Aspects pratiques des convergences
eurasiennes actuelles
Conférence prononcée
par Robert Steuckers pour les « Deuxièmes journées eurasistes » de
Bordeaux, 5 septembre 2015
Bonjour à tous et désolé de ne pouvoir être physiquement
présent parmi vous, de ne pouvoir vous parler qu’au travers de
« Skype ».
Je vais essentiellement vous présenter un travail
succinct, une ébauche, car je n’ai que trois quarts d’heure à ma disposition
pour brosser une fresque gigantesque, un survol rapide des mutations en cours
sur la grande masse continentale eurasiatique aujourd’hui. Je ne vous
apporterai ce jour qu’un squelette mais vous promets simultanément un texte
bien plus étoffé, comme ce fut d’ailleurs le cas après les « journées
eurasistes » d’octobre 2014 à Bruxelles.
L’incontournable
ouvrage du Professeur Beckwith
Lors de ces premières rencontres eurasistes de Bruxelles,
tenues dans les locaux du vicariat à deux pas de la fameuse Place Flagey, je me
suis concentré sur les grandes lignes à retenir de l’histoire des convergences
eurasiatiques, en tablant principalement sur l’ouvrage incontournable, fouillé,
du Professeur Christopher I. Beckwith de l’Université de Princeton. Pour le
Prof. Beckwith, la marque originelle de toute pensée impériale eurasienne vient
de la figure du Prince indo-européen, ou plutôt indo-iranien, qui émerge à la
proto-histoire, un Prince qui a tout le charisme et l’exemplarité nécessaires,
toutes les vertus voulues, pour entraîner derrière lui une « suite »
de fidèles, un « comitatus », comme l’attestent d’ailleurs la figure
mythologique du Rama védique et celle de Zarathoustra, fondant ainsi une
période axiale, selon la terminologie philosophique forgée par Karl Jaspers et
reprise par Karen Armstrong. Le Prince charismatique et son
« comitatus » injectent les principes fondamentaux de toute
organisation tribale (essentiellement, au départ, de peuples cavaliers) et, par
suite, de tout organisation territoriale et impériale, ainsi que le montre le
premier empire de facture indo-européenne sur le Grand Continent eurasiatique,
l’Empire perse. Ce modèle est ensuite repris par les peuples turco-mongols.
Cette translatio au profit des
peuples turco-mongols ne doit pas nous faire oublier, ici en Europe, le
« droit d’aînesse » des peuples proto-iraniens.
J’espère pouvoir aborder la dimension religieuse des
convergences eurasiatiques lors de futures rencontres eurasistes, en tablant
sur des œuvres fondamentales mais largement ignorées dans nos contextes de
« grand oubli », de « grand effacement », car nous savons,
depuis les travaux de feue Elisabeth Noelle-Neumann que le système dominant
procède par omission de thématiques dérangeantes pour n’imposer que du
prêt-à-penser, pour ancrer l’oubli dans les masses déboussolées. Parmi ces
œuvres à ré-explorer, il y a celle de l’explorateur et anthropologue italien
Giuseppe Tucci, dont Payot avait jadis publié l’immense travail sur les
religiosités d’Asie centrale, sur les syncrétismes du cœur de l’Asie. Ceux-ci
ont émergé sur un socle shamaniste, dont toutes les variantes du bouddhisme,
surtout au Tibet, en Mongolie, dans les confins bouriates, ont gardé des
éléments clefs. Le « Baron fou », Fiodor von Ungern-Sternberg,
commandeur de la division de cavalerie asiatique du dernier Tsar Nicolas II,
était justement fasciné par cette synthèse, étudiée à fond par Tucci. Ensuite,
comme le préconise Claudio Mutti, le directeur de la revue de géopolitique
italienne Eurasia, une relecture des
travaux de Henry Corbin s’avère impérative : elle porte sur les traditions
avestiques, sur le culte iranien de la Lumière, sur la transposition de ce
culte dans le chiisme duodécimain, sur l’œuvre du mystique perse Sohrawardî,
etc. Mutti voit en Corbin le théoricien d’une sagesse eurasiatique qui émergera
après l’effacement des religions et confessions actuelles, en phase de ressac
et de déliquescence. Le culte de la Lumière, et de la Lumière intérieure, du Xvarnah, de l’auréole charismatique,
également évoquée par Beckwith, est appelé à prendre la place de religiosités
qui ont lamentablement basculé dans une méchante hystérie ou dans une moraline
rédhibitoire. L’avenir ne peut appartenir qu’à un retour triomphal d’une
religiosité archangélique et michaëlienne, au service de la transparence
lumineuse et du Bien commun en tous points de la planète.
