Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - GRECE (Paris) - Décembre 1989
Robert Steuckers:
Géopolitique et Mitteleuropa
Contribution au XXIIIième Colloque du G.R.E.C.E. , Paris, Dimanche, 3 décembre 1989
Quand, le soir du 9 novembre, une voix a interrompu le journaliste sportif, qui relatait les exploits d'une équipe de football, pour annoncer que le Mur de Berlin venait d'être ouvert, que sa sinistre existence avait cessé, que la rue avait arraché cette mesure aux gouvernants communistes de la RDA, j'ai su d'emblée qu'une ère historique nouvelle venait de naître, que l'Europe ne serait plus celle, manichéenne, de mon adolescence, que l'Europe de mon fils serait autre, que nous ne serions plus enfermés dans le ronron de notre Occident et que nos frères à l'Est ne seraient plus prisonniers de la logique communiste, logique sèche, froide, absconse et obsolète.
La
destruction du Mur de Berlin annonce la guérison de l'Europe, son
recentrage géographique et géopolitique. Si l'univers communiste a tenté
en vain, pendant 40 ans, d'empêcher les Européens qui croupissaient
sous son knout de recevoir des informations de l'Ouest, l'univers de la
société marchande nous a gavé de sous-culture à profusion, de films
idiots, de feuilletons d'une bêtise ahurissante et a sournoisement et
systématiquement éradiqué en nous la fibre historique. A cette heure,
nous nous trouvons donc en présence d'une moitié d'Européens qui peuvent
dire tout ce qu'il veulent, mais si ce qu'ils veulent est important, on
l'occultera et on le noiera sous une masse d'informations
périphériques. Et en présence d'une autre moitié d'Européens qui ne
peuvent en théorie rien dire, mais qui ont su garder au fond de leur
cœur le souvenir de l'histoire, et qui savent transformer ce souvenir en
force, en une force imperméable aux dogmes, en une force qui balaie les
dictatures, les régimes sclérosés, les polices anti-émeutes.
Les
peuples de l'Est de la Mitteleuropa sont debout sur leur sol, sur leur
glèbe et, faute de dialoguer dans un parlement, dialoguent avec
l'immémorial de leur histoire. Une histoire qui a été mouvementée, qui
est d'une complexité inouïe, où ne se mêlent pas seulement les souvenirs
des Germains et des Slaves, des Magyars et des Daces romanisés, mais
aussi ceux des ethnies indo-européennes dont il ne reste plus de traces
linguistiques comme les Celtes, les Illyriens et les Vénètes. Cette
richesse (S3) constitue un remède contre les simplifications abusives:
le cocktail ethnique de la Mitteleuropa est infiniment productif, en
créations culturelles et en tragédies politiques, parce qu'il a été
buriné par des millénaires. La césure de l'Europe n'a duré que 40 ans.
Qu'est-ce que c'est face à des millénaires d'histoire commune? De quel
poids pèse la sécheresse marxiste face à l'incommensurable richesse
culturelle de l'Europe centrale, face au sublime de la culture baroque
et au génie des mélodies populaires, qu'à l'aube du siècle des musiciens
hors pair ont sublimées en musique classique (H4)? Pour l'écrivain
hongrois György Konrád (K9, K10, K11), c'est ce formidable kaléidoscope
de créations immortelles que Yalta a voulu fourrer dans sa camisole de
force, c'est cette matrice qu'il a voulu stériliser, en imposant, depuis
Washington et Moscou, une métaphysique paralysante de nature
idéologique; un manichéisme lourd, porté par d'impavides idéologues ou
militaires, incapables de relativiser quoi que ce soit et réduisant la
mosaïque centre-européenne à un terrain d'exercice pour armées
étrangères, pour un champ de tir destiné aux ogives nucléaires.
Mais
le déclin de la Mitteleuropa, depuis la dissolution de la monarchie
austro-hongroise, jusqu'à son absorption par l'Allemagne
nationale-socialiste puis à la conquête soviétique, relève de la
responsabilité des peuples centre-européens eux-mêmes: ils ont voulu
bâtir des Etats-Nations homogènes à la mode jacobine sur un territoire
aux contours si flous qu'aucune frontière ne pouvait jamais y être
juste. En conséquence, la logique qui convient au cœur de notre
continent est une logique des fluidités, des réseaux, des rhizomes et
non pas une logique équarissante, homogénéisante, rigide et arasante
(H4) qui blesse les âmes, aigrit les cœurs, provoque les massacres et
l'irréparable. Et c'est exactement une logique souple de ce type que
suggère pour la nation allemande l'enfant terrible de la
social-démocratie autrichienne, Günther Nenning, un écrivain original ne
s'encombrant d'aucun conformisme (N2). La nation allemande et l'esprit
allemand, dit-il, transcendent toutes les frontières que l'histoire leur
a assignées. De même pour les Hongrois, les Polonais et les Tchèques.
