Archives de Synergies Européennes - 1987
Sur August Bebel
Werner JUNG, August Bebel. Deutscher Patriot und internationaler Sozialist. Seine Stellung zu Patriotismus und Internationalismus, Centaurus-Verlagsgesellschaft, Pfaffenweiler, 1986, 540 S., DM 48.
August
Bebel, personnage central de la social-démocratie allemande, a, comme
beaucoup de ses pairs, évolué du libéralisme au démocratisme
socialiste. Incarnant une synthèse de toutes les variantes de l'idée
socialiste, Bebel s'interrogera pendant toute sa vie sur la «question
nationale». Au départ, sa vision de l'Etat national est opposée au
particularisme prussien: elle est grande-allemande et républicaine.
Bebel s'opposait ainsi à la Petite-Allemagne (sans l'Autriche) réunie
sous la couronne prussienne.
Dans un tel Etat, l'intérêt dynastique
passait avant l'intérêt national global. Bebel déplorait amèrement la
guerre austro-prussienne de 1866 et critiquait avec véhémence la
constitution d'une «Ligue nord-allemande», qui contribuait à affaiblir
l'ensemble germanique. Lors de la guerre franco-allemande de 1870,
Bebel s'opposait au conflit au nom de la solidarité ouvrière
internationale et se faisait le défenseur zélé de la Commune de
Paris. Après la fondation du IIème Reich à Versailles en 1871, ses
positions se feront plus «nationales» et il s'efforcera d'élaborer les
assises d'un «patriotisme social-démocrate».
L'appartenance à un même
ensemble politique, le fait de parler une même langue, créaient les
conditions d'une communauté de destin et les socialistes devaient
respecter et admettre cet état de choses, tout en soutenant les
politiques commerciales qui contribuaient à éliminer les désavantages de
l'Allemagne et à assurer son indépendance complète. Le patriotisme
social-démocrate qui découle de cette analyse, diverge
fondamentalement du nationalisme bourgeois: à l'intérieur, ce
patriotisme vise un bouleversement total du statu quo et l'abolition
des clivages de classe; à l'extérieur, il prône la fraternisation entre
tous les peuples au lieu du chauvinisme de l'exclusion. Est patriotique,
selon la définition bebelienne, tout acte politique qui favorise
l'émancipation de larges strates de la population et contribue à faire
des ouvriers et des défavorisés des citoyens à part entière. Sont
anti-patriotiques, en revanche, toutes les formes «bourgeoises» de
faire de la politique, lesquelles s'épuisent dans des discours
grandiloquents pour, finalement, ne consolider que le statu quo.
L'approche bourgeoise de la politique ne permet pas de résoudre les
contradictions de l'intérieur, donc affaiblit la nation. Le patriotisme
national et l'internationalisme ne sont pas des principes
antagonistes, mais des principes complémentaires: les patriotes de
tous les pays, tous soucieux du bien-être et de la prospérité de leur
peuple, doivent se manifester mutuellement de la solidarité. La
conception militaire qui se déduit de ce patriotisme socialiste est une
conception de «milice populaire» (Volkswehr), hostile aux «armées
permanentes» et dont la mission est purement défensive.
L'idéalisme de
Bebel connaîtra un cruel démenti en août 1914, quand les
sociaux-démocrates applaudissent à la défense du territoire de la
Prusse orientale envahie par les armées du Tsar et déplorent mollement
l'invasion de la Belgique et du Nord de la France, régions où le
socialisme était bien ancré au sein de la population, par les armées
permanentes du Kaiser. Bebel est toutefois resté logique avec
lui-même: son patriotisme fut réel, de même que son
internationalisme. Le livre de Werner Jung nous renseigne amplement
sur les courants divergents de la sociale-démocratie allemande, courant
qui, au fond, n'ont pas cessé d'exister aujourd'hui. C'est pourquoi,
surtout, son ouvrage nous apparaît fondamental (Robert Steuckers).
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