Aujourd’hui, cependant, je me montrerai plus prosaïque,
davantage géopolitologue, en n’abordant que les innombrables aspects pratiques
que prennent aujourd’hui les convergences eurasiatiques. Les initiatives sont
nombreuses, en effet. Il y a la diplomatie nouvelle induite par la Russie et
son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov ; il y a ensuite les
initiatives chinoises, également diplomatiques avec la volonté d’injecter dans
les relations internationales une manière d’agir qui ne soit pas
interventionniste et respecte les institutions et les traditions des peuples
autochtones, mais surtout la volonté de créer de multiples synergies en
communications ferroviaires et maritimes pour relier l’Europe à la Chine.
Ensuite, l’Inde, sans doute dans une moindre mesure, participe à ces synergies
asiatiques. Le groupe des BRICS suggère un système bancaire international
alternatif. L’ASEAN vise à annuler les inconvénients de la balkanisation de
l’Asie du Sud-est, en cherchant des modes de relations acceptables et variés
avec la Chine et, parfois, avec l’Inde ou la Russie.
D’Alexandre
II à Poutine
Pour le dire en quelques mots simples, la Russie actuelle
cherche à retrouver la cohérence du règne d’Alexandre II, qui avait tiré les
conclusions de la Guerre de Crimée lorsqu’il avait accédé au trône à 37 ans, en
1855, alors que cette guerre n’était pas encore terminée. La Russie de Poutine
et de Lavrov rejette en fait les facteurs, toujours présents, toujours
activables, des fragilités russes du temps de Nicolas II et de la présidence
d’Eltsine, période de la fin du XXe siècle que les Russes assimilent à une
nouvelle « Smuta », soit à une époque de déliquescence au début du
XVIIe siècle. L’idée de « smuta », de déchéance politique totale, est
une hantise des Russes et des Chinois (leur XIXe siècle, après les guerres de
l’opium) : pour les Européens de l’Ouest, la « smuta » première,
c’est l’époque des « rois fainéants », des mérovingiens tardifs et
les historiens, dans un avenir proche, considèreront sans nul doute l’Europe
des Hollande, Merkel, Juncker, etc., comme une Europe affligée d’une
« smuta » dont les générations futures auront profondément honte.
Aujourd’hui, les risques auxquels la Russie est
confrontée restent les mêmes que du temps de la guerre de Crimée ou du règne de
Nicolas II. Elle est en effet tenue en échec en Mer Noire malgré le retour de
la Crimée à la mère-patrie : l’OTAN peut toujours faire jouer le verrou
turc. Elle est menacée dans le Caucase, où elle avait soumis les peuples
montagnards après des campagnes extrêmement dures, très coûteuses en hommes et
en matériels. Sous Alexandre II, elle franchit la ligne Caspienne-Aral pour
s’avancer en direction de l’Afghanistan : cette marche en avant vers
l’Océan Indien s’avère pénible et Alexandre II prend parfaitement conscience
des facteurs temps et espace qui freinent l’élan de ses troupes vers le Sud. Le
temps des campagnes doit être réduit, les espaces doivent être franchis plus
vite. La solution réside dans la construction de chemins de fer,
d’infrastructures modernes.
Des
ONG qui jouent sur tous les registres de la russophobie
La réalisation de ces projets de grande ampleur postule
une modernisation pratique et non idéologique de la société russe, avec, à la
clef, une émancipation des larges strates populaires. Le nombre réduit de la
classe noble ne permettant pas le recrutement optimal de cadres pour de tels
projets. Dès 1873, dès l’avancée réelle des forces du Tsar vers l’Afghanistan
donc potentiellement vers le sous-continent indien, clef de voûte de l’Empire
britannique dans l’Océan Indien, dit l’« Océan du Milieu », commence
le « Grand Jeu », soit la confrontation entre la thalassocratie
britannique et la puissance continentale russe. De 1877 à 1879, la Russie prend
indirectement pied dans les Balkans, en tablant sur les petites puissances
orthodoxes qui viennent de s’émanciper du joug ottoman. Entre 1879 et 1881, la
Russie d’Alexandre II est secouée par une vague d’attentats perpétrés par les
sociaux-révolutionnaires qui finiront par assassiner le monarque. La Russie
faisait face à des révolutionnaires fanatiques, sans nul doute téléguidés par
la thalassocratie adverse, tout comme, aujourd’hui, la Russie de Poutine, parce
qu’elle renoue en quelque sorte avec la pratique des grands projets
infrastructurels inaugurée par Alexandre II, doit faire face à des ONG mal
intentionnées ou à des terroristes tchétchènes ou daghestanais manipulés de
l’extérieur. Alexandre III et Nicolas II prennent le relais du Tsar assassiné.
Nicolas II sera également fustigé par les propagandes extérieures, campé comme
un Tsar sanguinaire, modèle d’une « barbarie asiatique ». Cette
propagande exploite toutes les ressources de la russophobie que l’essayiste
suisse Guy Mettan vient de très bien mettre en exergue dans Russie-Occident – Une guerre de mille ans.