La
Mitteleuropa est donc un espace qui échappe à toutes les logiques
cartésiennes. Mais qui n'en garde pas moins une originalité partagée par
plusieurs peuples, une originalité telle qui fait qu'elle n'est pas
saisissable à l'aide de quelques pauvres concepts étriqués mais
seulement par l'âme et le cœur. Dans la sphère du concret, et plus
précisément dans le domaine du droit, le professeur Wilhelm Brauneder
(B9), constate que le droit autrichien, codifié dès la fin du XVIIIième
siècle, sert de modèle à l'ensemble du monde slave et germanique et
déborde en Lombardie. La Révolution française et l'épopée de Bonaparte
mettront un terme à l'extension dans toute l'Europe de ce code de droit
forgé dans les chancelleries viennoises. Mais la nostalgie de certaines
mesures prévues, plus respectueuses des collectivités locales ou
professionnelles, plus attentives aux phénomènes associatifs, durera
jusqu'à la deuxième guerre mondiale.
La
Mitteleuropa par sa diversité, par la superposition de ses multiples
cultures nationales, parce qu'elle est synthèse de tant de contraires,
s'oppose diamétralement à la culture atlantique qu'ont imposé nos
suzerains américains. Outre-Atlantique, l'uniformisation est aisée, la
mise au pas des cerveaux est facile: chaque immigrant est arrivé les
mains vides, dans des villes sans histoire, face à une nature vierge,
sans un ancêtre qui puisse lui rappeler la généalogie de chaque chose.
Une telle uniformisation est impossible en Mitteleuropa: chaque maison,
chaque chaumière, chaque autel, chaque forêt bruisse du murmure des
siècles et des millénaires. Le communisme a tenté une uniformisation: il
a échoué. Entre l'Amérique et la Mitteleuropa, incarnée par
l'Autriche-Hongrie, une vieille haine couve et l'affaire Waldheim n'en
est que le dernier et ridicule avatar. Une nation pluri-ethnique,
soucieuse de respecter chaque spécificité populaire ou religieuse,
soucieuse de forger un droit adapté à la mosaïque européenne, ne pouvait
apparaître que comme "réactionnaire" aux yeux de ceux qui dominaient le
Nouveau Monde après avoir éliminé les autochtones et obligé les
immigrants à oublier ce qu'ils avaient été.
Pour
échapper aux logiques de l'arasement, portée par les deux
super-puissances, pour restaurer dans la foulée toutes les identités de
l'Europe Centrale, pour leur assurer une indépendance politique et un
développement autonome, un nombre impressionnant de projets ont été
lancés dans le débat. Ces projets sont l'œuvre d'essayistes et
d'écrivains issus de toutes les nationalités: Tchèques (K18), Polonais
(K13), Croates, Hongrois (H4, H5, K9, K10, K11, S21, V1), Autrichiens
(N2, D10, B9) , Allemands (A1, B7, W2), Slovaques. Certes, ces projets
varient, sont chaque fois marqués par la nationalité de leurs auteurs.
Le Hongrois György Konrád souhaite une confédération de la Pologne, de
la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, parce qu'il estime que l'expérience
du socialisme réel et de la répression soviétique est une condition
sine qua non pour définir la "culture du milieu". Dans la tradition de
Masaryk, quelques essayistes pensent que la Mitteleuropa ne comprend que
les pays qui ne sont ni allemands ni russes, de la Scandinavie à la
Grèce. Mais peut-on exlure les deux Allemagnes et l'Autriche du débat
sur la Mitteleuropa? Peut-on en exclure la Vénétie et la Lombardie, la
Suisse, les Pays du Bénélux et, même, la France du Nord-Est voire le
Sud-Est de l'Angleterre?
A
ces questions, nous répondons évidemment: "non". La Mitteleuropa en
tant que foyer de culture s'est diffusée, s'est insinuée partout en
Europe, si bien que nous sommes tous, à des degrés divers, des
Mitteleuropäer. Et l'indépendance des régions les plus éloignées des
foyers que sont Vienne, Budapest et Prague, dépend en fin de compte de
l'indépendance de l'Autriche, de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie. Et
dépend également de l'indépendance des Allemagnes. Et comme la question
de l'Europe Centrale est indissolublement liée à la question allemande
(W2), il faut que celle-ci soit réglée dans les plus brefs délais. La
pression de tous les Européens conscients du destin de leur continent
doit s'exercer tous azimuts dans ce sens.
En
Allemagne, une impressionnante phalange d'auteurs ont élaboré au cours
de ces dernières années des projets de confédération inter-allemande,
suggérant une neutralisation des deux Allemagnes, qui aurait précédé la
réunification et l'adoption d'une nouvelle constitution, à mi-chemin
entre le socialisme et le libéralisme, inspirée partiellement de Jakob
Kaiser, l'adversaire chrétien-démocrate d'Adenauer, qui voulait une
Allemagne neutre et sociale-solidariste (H1). Cette recherche fébrile
fut la première phase (A1, B6, B7, IJ1). La phase suivante, elle,
évoquait aussi la réunification par confédération mais sortait du cadre
strictement allemand pour analyser la situation des pays neutres
d'Europe: la Yougoslavie, la Suisse, l'Autriche, la Suède et la
Finlande. L'Allemagne devait calquer son futur statut sur ceux des
neutres et adopter un mode de défense national dégagé des blocs (A1, B6,
G7, L5, L7). C'était l'idée d'une Europe qui ne serait ni atlantiste ni
soviétisée mais trop importante pour être finlandisée. La gauche comme
la droite participaient au débat et l'observateur extérieur pouvait
constater avec quelle aisance et quelle tolérance les uns reprenaient
des arguments aux autres; tous dialoguaient sans tenir compte des
étiquettes (IJ1). Avec la perestroïka de Gorbatchev, les projets de
confédération allemande et de zone neutre, à insérer entre les blocs
pour éviter toute confrontation directe, acquièrent automatiquement une
dimension nouvelle dès que le nouveau leader soviétique parle de "maison
commune".
