
de notre peuple ont été ou sont “exclus” ou “mal intégrés” à cause des
vices de fonctionnement de la machine étatique belge. Ne pas pouvoir
être fonctionnaire si l'on n'est pas membre d'un parti, ou devoir sauter
plus d'obstacles pour le devenir, n'est-ce pas de “l'apartheid” ?
Conclusion : lutter contre l'apartheid de fait qu'est la pilarisation et
rapatrier progressivement les immigrés, après les avoir formés à
exercer une fonction utile à leur peuple et pour éviter précisément
qu'ils soient, à la longue, victimes d'un réel apartheid, n'est-ce pas
plus logique et plus humain que ce qui est pratiqué actuellement à
grands renforts de propagande ?
•
abattre vite toutes les structures qui ne correspondent plus au niveau
actuel des technologies ; un nationalisme de culture, parce qu'il parie
sur les énergies inépuisables du peuple, n'est forcément pas passéiste.
•
s'inscrire, notamment avec la Lombardie et la Catalogne, dans les
stratégies interrégionales en mosaïques ; tout en sachant que l'obstacle
demeure la France, dont le conseil constitutionnel vient de décider que
le peuple corse n'existait pas ! Ne dialoguer en France qu'avec les
régionalistes et renforcer par tous les moyens possibles le dégagement
des régions de la tutelle parisienne. Solidarité grande-néerlandaise
avec la région Nord-Pas-de-Calais et grande-germanique avec l'Alsace.
Pour la Wallonie, si d'aventure elle se dégage de la tutelle socialiste
et maçonnique (pro-jacobine), solidarité prioritaire avec les cantons
romans de la région Nord-Pas-de-Calais et avec la Lorraine, en tant que
régions originairement impériales et romanes à la fois (la Wallonie
traditionnelle, fidèle à sa vocation impériale, a un devoir de
solidarité avec les régions romanes de l'ancien Reich, la Reichsromanentum,
victime des génocides perpétrés par Louis XIV en Lorraine et en
Franche-Comté, où 50% de la population a été purement et simplement
massacrée ; les énergies de la Wallonie post-socialiste devront se
porter le long d'un axe Namur / Arlon /Metz / Nancy / Genève). Appui
inconditionnel aux régionalismes corse, breton, occitan et basque, si
possible de concert avec les Irlandais, les Catalans, les Lombards et
les Piémontais. Forcer les Länder allemands à plus d'audace dans les stratégies de ce type.
•
diplomatie orientée vers les “rapides”. Ne plus perdre son temps avec
le Zaïre ou d'autres États corrompus et inefficaces. Les relations avec
ce pays ne sont entretenues que pour défendre des intérêts dépassés, que
l'on camoufle souvent derrière un moralisme inepte.
•
combattre toutes les lenteurs intérieures, même si nous ne souhaitons
pas que Bruxelles devienne la capitale de l'Europe. Si les institutions
européennes déménagent ailleurs, les projets de Martens s'effondreront
et son régime autoritaire, appuyé notamment sur la Cour et non
sanctionné par la base de son propre parti, capotera. L'effondrement du
CVP, comme son tassement annoncé, permettra l'envol d'un
néo-nationalisme futuriste, tablant sur la longue mémoire et sur la
vitesse. Car l'une n'exclut pas l'autre. Un peuple qui garde sa mémoire
intacte, sait que l'histoire suit des méandres souvent imprévus et sait
aussi quelles réponses ses ancêtres ont apportées aux défis insoupçonnés
de l'heure. La mémoire garantit toujours une réponse modulée et rapide
aux défis qui se présentent. L'ordinateur n'est-il pas précisément un
instrument performant parce qu'il est doté d'une mémoire ? Donc, le
nationalisme culturel/populaire, plurilogique, est un bon logiciel.
Gardons-le et sachons l'améliorer.
► Robert Steuckers, Vouloir n°83/86, 1991.
• Source : Alvin Toffler, Les Nouveaux Pouvoirs : Savoir, richesse et violence à la veille du XXle siècle, Fayard, 1991, 658 p.
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