Curieusement, la Russie de Nicolas II est décrite comme une « puissance
asiatique », comme l’expression féroce et inacceptable d’une gigantomanie
territoriale mongole et gengiskhanide, alors que toute la littérature russe de
l’époque dépréciait toutes les formes d’asiatisme, se moquait des engouements
pour le bouddhisme et posait la Chine et son mandarinat figé comme un modèle à
ne pas imiter. L’eurasisme, ultérieur, postérieur à la révolution bolchevique
de 1917, est partiellement une réaction à cette propagande occidentale qui
tenait absolument à « asiatiser » la Russie : puisque vous nous
décrivez comme des « Asiates », se sont dit quelques penseurs
politiques russes, nous reprenons ce reproche à notre compte, nous le faisons
nôtre, et nous élaborons une synthèse entre impérialité romano-byzantine et
khanat gengiskhanide, que nous actualiserons, fusionnerons avec le système
léniniste et stalinien, etc.
Pour affaiblir l’empire de Nicolas II, en dépit de
l’appui français qu’il reçoit depuis la visite d’Alexandre III à Paris dans les
années 1890, l’Angleterre cherche un allié de revers et table sur une puissance
émergente d’Extrême-Orient, le Japon, qui, lui, tentait alors de contrôler les
côtes du continent asiatique qui lui font immédiatement face : déjà maître
de Taiwan et de la Corée après avoir vaincu la Chine déclinante en 1895, le
Japon devient le puissant voisin tout proche de la portion pacifique de la
Sibérie désormais russe. Londres attisera le conflit qui se terminera par la
défaite russe de 1904, face à un Japon qui, suite à l’ère Meiji, avait réussi son
passage à la modernité industrielle. Les navires russes en partance pour le
Pacifique n’avaient pas pu s’approvisionner en charbon dans les relais
britanniques, au nom d’une neutralité affichée, en toute hypocrisie, mais qui
ne l’était évidemment pas...
Le
Transsibérien bouleverse la donne géostratégique
Les troupes russes au sol, elles, s’étaient déplacées
beaucoup plus rapidement qu’auparavant grâce aux premiers tronçons du
Transsibérien. L’état-major britannique est alarmé et se rappelle du coup de bélier
des armées tsaristes contre la Chine, lorsqu’il s’était agi de dégager le
quartier des légations à Pékin, lors du siège de 55 jours imposé aux étrangers,
suite à la révolte des Boxers entre juin et août 1900. Le géographe Sir Halford
John Mackinder énonce aussitôt les fameuses théories géopolitiques de la
dialectique Terre/Mer et de la « Terre du Milieu », du
« Heartland », inaccessible à la puissance de feu et à la capacité de
contrôle des rimlands dont disposait
à l’époque la puissance maritime anglaise. Le Transsibérien permettait à la
Russie de Nicolas II de sortir des limites spatio-temporelles imposées par le
gigantisme territorial, qui avait, au temps des guerres napoléoniennes, empêché
Paul I de joindre ses forces à celles de Napoléon pour marcher vers les Indes.
Henri Troyat explique avec grande clarté à ses lecteurs français tous ces
projets dans la monographie qu’il consacre à Paul I. De même, la Russie avait
perdu la Guerre de Crimée notamment parce que sa logistique lente, à cause des
trop longues distances terrestres à franchir pour fantassins et cavaliers, ne
lui avait pas permis d’acheminer rapidement des troupes vers le front, tandis
que les navires de transport anglais et français pouvaient débarquer sans
entraves des troupes venues de la métropole anglaise, de Marseille ou
d’Algérie. L’élément thalassocratique avait été déterminant dans la victoire
anglo-française en Crimée.
La Russie de Nicolas II, bien présente en Asie centrale,
va dès lors, dans un premier temps, payer la note que les Britanniques avaient
déjà voulu faire payer à Alexandre II, le conquérant de l’Asie centrale, assassiné
en 1881 par une bande de révolutionnaires radicaux, appartenant à Narodnaïa Voljia. La Russie d’Alexandre II pacifie le Caucase, le soustrayant
définitivement à toute influence ottomane ou perse, donc à toute tentative
anglaise d’utiliser les empires ottoman et perse pour contribuer à
l’endiguement de cette Russie tsariste, conquiert l’Asie centrale et affirme sa
présence en Extrême-Orient, notamment dans l’île de Sakhaline. Au même moment,
les marines passent entièrement des voiles et de la vapeur (et donc du charbon)
au pétrole. La Russie détient celui de Bakou en Azerbaïdjan. La possession de
cette aire sud-caucasienne, la proximité entre les troupes russes et les zones
pétrolifères iraniennes fait de la Russie l’ennemi potentiel le plus redoutable
de l’Angleterre qui, pour conserver l’atout militaire majeur qu’est sa flotte,
doit garder la mainmise absolue sur ces ressources énergétiques, en contrôler
une quantité maximale sur la planète.