Devant
le nouveau discours de Gorbatchev, on peut s'enthousiasmer ou rester
sceptique. On peut arguer que la politique d'ouverture, les paroles de
pacification, sont comparables à la procession d'Echternach: trois pas
en avant, deux pas en arrière; résultat final: un pas en avant (H11,
G1). On peut penser que l'URSS cherche toujours à se mesurer avec les
Etats-Unis mais que, pour parvenir à ses fins et pour franchir le fameux
"technological gap", dont parlait Arnold Toynbee (T3), elle a besoin de
capitaux européens, ouest-allemands en l'occurrence. Gorbatchev
organiserait ainsi une nouvelle NEP à l'exemple de Lénine (H11) et
tournerait le dos au brejnévisme, pratique politique se résumant en un
repli stérile de la Russie sur elle-même. Ce repli ne permettrait pas
l'envol d'une technologie soviétique autonome et provoquerait en fin de
compte un recul sur le plan militaire. L'analyse est juste. Mais, malgré
ce calcul russe et malgré la présence des divisions de l'Armée Rouge,
Gorbatchev prend plusieurs risques: tomber sous la dépendance de
l'Europe sur le plan technologique, mécontenter de larges strates du
peuple soviétique peu habituées à la concurrence libérale, amorcer un
processus de dissolution des franges marginales de son empire. Du coup,
les Européens peuvent lui renvoyer la balle et dire que l'idée de la
"maison commune" les intéresse, à condition que les Europes (CEE + AELE,
sans discrimination) soient ses seuls fournisseurs de biens
technologiques, qu'il accepte de livrer des matières premières à prix
concurrentiels, qu'il évacue le glacis centre-européen, que les
principes fédéralistes de la constitution soviétique soient réellement
appliqués, y compris dans les pays baltes. Que Gorbatchev se rassure:
l'éventuelle désagrégation des franges marginales de l'Empire ne portera
pas atteinte à l'identité du peuple russe, si celui-ci prend réellement
au sérieux les implications du projet de "maison commune". Ce qui
signifie qu'il pourra s'ouvrir sans obstacle à l'Europe et que,
simultanément, tous les Européens pourront s'ouvrir aux potentialités du
territoire russe, Sibérie comprise.
Pour
les nouveaux diplomates soviétiques (D1, IJ2, L4, P3), la "maison
commune" constitue un projet dynamique collectif, auquel tous les
Européens doivent participer indépendamment de l'idéologie qu'ils
professent et appliquent. Il s'agit en outre d'un processus
d'intégration qui rencontre les vœux séculaires des partisans de
l'Europe unie. La diversité européenne postule une architecture
politique complexe et souple, de façon à éviter les gâchis des deux
guerres mondiales. Lesquelles prouvent que plus aucun problème ne peut
être résolu par les armes sur le continent européen. La similitude entre
ce discours et la notion de jus publicum europaeum chez Carl Schmitt
est évidente. Le jus publicum europaeum, c'était la limitation et la
modération des conflits à l'intérieur du continent européen et/ou de la
chrétienté, assorti du recours constant à la négociation. Aujourd'hui,
expliquent les diplomates soviétiques, la recréation d'un jus publicum
europaeum sous la dénomination simple et concrète de "maison commune",
postule non un désarmement unilatéral mais un alignement des systèmes
militaires sur les critères de la défensive, peut-être selon les modèles
suisse et yougoslave. Ensuite, ils suggèrent une accentuation des
coopérations économiques inter-européennes. 95% des échanges entre
Européens de l'Est et Européens de l'Ouest ne concernent rien que
l'Europe, ce qui prouve, ajoute le Soviétique Lomejko (L4), que la
"maison commune", considérée comme entité globale, pourrait vivre en une
autarcie relative, avec un surplus d'indépendance vis-à-vis du reste du
monde.
Devant
ce nouveau discours gorbatchévien, les Occidentaux restent perplexes.
