Hommage à Bernard Maris, victime de la tuerie de « Charlie
Hebdo »
Par Robert Steuckers
Il existe des situations bizarres dans la vie. Ma belle-mère
décède en pleine rue à Madrid le 29 décembre, plus exactement sur la Puerta del Sol, à quelques dizaines de
mètres du célèbre et tendre petit ours de bronze appuyé sur son arbrisseau,
dont il lèche les feuilles. Dare-dare nous devons, en cette fin d’année,
trouver un billet d’avion pour la capitale espagnole : nous en trouvons in extremis mais au prix de devoir errer
dans les rues de Charleroi pendant une journée entière, par un froid assez vif
et trop humide. Avant Noël, mes pas m’avaient amené dans les Galeries de la
Reine, à la Librairie Tropismes, où je voulais me procurer le livre d’un
certain Bernard Maris, alias « Onc’ Bernard » dans les pages de Charlie Hebdo, consacré à Maurice
Genevoix et Ernst Jünger (*). Dans la foulée, j’achète un autre volume dont le
titre m’avait intrigué, suite à une brève recension sur le blog http://metapoinfos.hautetfort.com:
Houellebecq économiste (**). Ce
volume se retrouve dans ma poche pour le voyage à Madrid et je le lis d’une
traite, tant il est merveilleusement écrit, d’une limpidité et d’une liquidité
des plus agréables, sur les fauteuils d’un Irish
Pub de Charleroi où j’ai siroté un Celtic
Cider et devisé avec le garçon, a genuine
Irishman, puis dans un tea room
très sympathique de la gare, où une charmante jeune femme nous a servi un
excellent thé vert et enfin sur un banc de l’aéroport. Houellebecq économiste
est un bréviaire pour nous tous qui professons, depuis un célèbre discours de
Guillaume Faye à Paris en 1979, que « l’économie n’est pas le destin ».
Maris voit en Houellebecq l’homme qui dénonce l’hégémonie contemporaine
de l’économie, celles qui nous transforme en « asservis », en chiens
pareils à celui qui converse avec le loup dans la fable de Lafontaine. L’économie,
ajoute-t-il, condamne à « l’insatisfaction à perpétuité », car l’asservi
-dont l’asservissement est désormais le seul horizon- reçoit en portions plus que congrues des
salaires qui lui permettent à peine de survivre, de tenir la tête hors de l’eau.
Les personnages de Houellebecq, qui finalement nous ressemblent tous, vivent la
peur, qui découle de cette insatisfaction perpétuelle, vivent cette peur de ne
pas survivre, et l’ont intériorisée, inhibant ainsi tous ces réflexes audacieux
qui rendraient le monde plus fascinant. Comme les insatisfaits de la Belle
Epoque, dont Arthur Moeller van den Bruck, Houellebecq espère l’avènement des
poètes et des artistes, figures salvatrices dans un monde qui chavire dans le
nihilisme, parce que l’homme a « droit à la beauté ». Et comme Orwell
et Michéa, Houellebecq appelle à la common
decency, celle qu’incarnait son propre père, apprenti dès l’âge de quatorze
ans.
Maris était le gendre de Maurice Genevoix, le mari de sa
fille Sylvie. C’est la raison qui l’a poussé à écrire un essai sublime sur les
deux combattants de 1914-1918, en l’année du centenaire de ce carnage qui a
ravagé l’Europe. Après la mort tragique de Maris à Paris, le 7 janvier 2015, j’ai
pris en main cet ouvrage, en tant que « jüngerien » de longue date, de
germaniste qui prépare encore et toujours quelques textes sur l’auteur des Falaises de marbre, plongé qu’il est
dans les biographies captivantes de Schwilk, d’Ipema et d’autres. Les premières
pages m’ont envahi d’une émotion indicible : Maris était un frère en
esprit, un adolescent qui fréquentait à Toulouse Georges le bouquiniste qui ne
conseillait que des bons livres aux gamins aventureux et inquiets qui venaient
solliciter son savoir. Georges lui avait fait lire Jünger que Genevoix n’avait
jamais abordé. Ce premier chapitre s’intitule « Nous qui lisions Ernst
Jünger »…
Maris reçoit dans la grande presse banalisée, alignée,
conformiste, l’étiquette facile de « gauche » parce qu’il oeuvrait à
la rédaction de Charlie Hebdo. J’ai
récolté l’étiquette de « droite » pour les mauvaises raisons que mes
amis connaissent et qui font que je dois, dans les prochains jours, me « justifier »
devant quelques affreux sbires d’une « Sotte Inquisition », expédié
par une inculte. Les deux ouvrages que je viens de tenir entre les mains
montrent, plus que jamais, que ce vocabulaire manichéen ne correspond à aucune
réalité tangible.
Maris dit écrire depuis le bureau de feu Maurice Genevoix et
relate aussi une conservation entre Sylvie Genevoix-Maris et Julien Gracq, ami
de Jünger. De son bureau, hérité de l’auteur de La Dernière harde (un de mes cadeaux de communion solennelle), Maris
voit couler lentement la Loire. Gracq vit aussi le long du fleuve tranquille,
que j’ai admiré cet été, sur la route d’Espagne, encore malade et chancelant, appuyé
sur une canne au pommeau argenté, captant d’un coup d’œil un magnifique
échassier blanc. Encore une sensation commune, avec le dégoût de l’économisme,
le jüngerisme indécrottable, les soirées littéraires des adolescents et des
jeunes étudiants si semblables aux nôtres… Un frère en esprit, inconnu pour moi
jusqu’au 30 décembre 2014, s’en est allé, un non-conformiste qui priait comme
moi pour qu’advienne le règne des poètes et des artistes, le « Troisième
Règne » de l’Esprit Saint de Joachim de Flore, de Dimitri Merejkovski et d’Arthur
Moeller van den Bruck. Et assurément d’Ernst Jünger…
Robert Steuckers,
11 janvier 2015.
(*) Bernard Maris, Houellebecq
économiste, Flammarion, Paris, 2014.
(**) Bernard Maris, L’homme
dans la guerre – Maurice Genevoix face à Ernst Jünger, Grasset, 2013.
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