L’assassinat
de Stolypine
Comme le danger allemand devient aux yeux des Britannique
plus préoccupant que le danger russe,
-parce que la nouvelle puissance industrielle germanique risque de débouler
dans l’Egée et en Egypte grâce à son alliance avec l’Empire ottoman moribond- l’Empire de Nicolas II est attiré dans
l’alliance franco-anglaise, dans l’Entente, à partir de 1904. Stolypine,
partisan et artisan d’une modernisation de la société russe pour faire face aux
nouveaux défis planétaires, aurait sans doute déconstruit progressivement et
habilement le corset qu’impliquait cette alliance, au nom d’un pacifisme de bon
aloi, mais il est assassiné par un fanatique social-révolutionnaire en 1911
(les spéculations sont ouvertes : qui a armé le bras de ce tueur
fou ?). Stolypine, qui aurait pu, comme Jaurès, être un frein aux
multiples bellicismes qui animaient la scène européenne avant la Grande Guerre,
disparaît du monde politique sans avoir pu parachever son œuvre de redressement
et de modernisation. La voie est libre pour les bellicistes russes qui
joindront leurs efforts à ceux de France et d’Angleterre. Ce qui fait dire à
quelques observateurs actuels que Poutine est en somme un Stolypine qui a
réussi.
Dès que la Russie s’ancre plus solidement dans l’Entente,
la propagande hostile à Nicolas II, orchestrée depuis Londres, fait
volte-face : le Tsar cesse d’un coup d’être un abominable monarque
sanguinaire et devient, comme par miracle, un empereur bon, paternel, qui aime ses sujets. Staline connaîtra un destin similaire :
horrible boucher sanguinaire pour ses purges des années 1930, « bon petit
père des peuples » pendant la seconde guerre mondiale, tyran
antidémocratique dès que s’amorce la guerre froide. Avant Orwell, Lord Ponsonby
décortiquera les mécanismes de cette propagande bien huilée, capable de changer
de cap, de désigner comme ennemi l’ami d’hier et vice-versa, exactement comme
dans l’Oceania de Big Brother. La Russie entre dans la
Grande Guerre aux côtés des autres puissances de l’Entente : ce sera sa
perte. Dmitri Merejkovski l’avait prévu. Les analyses de Soljénitsyne abondent
également dans ce sens. L’affaire désastreuse des Dardanelles, voulue par
Churchill en 1915, avait pour objectif inavoué d’arriver à Constantinople avant
les Russes et de verrouiller les détroits turcs comme en 1877-78 : la
duplicité londonienne ne s’était pas effacée au nom de la fraternité d’armes de
1914.
Au
temps des deux « géants rouges »
La Russie actuelle, celle de Poutine, entend conserver la
cohérence territoriale de l’Union Soviétique défunte mais sans la rigidité
idéologique communiste. Le communisme était une « idéologie froide »
(Papaioannou) et un « système réductionniste » (Koestler), dont les
retombées pratiques s’avéraient désastreuses, notamment sur le plan de la
nécessaire autarcie agricole que devrait détenir toute grande puissance de
dimensions continentales. Toute puissance de cet ordre de grandeur a pour
obligation pratique de maintenir une « cohérence territoriale », de
colmater toutes les brèches qui pourraient survenir au fil du temps, que
celles-ci soient le fait de dissidences intérieures ou d’une subversion
organisée par l’ennemi. Sous d’autres oripeaux que ceux du communisme, Poutine
cherche à rétablir les atouts dont disposait l’Union soviétique entre 1949 et
1972, quand elle formait, avec la Chine, un bloc communiste de très grande
profondeur territoriale. La Chine maoïste et l’URSS, de Staline à Brejnev,
étaient certes des puissances continentales dont l’idéologie officielle était
posée comme « progressiste ». Elles ont toutefois été marquées par
une régression industrielle et technologique permanente par rapport aux
Etats-Unis, au Japon ou à l’Europe occidentale, corroborant la théorie
américaine du technological gap.
Les développements internes à l’ère communiste ont certes balayé quelques
archaïsmes, il faut le reconnaître, mais à quel prix ? Aujourd’hui, la
situation est différente. La Chine est à la pointe de nombreuses innovations
techniques. Elle est capable de développer des réseaux de chemins de fer
performants, de construire des infrastructures aéroportuaires ultra-modernes,
de gérer les flux de trafic urbain par d’audacieuses innovations
technologiques, de fabriquer des porte-avions à double piste, etc.