Pour les Américains (Z2), c'est "une métaphore sans contenu précis" mais
qui vise, si l'on sait lire entre les lignes, l'élimination des
Etats-Unis sur le continent européen ou, du moins, une minimisation
drastique de leur rôle dans la défense et l'économie européennes. Et
l'Américain Zinner suggère un modus vivendi: déconstruction de
l'armement nucléaire américain en Europe si les Soviétiques en font
autant; maintien de la présence économique américaine à part égale avec
les Soviétiques. Les Etats-Unis ne renoncent pas au marché européen et
entendent conserver la plus-value qu'ils retirent du contrôle des grands
axes maritimes, plus-value qui se rétrécirait comme une peau de chagrin
si les flux d'échanges basculent vers l'Eurasie. Quant au porte-parole
européen du débat organisé par le Club de Berlin, Wichard Woyke (W4), il
se dit séduit par les propositions de Gorbatchev mais reste simplement
prudent et refuse toute précipitation!
La
"maison commune" partage donc bien des points communs avec l'idéal
grand-européen qui a toujours été le nôtre et je concède qu'il est
quelque peu vexant de le voir confisquer aujourd'hui par Gorbatchev.
Mais voilà, l'idée grande-européenne est tellement évidente, la
coopération entre toutes les nations d'Europe une nécessité historique
vitale, qu'on devait tôt ou tard y aboutir sur l'ensemble du continent, y
compris à Moscou. Evidemment —et c'est là que réside le danger—
Gorbatchev n'a pas beaucoup d'autres atouts dans son jeu que sa belle
rhétorique; les remarques de Paul Zinner, porte-paroles des Etats-Unis,
ne sont donc pas dépourvues de pertinence. L'économie soviétique est
dans un état déplorable. Mais son armée est toujours là et elle est la
plus puissante en Europe, même si la propagande de l'OTAN a quelque peu
exagéré les chiffres. Sans concessions sous le couvert de l'idéal de la
"maison commune", Polonais et Soviétiques passeraient mal l'hiver,
puisque leurs stocks sont quasi vides. Il faut donc bien que les
Occidentaux les remplissent. C'est la raison pour laquelle les
virtualités du discours gorbatchévien doivent être exploitées à fond et
dans le sens de nos intérêts car les Européens doivent prendre leurs
rivaux américains et japonais de vitesse en proposant, sur base des
arguments de Lomejko (L4), une idéologie corrigée de la "maison commune"
intégrant ET les intérêts européens (ceux de la CEE ainsi que ceux de
l'AELE) ET les intérêts soviétiques, tout en annulant les nombreux
points confus où les Soviétiques, en bons joueurs d'échec, pourraient
faire montre de duplicité. Au fond, l'Américain Zinner (Z2) ne propose
rien d'autre: un pacte américano-soviétique de neutralisation de
l'Europe. A nous de proposer un pacte euro-soviétique, faisant pièce à
l'impérialisme américain.
Car,
si un nouvel espace euro-centré devait voir le jour, il ne pourrait
plus être organisé selon les critères du communisme puisque ces recettes
se sont avérées totalement improductives. Mais comme le libéralisme à
l'occidentale affaiblit le politique, cette seule instance apte à faire
passer les décisions du virtuel au réel; comme le libéralisme ne semble
plus capable d'assurer le plein-emploi, c'est-à-dire la maximisation des
capacités créatrices de nos peuples et non pas seulement la simple
maximisation du profit dans le sens où l'entendent les idéologies
matérialistes libérales; comme le libéralisme ne peut servir de modèle
aux peuples de l'Est, habitués aux réflexes collectifs même si ceux-ci
ont été dénaturés par la rigidité communiste, il est évident que
l'organisation socio-économique de l'Europe réunifiée de l'avenir devra
faire référence à d'autres théories, à des théories alternatives. Une
dissidente tchèque déclarait la semaine dernière à des journalistes
occidentaux que jamais son peuple n'accepterait la logique marchande et
qu'il s'insurgerait contre elle avec la même énergie que contre le
communisme d'appareil. Déclaration qui nous force à admettre que les
principes de l'intéressement et de la participation, chers au gaullisme
des années 60 et moqués par la bonne conscience néo-libérale, ont
l'avenir devant eux. C'est d'ailleurs la plus belle pierre que la France
peut apporter à la construction du grand espace, de la "maison
commune".
En
effet, le printemps de Prague, écrasé en août 1968 par les chars de
Brejnev, avait son théoricien de l'économie alternative: Ota Sik. Son
œuvre, si elle était conjuguée aux travaux du MAUSS en France, aux
projets des théoriciens de la régulation et aux critiques des économies
"décontextualisantes", permettrait de combler une terrible lacune
commune et au discours gorbatchévien et au discours des eurocrates: en
effet, quel projet de société alternatif et innovant suggèrent-ils?
Aucun. La tâche d'un mouvement comme le nôtre, au seuil des années 90,
n'est-il pas de s'investir à fond dans ce type de recherche, afin de ne
pas déchoir en simple supplément d'âme d'une société entièrement
imprégnée de l'utilitarisme libéral? Car la vague néo-libérale n'a rien
apporté de durable à nos sociétés et ceux qui, présents dans tous les
partis de l'établissement, se sont trop facilement laissé séduire par le
clinquant de son discours, vont rater le train des années 90, vont
fermer leurs cerveaux aux idées d'avenir.