Même si on ne peut pas dire que la Russie et la Chine
n’ont plus aucun contentieux, le binôme sino-russe tient parce qu’à Moscou
comme à Beijing les diplomates savent que le déclin de l’URSS a commencé en
1972 quand Nixon et Kissinger déploient une intense activité diplomatique en
direction de la Chine et transforment celle-ci en un allié de revers contre
Moscou. 1972, il faut s’en souvenir, a été une année charnière : l’URSS
était encerclée, coincée entre l’OTAN et la Chine, son déclin s’est
automatiquement amorcé, tandis que la Chine, attelée à cette alliance de facto
avec les Etats-Unis, était contrainte d’opter pour un développement
continental, soit de tourner le dos au Pacifique, de ne plus y contrarier les
intérêts stratégiques américains. Kissinger faisait ainsi d’une pierre deux
coups : il affaiblissait la Russie et détournait la Chine maoïste des eaux
du Pacifique (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, comme l’attestent les
incidents récurrents en Mer de Chine du Sud).
De
l’alliance sino-américaine au déclin de l’Union Soviétique
Washington consolidait ainsi son hégémonisme planétaire
et unipolaire : De Gaulle était mort, l’Allemagne et l’Europe toujours
divisées, les stratégistes américains planifiaient déjà la chute du Shah,
coupable d’avoir soutenu les revendications des pays producteurs de pétrole et
de développer une puissance régionale sérieuse, appuyée par des forces
aériennes et navales efficaces, dans une zone hautement stratégique. Pour le
monde musulman, 1979, année de la prise du pouvoir par Khomeiny, appuyé par les
services américains, britanniques et israéliens dans un premier temps, sera
l’année-charnière car, dès ce moment, il sera travaillé par des forces hostiles
à l’ordre du monde de type « westphalien », ce qui nous conduira au
chaos non maîtrisable que nous connaissons aujourd’hui. Avec ce désordre
anti-westphalien sur son flanc sud, Poutine cherche tout simplement un pôle de
stabilité alternative, permettant un développement normal de la Fédération de
Russie dans un cadre impérial cohérent, combinant in fine les acquis d’Alexandre II -qui avait déclenché le
« Grand Jeu »- et la sécurité
stratégique obtenue par l’URSS après la seconde guerre mondiale et surtout à
l’époque entre 1949 et 1972, quand la Chine ne dépendait en aucune façon des
Etats-Unis et de leurs alliances sur les rimlands
d’Eurasie. Cette sécurité, offrant la stabilité, doit aussi se refléter sur
les plans religieux et idéologique : la pluralité des confessions ou des
approches idéologiques ou, encore, des politiques économiques, ne doit pas
nécessairement provoquer des dynamiques centrifuges. Au-delà de tous les
clivages établis par l’histoire sur la masse continentale centre-asiatique, la
politique générale doit être convergente et ne plus admettre les divergences
qui conduisent inexorablement à une « smuta ». Cette volonté de
convergence devrait valoir aussi pour l’Europe, au sens le plus strict du
terme : cette idée était déjà présente chez le Tsar Alexandre I qui, après
les troubles de l’ère révolutionnaire et napoléonienne, avait envisagé une
convergence religieuse en Europe, une fusion de l’orthodoxie, du catholicisme
et du protestantisme, pour consolider la première ébauche d’union eurasienne
qu’était la Sainte-Alliance.
Ukraine
et « Corridor 5 »
Suite à la petite « smuta » de l’ère
eltsinienne, la Russie n’a même pas pu conserver le projet d’une union entre
les trois républiques slaves de l’ex-URSS, rêvée par Alexandre Soljénitsyne dès
son exil américain. Les forces hostiles à toute union (formelle ou informelle)
de l’Eurasie, à toute résurrection de la Sainte-Alliance, aux convergences
générées par des communications optimales ont visé l’Ukraine, appelée à se
détacher de la symbiose voulue par Soljénitsyne. Deux raisonnements
historico-stratégiques ont conduit à cette politique :
1) l’Ukraine
redessinée par Khrouchtchev dans les années 1950 contenait la Crimée,
presqu’île dans l’espace maritime pontique sans laquelle la Russie n’a plus
aucune projection vers la Méditerranée et ne peut plus être une grande
puissance qui compte ;
2) ensuite,
l’Ukraine, dans la partie occidentale de la masse continentale eurasiatique,
est un espace de transit, que les géopolitologues appellent, en anglais, a gateway region. Pour infliger une
paralysie à l’adversaire, il convient en effet de bloquer tout transit en de
telles régions, a fortiori si l’on veut bloquer les communications entre les
puissances situées de part et d’autre de cet espace de transit. De Cadix à
Kiev, l’Europe est traversée par ce qu’il est convenu d’appeler le
« Corridor 5 ». A partir de Kiev, ce « corridor »,
poursuivi, mène en Inde, en Chine et sur les côtes du Pacifique : ce sont
les tronçons de l’antique « route de la soie », empruntés par Marco
Polo.
Pour toute puissance hégémonique hostile
à la fois à la Russie et à l’Europe (centrée autour du pôle industriel
allemand), le « Corridor 5 » doit être bloqué en tout lieu où
l’on peut réanimer un conflit ancien moyennant les stratégies habituelles de subversion.
La subversion de l’Ukraine -au nom de conflits anciens et au bénéfice apparent de
forces idéologiques autochtones, ultranationalistes, dont on combat pourtant les
homologues partout ailleurs dans le monde- est par conséquent, un modèle d’école. On a
délibérément choisit l’Ukraine parce qu’elle est une zone de transit des
gazoducs russes en direction de l’Europe. En transformant l’Ukraine en une zone
de turbulences, on oblige Russes et Européens à investir inutilement dans des
projets alternatifs, pour contourner un pays désormais hostile, non pas parce
qu’il entend défendre ses propres intérêts légitimes, mais, au contraire, parce
qu’il veut, en dépit du bon sens, faire triompher les intérêts d’une puissance
hégémonique, étrangère aux espaces russe et européen. Le nouveau gouvernement
ukrainien se détache de la sorte de l’espace civilisationnel européen dont il
fait partie.
Par ailleurs, la subversion,
inspirée par certains préceptes de Sun Tzu, vise aussi à anéantir les ressorts
traditionnels d’une puissance ennemie : à l’heure des grands médias, cette
forme de subversion déploie des spectacles ou des provocations déliquescentes,
à l’instar des « pussy riots » ou des « femens ». Ce type
d’actions subversives sape les fondements éthiques d’une société, en tablant
sur les bas instincts et les carences en discernement du grand nombre, et,
partant, détruit la cohésion de la politie, en ruine les structures sociales,
les assises religieuses. La Russie de Poutine a veillé à annuler les capacités
de nuisance de ces entreprises, fautrices de déliquescence irrémédiable, au
grand dam des officines, généralement américaines, qui les avaient activées
dans la ferme intention de saper les assises de la société russe et d’ébranler
l’édifice étatique de la Fédération de Russie.
Le mythe occidental des
« sociétés ouvertes »
La Russie de Poutine, comme
toute autre Russie qui chercherait à se consolider sur le long terme, doit donc
retrouver une stabilité territoriale et géopolitique englobant les atouts de la
Russie d’Alexandre II et ceux de l’URSS entre 1949 et 1972, quand la longue
frontière centre-asiatique avec la Chine était sécurisée : face à la Chine
post-communiste, Poutine ne répétera pas l’hostilité sourde et sournoise de
Staline et de ses successeurs à l’égard de la Chine maoïste, en dépit d’une
unité idéologique de façade qui faisait parler des deux « géants
rouges ». La cohérence qu’il vise, à la fois tsariste et communiste, doit
se compléter par une ouverture à d’autres zones de grande importance géostratégique
dans le monde, afin de pallier les désavantages énormes que les fermetures
communistes avaient entrainés. Dans la dialectique Sociétés ouvertes / Sociétés
fermées, imaginée par Karl Popper, les sociétés russe et chinoise d’aujourd’hui
optent pour un équilibre entre ouverture et fermeture : elles refusent
l’ouverture tous azimuts, préconisée par les tenants du globalisme néolibéral
(Soros, etc.) ; elles refusent tout autant les fermetures rigides
pratiquées par les communismes stalinien, brejnevien, albanais et maoïste. Ce
double refus passe par un retour en Chine à la pensée pragmatique de Confucius
(condamné par les nervis maoïstes de la « révolution culturelle » des
années 1960) et en Russie à des étatistes pragmatiques et bâtisseurs tels qu’en
a connus l’histoire russe de la fin du XIXe siècle à 1914. Cette synthèse
nouvelle entre ouverture et fermeture, pour reprendre la terminologie inaugurée
par Popper, postule un rejet de l’extrémisme néolibéral, un planisme souple de
gaullienne mémoire, une volonté de provoquer la « dé-dollarisation »
de l’économie planétaire et de créer une alternative solide au système
anglo-saxon, manchestérien et néolibéral. Cette synthèse, que l’on vise mais
qui n’a pas encore été réalisée, loin s’en faut, permet déjà de forger des
économies hétérodoxes, chaque fois adaptées aux contextes historiques et
sociaux dans lesquelles elles sont censées s’appliquer. Disparaît alors la
volonté enragée et monomaniaque de vouloir imposer à toutes les économies du
monde un seul et même modèle.