Mais
revenons à la question allemande, qui verrouille encore et toujours le
passage de l'Europe fragmentée à l'Europe totale. Parmi les projets de
confédération et de réunification, que j'évoquais tout-à-l'heure, les
questions de sécurité dominent. A gauche de l'échiquier politique, elles
se mêlaient de considérations anti-militaristes et pacifistes.
Ailleurs, la volonté de créer l'apaisement entre l'Est et l'Ouest,
couplée à l'espoir toujours récurrent de la réunification, passait par
une critique systématique des stratégies de l'OTAN, y compris dans les
rangs chrétiens-démocrates. Ainsi, le Dr. Bernhard Friedmann,
parlementaire CDU et responsable de plusieurs commissions
parlementaires, publie en 1987 un livre qui fait l'effet d'une bombe
(F5). La réunification, y explique-t-il, est le seul projet de sécurité
collective pour l'Europe. L'Allemagne, comme jadis la France de De
Gaulle, doit trouver un mode original d'insérer sa défense entre les
deux gros, sans être un simple jouet entre leurs mains.
L'année
suivante, le Professeur Willms, éminent politologue, qui a défini de
manière particulièrement magistrale les concepts d'identité et de
nation, suggère une "fédération centre-européenne", obéissant à des
principes politiques véritablement alternatifs tels:
1) la représentation triple des professions, des régions et des partis;
2) un ordre économique repensé et
3) une défense renforcée à la mode helvétique.
De
Gaulle avait suggéré des mesures analogues, du moins quant à la
représentation. Les thèses de Willms (W2) doivent dès lors mobiliser
l'attention des Français. Car elles permettent de transcender les
logiques bloquantes de la partitocratie et de maximiser la
représentation populaire au sein des parlements. Autre argument de poids
avancé par Willms: la fédération centre-européenne ne peut fonctionner
que sur base d'une amnistie réciproque, d'un "oubli" permettant à
l'histoire de redémarrer après la parenthèse de la seconde guerre
mondiale et de notre long après-guerre.
Le
Général Kiessling, chassé de l'état-major de l'OTAN en 1984, vient,
quant à lui, de publier un brûlot remarquable: Neutralität ist kein
Verrat, la neutralité n'est pas de la trahison (K2, K3). Dans cet
ouvrage, il esquisse les grandes lignes d'un nouvel ordre européen.
Parce que le statu quo est intenable. La volonté de rénover de fond en
comble le statut de notre continent passe par une remise en question
globale de tous les réflexes politiques et stratégiques auxquels nous
avons été habitués depuis la guerre froide. C'est une contradiction
insoluble de vouloir et la réunification et l'ancrage de la RFA dans les
structures économiques et militaires occidentales. L'alignement sur
l'Ouest, ce mot d'ordre d'Adenauer qui devait remplacer la raison d'Etat
allemande, s'est révélé pure aberration. L'idée de réunification dans
la neutralité est plus conforme aux principes généraux de la
constitution démocratique de la RFA et permettrait d'insérer une
Allemagne neutre entre les deux blocs, qui, ainsi, ne se feraient plus
face directement.
C'est
pourquoi Kiessling suggère un processus de réunification en huit
étapes, passant 1) par le référendum populaire, 2) la constitution d'un
conseil inter-allemand, 3) la reconstitution des Länder en RDA et la
suppression de sa départementalisation, afin de redonner existence à des
espaces homogènes et naturels et de supprimer des schémas
administratifs desséchants, 4) la constitution d'une confédération
allemande, 5) la réunification de Berlin, 6) l'élection d'une assemblée
nationale constituante, 7) la proclamation de la République allemande,
8) la signature d'un traité de paix en bonne et due forme avec les
Alliés de la seconde guerre mondiale. Cette République serait neutre et
défendue par une armée unique de 300.000 hommes. La question reste
ouverte de savoir si un pays comme l'Allemagne, avec des frontières
ouvertes, sans protection naturelles, sauf les Alpes au Sud, peut se
contenter d'une armée aussi dérisoire. La neutralité helvétique,
malheureusement quelque peu battue en brèche lors de la "votation" de
dimanche dernier, a été solide et durable parce que ce pays de 7
millions d'habitants peut mobiliser 650.000 hommes en 24 heures. Si ces
proportions étaient appliquées à une Allemagne réunifiée, celle-ci
devrait pouvoir mobiliser 7.400.000 hommes dans le même laps de temps!
Sur
ce chapitre, la solution préconisée par le Colonel d.r. Lothar Penz
(P2) est une imbrication de l'armée permanente, hyper-professionnalisée,
dans des structures de défense populaire locale et dans la défense
civile. Les brigades se mouvraient dans des zones territoriales bien
circonscrites et constitueraient un système exclusivement défensif,
procédant par "maillage" du territoire. Une Allemagne (ou une Europe
centrale), défendue selon de telles stratégies, apaiserait et
dissuaderait simultanément l'URSS. Le point commun des discussions
lancées par Löser (L5), Kiessling (K2, K3) et Penz (P2), c'est la
volonté de déconstruire les systèmes stratégiques offensifs qui forment
la politique de l'OTAN et du Pacte de Varsovie, tout en garantissant une
sécurité solide et crédible pour l'Europe.