Le monde est un
« pluriversum »
Russes et Chinois espèrent
trouver dans le BRICS des cohérences nouvelles dans une diversité bien
équilibrée, dans un « pluriversum » apte à respecter la diversité du
monde contre toutes les tentatives de l’homogénéiser. Le groupe BRICS constitue
une alternative plurielle au système dominant et américano-centré, le monde des
Etats n’étant pas un « univers » mais bien un « plurivers »
comme le disait le philosophe allemand du politique Bernhard Willms, décédé en
1991, et comme l’affirme aujourd’hui l’analyste géopolitique russe Leonid
Savin. La recherche d’une économie hétérodoxe, souple et contextualisée (selon
le vocabulaire du MAUSS, « Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences
Sociales »), correspond aussi à la volonté chinoise de déployer, à
l’échelle planétaire, une diplomatie souple, hostile à toute pratique
hystérique de l’immixtion, comme celles que préconisent les néo-conservateurs
américains, les nouveaux philosophes regroupés peu ou prou derrière le pompon
de Bernard-Henri Lévy ou les extrémistes salafistes stipendiés par l’Arabie
Saoudite.
La Chine préconise ainsi une diplomatie de la non-intervention dans
les affaires intérieures des Etats tiers. La généralisation de ce principe,
plus doux et plus pacifique que les modes de fonctionnement occidentaux
actuels, devrait conduire à terme à supprimer ces facteurs d’ingérence et de
conflits inutiles que sont bon nombre d’ONG américaines : en Chine, elles
ne fonctionnent guère, sauf quand elles font appel à des fondamentalistes
salafistes du Turkestan chinois, soutenus par les Turcs et les Saoudiens, ou à
des sectes pseudo-religieuses farfelues ou quand elles instrumentalisent le
Dalaï Lama. La Russie a commencé ce travail de neutralisation des organismes
fauteurs de troubles et de guerres en jugulant le travail subversif des ONG
d’Outre-Atlantique, considérées à juste titre comme des facteurs de
« smuta », et en amorçant le contrôle des médias, de Google, etc.
Le
but premier d’un mouvement eurasien serait dès lors de participer à ces
nouvelles forces à l’œuvre sur la planète, à favoriser les innovations qu’elles
apportent pour nous sortir d’impasses mortifères.
Empêcher le basculement de
l’Europe vers la Russie, l’Eurasie, la Chine et l’Iran
Mais cette vaste panoplie
d’innovations, qui cherchent à s’imposer partout dans le monde, va, bien
entendu, provoquer une riposte de l’hegemon.
Les conflits d’Ukraine et de Syrie ont été activés par des stratégistes mal
intentionnés pour entraver la marche en avant de cet ensemble alternatif,
englobant l’Europe. En effet, l’objectif premier des stratégistes de l’hegemon
est d’empêcher à tout prix le glissement de l’Europe vers les puissances
eurasiennes du groupe BRICS et vers l’Iran. C’est donc en premier lieu vers les
zones possibles de connexion entre notre sous-continent et le reste de
l’Eurasie que l’hegemon doit agir pour bloquer cette synergie
grande-continentale. L’Ukraine avec, notamment, les ports de Crimée, était en
quelque sorte l’interface entre la civilisation grecque, puis byzantine, et les
voies terrestres vers le centre de l’Asie, l’Inde et la Chine ; elle a
gardé cette fonction aux temps médiévaux des entreprises génoises qui
demeuraient branchées sur les « routes de la soie » du nord, en dépit
des tentatives de blocage perpétrées au Sud et au niveau du Bosphore par les
Seldjouks puis par les Ottomans. La façade maritime méditerranéenne du Levant,
soit du Liban et de la Syrie actuels, donnait accès aux routes de la soie
menant, par la Mésopotamie et l’espace perse, aux Indes et à la Chine.
Aujourd’hui, la Chine a développé les capacités de créer des réseaux
ferroviaires trans-eurasiens, où les territoires de la Fédération de Russie, du
Kazakhstan et de quelques autres anciennes républiques majoritairement
musulmanes de l’ex-URSS, servent de jonction entre les deux espaces, l’européen
et le chinois, que Leibniz jugeait déjà les « plus élevés en
civilisation ».