En
matière de politiques alternatives sérieuses, préconisées par des
hommes compétents, ayant pignon sur rue, le terrain a été préparé en
République Fédérale. Nous avions donc raison d'insister sur l'importance
de ces projets dans les colonnes de notre presse et à la tribune de
notre mouvement de pensée. D'autant plus, que le Chancelier Kohl
lui-même vient de suggérer un processus de réunification simplifié,
calqué sur toutes ces idées qui courent depuis quelques années. Kohl
voit la réunification se produire en dix étapes, prévoyant des élections
libres en RDA; ainsi que la création de "structures confédératives" et,
enfin, la réunification après un référendum populaire. Cela ne manque
pas de piquant, lorsque l'on sait que ce même chancelier avait traité
les suggestions de Friedmann d'"insensées" (F5).
Le
processus de réunification est donc en marche, qu'on le veuille ou non,
qu'on le trouve trop lent ou trop rapide, qu'on estime ou non qu'il est
grèvé de dangers et d'illusions. Alain Minc disait d'ailleurs, avec sa
pertinence habituelle, dans La grande illusion (M8), que le Mur de
Berlin protégeait l'Est de l'Ouest au temps de l'immobilisme
diplomatique soviétique mais qu'il s'est mis à protéger l'Ouest de l'Est
dès que s'est enclenchée la politique de charme de Gorbatchev!
Maintenant que le Mur n'existe plus, c'est toute la rigidité des
conceptions atlantistes qui est ébranlée. Les craintes habituelles de
l'Occident, des éditorialistes américains et des publicistes français,
qui en restent aux conceptions de Richelieu, ne se sont plus guère fait
entendre (L1). Ce qui inquiète l'Occident, c'est l'éventuel retrait de
la RFA de la CEE et de l'OTAN. Si l'Alliance atlantique devient
effectivement redondante et qu'elle est davantage un magasin où les
Etats-Unis écoulent leurs vieux stocks militaires, comme nous le
souligne très justement l'Amiral Sanguinetti, il est quelque peu hardi
d'affirmer que la RFA va tout de go renoncer à ses débouchés
ouest-européens et à ses investissements industriels, notamment en
Espagne et au Portugal. La RFA et les autres pays de la CEE ont
désormais l'occasion de pratiquer une politique économique qui ne se
réduit pas à l'Europe hémiplégique qu'est la CEE mais de s'assigner pour
terrain de manœuvre l'Europe Totale, CEE, AELE et COMECON compris, des
Açores au Détroit de Bering! Avec Régis Debray, nous disons: faisons
l'Europe TOUS AZIMUTS!
Mais
ce n'est pas seulement la perestroïka et le projet de "maison commune"
qui ont suscité la nouvelle synergie. Un projet de l'OTAN a lui aussi
provoqué un déclic. Quand le scénario des manœuvres dites Wintex-Cimex
de février-mars 1989 a été publié, il a provoqué un véritable tollé en
Allemagne fédérale. En effet, dans ce charmant exercice, les militaires
américains avaient prévu un conflit en Europe centrale qui ne se
résolvait que par le lancement de 17 têtes nucléaires sur les
territoires allemand, tchèque, hongrois et polonais. Le territoire
soviétique était épargné, de crainte que des représailles ne frappent le
territoire américain. L'Europe, depuis toujours, n'a été considérée que
comme un terrain de bataille dans les stratégies américaines (S16, M4).
Une seule alternative pour les Européens, comme titrait Der Spiegel:
"se sacrifier" (AA8). Entre le sacrifice exigé par les Etats-Unis et la
prospérité promise par l'idéal de la "maison commune", il n'est pas
difficile de comprendre pourquoi l'opinion publique allemande choisit de
préférence le second terme de l'alternative. Même les politiciens de la
CDU ont rué dans les brancards (AA9). L'Amiral Schmähling et les
généraux Altenburg et Mack ont annoncé qu'en cas de conflit et
d'application d'une telle stratégie criminelle, l'OTAN ne devait pas
compter sur eux (S8). Déclaration qui équivaut à une démission pure et
simple des principaux cadres de la Bundeswehr, fer de lance
conventionnel de l'OTAN.
Cette
gaffe gigantesque, commise par le Pentagone, a apporté de l'eau au
moulin de Gorbatchev et révélé deux choses lourdes de concrétude:
l'Europe ne peut survivre qu'en pratiquant une politique globale commune
et en instaurant une défense commune, strictement défensive et en toute
autonomie.
Le
scénario des manœuvres Wintex-Cimex rend par conséquence le processus
de réunification irréversible, de même que le rapprochement
inter-européen, prélude à une confédération voire une fédération
grande-européenne.
Depuis
quelques années, nous avons défendu, à cette tribune, la théorie des
"trois Europes", avec une Europe occidentale, sous influence américaine,
ensuite une Europe centrale neutre ou en voie de neutralisation
(s'étendant de la Suède à la Grèce), et, enfin, une Europe maintenue
sous la coupe soviétique. Sur le plan économique, ces trois Europes
correspondent peu ou prou à la CEE, l'AELE et le COMECON; sur le plan
militaire, à l'OTAN, aux neutres et au Pacte de Varsovie. Nos vœux nous
portaient à espérer un élargissement maximal de la zone centrale neutre,
au détriment des zones d'influence soviétique et américaine.
L'explosion de cet automne en RDA et la quasi neutralisation de la
Hongrie ont accéléré ce processus de manière inattendue et l'agitation
en Moldavie, dans les pays baltes, en Ukraine et en Biélorussie (B2, D8,
G5, L2, S20, V3, Z1) ont jeté le doute sur la cohérence de l'URSS
elle-même. N'oublions pas de mentionner aussi les manifestations
tsaristes et l'audace du mouvement Pamyat à Moscou et à Leningrad.
Toutes ces manifestations sont nationalistes et identitaires: elles
contestent la perestroïka parce qu'elle est une idée abstraite et
qu'elle pourrait introduire en Russie un libéralisme destructeur des
identités. De cette façon, les visées impérialistes que pourrait
dissimuler la stratégie soft du Kremlin à l'heure de Gorbatchev se
voient annulées par la pression qu'exercent en aval les nationalistes
russes, baltes, ukrainiens, etc. sur la politique intérieure de l'URSS.
Quand Gorbatchev avait lancé sa politique de restructuration, de
perestroïka, en 1985, les problèmes nationaux n'étaient pas à l'ordre du
jour; en bonne logique marxiste et réformiste, le progrès devait
advenir tout simplement par régulations des paradigmes de gestion en
matières économiques. Le 6 janvier 1986, dans les colonnes de la
Pravda, Gorbatchev déclare qu'il faut se débarrasser des réflexes
nationaux archaïques et se vouer entièrement à un nouvel
internationalisme prolétarien. Sous la pression des événements, cet
optimisme progressiste très conventionnel fera long feu. Deux années
plus tard, en juin 1988, Gorbatchev doit bien constater que la
résistance à son projet internationaliste initial n'est pas venue des
vieux cénacles brejnéviens, très minoritaires et complètement
discrédités, mais des linéaments pré-marxistes, nationaux, qui
structurent la mémoire des peuples de la grande fédération soviétique.
Mieux: des groupes de pression mixtes, mi-nationaux mi-écologistes,
contestent l'ensemble des structures soviétiques, voire la légitimité
même de l'appareil. La perestroïka a ouvert la boîte de Pandore...
L'Europe
post-communiste est donc en marche (S13); l'idéologie communiste a
largement fait faillite, comme idée et comme pratique. Ce qui implique
que l'URSS en tant que puissance mondiale ne dispose plus de cinquièmes
colonnes dynamiques dans les pays occidentaux; c'est également une des
raisons du profil bas qu'adopte Gorbatchev car l'histoire de ce siècle
nous enseigne que l'arme la plus redoutable de Moscou a précisément été
cette cinquième colonne. Et si les services américains ont sans doute
tablé sur les crypto-libéraux parmi les réformistes gorbatchéviens, ils
ont fait chou blanc. Nous autres, en revanche, partisans des identités
européennes, pouvons développer notre propre cinquième colonne parmi les
nationalistes russes et non-russes d'URSS et parmi les écologistes
indépendants. Parallèlement à cette évolution, les Etats-Unis accusent
un sérieux déclin, après la parenthèse du reaganisme, plus verbale que
concrète. Le professeur Paul Kennedy (K19) a tiré le bilan: lorsque la
puissance dominante ne détient plus le leadership technologique absolu
ni une incontestable supériorité économique en tous domaines, elle entre
dans une phase de déclin. Déclin qui, pour les Etats-Unis, s'est
symbolisé tout récemment par l'acquisition du Manhattan Center Building
par les Japonais.
Sur
cet arrière-plan de déclin des deux super-gros, nous n'avons pas encore
eu le temps, en Europe occidentale, d'esquisser un scénario
affirmateur, où se trouveraient condensés toutes nos aspirations et tous
nos intérêts. C'est une faiblesse. François Schlosser, dans Le Nouvel
Observateur (S7), oppose un scénario positif à un scénario négatif. Ce
dernier est une Europe nouvelle, auto-centrée autour de l'Allemagne,
pays Baltes compris. Son scénario positif, c'est tout simplement un
statu quo amélioré. Les pays européens du Comecon y sont positivement
"finlandisés", ont reçu des institutions plus ou moins démocratiques et
la CEE reste isolée sur elle-même. Les pays de l'AELE, eux, restent tels
quels. Pour l'idéologie soft, qu'elle soit libérale ou socialoïde, ce
statu quo amélioré est parfait: les économies se sont légèrement
interpénétrées; les pays de l'Est sont gardés ou non par l'Armée Rouge
si cela amuse encore Moscou mais il n'y a pas de grand espace européen,
pas d'auto-centrage, pas de fusion, pas de réelle "maison commune". Les
multinationales peuvent donc faire de bonnes affaires et améliorer leurs
bilans. Les Etats-Unis restent économiquement présents en Europe, comme
le souhaite Zinner (Z2). Valéry Giscard d'Estaing rejoint cette
position lorsqu'il déclare à Paris-Match (G4) que la CEE ne peut se
dissoudre dans une Europe de l'Atlantique à l'Oural. La soft-idéologie
ambiante, l'établissement, l'espace de la pensée marchande, sont des
partisans de la toute petite Europe... Et des adversaires de l'Europe
Totale: nos adversaires...
Le
mauvais scénario, pour François Schlosser, c'est celui d'une Europe
allemande, c'est-à-dire recentrée autour de l'Allemagne réunifiée. Ce
qui effraie en fait Schlosser, ce n'est pas tant la germanisation
proprement dite que l'autonomisation spontanée de l'Europe par rapport
aux stratégies des multinationales, l'émergeance de nouveaux circuits et
flux économiques, annulant l'effet de la division et de la
balkanisation de l'Europe. Quoi qu'il en soit, l'Allemagne étant le
centre du continent européen, toutes les relations économiques et
commerciales devront nécessairement passer par son territoire. Le
commerce italo-scandinave, hollando-hongrois, anglo-roumain, etc. passe
obligatoirement par le territoire allemand. Ensuite, le processus
d'unification du continent passe également par les relations bilatérales
tissées entre les petites nations de l'Est et de l'Ouest, méthode de
détente qu'avait préconisée Pierre Harmel dans les années 60. Avec le
dégel hongrois, ce processus est en train de reprendre de plus belle
(B12, H3).
Quant
à la France, dont les voies d'expansion économique ne portent pas vers
l'Est ou vers les Balkans, son opinion publique doit savoir que des
projets cohérents existent à Paris et en Allemagne pour pallier à cette
situation (F6, K7). Depuis 1988, les observateurs allemands constatent
que les craintes françaises de voir "dériver" l'Allemagne vers l'Est
s'estompent et disparaissent (K7). Sous l'impulsion de quelques cercles
diplomatiques et, en apparence sous l'oeil bienveillant de Mitterand,
Français et Allemands envisagent une Ostpolitik commune. Richard von
Weizsäcker le déclare en outre à Moscou: "La France et l'Allemagne
peuvent collaborer [en Europe orientale et en URSS]. Il n'y a pas en ce
domaine de voie allemande solitaire. Ce serait contre nos propres
intérêts" (F6). D'importants cercles diplomatiques français abandonnent
donc le vieil isolationisme récurrent de Paris, enterrent la méfiance
héréditaire à l'égard de l'Allemagne, se distancient de l'idée d'une
Europe exclusivement latine et carolingienne, renoncent à vouloir ancrer
à tout prix la RFA à l'Ouest et adhèrent désormais à une forme de
nationalisme grand-européen (K7). Ce sont là des tendances qu'il faut
accentuer et qu'un visionnaire comme Jean Parvulesco a aperçu depuis
longtemps déjà (P1, D5). A-t-il raison de dire que le grand projet
gaullien de libération continentale, de libération eurasiatique, est en
train de revenir subrepticement, à pas furtifs? Peut-être. Il est encore
trop tôt pour répondre. L'histoire le confirmera ou l'infirmera.
Que
la réunification plus que probable fasse imploser la CEE, que
l'adhésion éventuelle de la Finlande, de la Pologne ou de la Hongrie à
la CEE provoque un basculement tel qu'elle en acquiert un tout autre
visage, l'important c'est qu'advienne, à l'aube du IIIième millénaire,
l'Europe Totale que nous appelons de nos vœux. Mais la tâche sera lourde
pour nous, si nous voulons participer à la construction de cet immense
édifice. Nous devrons travailler avec plus d'énergie que jamais. Toutes
les recettes de notre long après-guerre ont échoué. Plus aucune d'entre
elles n'est intellectuellement satisfaisante. Il nous faut des systèmes
sociaux nouveaux, obéissant à de tout autres principes. Il faut créer un
droit adapté aux fantastiques innovations de notre siècle. Il faut
réorganiser et redessiner nos territoires administratifs selon le mode
des Länder allemands ou des cantons suisses, afin que toutes les
spécificités qui constituent notre continent puissent être représentées
valablement; ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Kiessling demande la
fin de la départementalisation en RDA et la reconstitution des anciennes
provinces. Enfin, nos armées devront être restructurées de fond en
comble et dégagées de cette Alliance contre-nature qu'est l'OTAN.
Ces
travaux innombrables et herculéens, auxquels notre mouvement de pensée
devra participer, signalent que l'histoire est revenue et qu'elle nous
interpelle. Ce que Jean Parvulesco appelle l'"ensoleillement
ontologique" illuminera le cœur de nombreux citoyens d'Europe. Car elle
revient la saison rougeoyante des Grands Brasiers et la forteresse
révolutionnaire d'avant-garde achève de se construire dans quelques
cerveaux hardis...
J'espère
que cette salle en compte quelques-uns et qu'ils accompliront ce que
l'Histoire commande, quand tombe le crépuscule des blocs et que
s'annonce l'aurore des peuples.
Je vous remercie.
Bibliographie:
A.
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