Les stratégistes mal
intentionnés prévoient d’autres blocages dans la zone de connexion entre notre
Europe et le reste de l’Eurasie. D’abord il y a la possibilité de créer une
zone de turbulences durables, un abcès de fixation, en Transnistrie et en
Moldavie, en bloquant tout transit entre l’Ukraine et l’Europe, tandis que le
territoire du Donbass empêche déjà toute communication fluide entre l’Ukraine
et la Russie du Don, de la Volga et de la Caspienne. Au sud, un général
américain, Ben Hodges, commandant de l’OTAN jusqu’en 2014, envisage de soulever
le Caucase du Nord en réactivant les conflits russo-tchétchène et
russo-ingouche, de façon à troubler l’acheminement des hydrocarbures de la
Caspienne et de créer une zone de turbulences sur le long terme entre les
territoires russe et iranien. De même, ces stratégistes envisagent de réanimer
le conflit russo-géorgien, placé au frigidaire depuis août 2008. Ou de
déclencher un nouveau conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour la région
du Nagorny-Karabach, ce qui aurait pour effet de bloquer toute liaison
territoriale entre la Russie et l’Iran, surtout après le faux dégel entre
l’Occident et Téhéran que l’on observe depuis les dernières semaines de l’année
2015. Plus à l’est, les mêmes stratégistes envisagent un projet de
« chaotisation complète » de l’Asie centrale post-soviétique. Au
départ de l’Afghanistan, ils envisagent de faire pénétrer au Turkménistan, au
Tadjikistan, au Kirghizistan voire en Ouzbékistan des éléments fondamentalistes
(talibans, partisans d’Al Qaeda, avatars de l’Etat islamique, etc., les golems
ne manqueront pas…) qui feront subir à ces pays, s’ils se montrent
récalcitrants, le sort de l’Irak ou de la Syrie. Le Turkménistan, riverain de
la Caspienne et voisin de l’Afghanistan, pourrait être transformé en une zone
de turbulences s’il ne cède pas aux pressions de l’OTAN qui lui fait miroiter
une aide économique. Des terroristes afghans, que l’on posera comme
« incontrôlables » en dépit de la présence américaine là-bas,
passeront la frontière pour semer le chaos dans ce pays qui est un producteur
d’hydrocarbures et un riverain de la Caspienne.
Un chaos créé
artificiellement
Ce chaos créé
artificiellement est une application agressive de la stratégie ancienne de
l’«endiguement». Non seulement il freinera l’acheminement de matières premières
et d’hydrocarbures vers l’Europe mais troublera durablement les voies de
communication entre la Russie, l’Inde et la Chine, où un pari possible sur des
fondamentalistes pakistanais permettrait aussi de bloquer à nouveau les régions
du Cachemire-Jammu et de l’Aksai Chin, ruinant toutes les tentatives
d’apaisement entre Beijing et New Delhi, lesquelles avaient toujours été
laborieuses.
L’objectif
impératif que doivent se fixer les cercles eurasistes, c’est d’œuvrer et de
militer pour ne pas que nos contemporains s’embarquent dans de telles manœuvres
bellicistes, pour qu’ils soient toujours rétifs aux sirènes des propagandes.
Cependant, saper la cohésion
européenne, œuvrer à disloquer les sociétés européennes et à affaiblir ses
économies nationales et régionales ne passe pas seulement par l’organisation de
conflits à ses frontières (Libye, Donbass, Syrie, Caucase) mais aussi, comme
certains faits des années 1990 et 2000 semblent l’attester, de provoquer de
mystérieux accidents dans le tunnel du Mont Blanc pour bloquer le
« Corridor 5 » (toujours lui !), d’organiser des grèves sauvages
pour paralyser les communications dans l’Hexagone et autour de lui, comme en
1995 pour mettre Chirac sous pression afin qu’il abandonne son programme
nucléaire –Jean Parvulesco se plaisait à
le signaler et à rappeler les liens anciens entre certains syndicats
socialistes français et l’OSS ou la CIA. Aujourd’hui, les clandestins bloquent
parfois le tunnel sous la Manche à Calais, avec l’appui d’associations bizarres,
se réclamant d’une xénophilie délirante ou d’une forme d’antifascisme
fantasmagorique, dont l’objectif ne peut nullement être qualifié de
« rationnel ». Est-ce pour rompre les liens entre la Grande-Bretagne
et l’Europe ?
Cet ensemble de pressions
constantes, s’exerçant sur les communications entre l’Europe et le reste de la
masse continentale eurasiatique, a pour but essentiel d’empêcher la
constitution d’un réseau efficace, la réalisation du vœu de Leibniz :
faire de la « Moscovie » le pont entre l’Europe et la Chine. Les
actuels projets ferroviaires chinois sont en effet très impressionnants. Le
nouveau poids de la Chine, certes relatif, pourrait, estiment les stratégistes
américains, provoquer un basculement de l’Europe vers l’Asie. Une telle
éventualité a été un jour explicitée par Dominique de Villepin : celui-ci
estimait que la concrétisation finale des projets ferroviaires et des routes
maritimes envisagées par la Chine offrait potentiellement à la France et aux
autres pays européens d’innombrables occasions de forger des accords lucratifs
avec la Russie, les pays d’Asie centrale et la Chine dans les domaines des
transports et des services urbains. Dans un article des Echos, de Villepin écrivait : « C’est là une tâche qui
devrait non seulement mobiliser l’Union Européenne et ses Etats membres mais
aussi les autorités locales, les chambres de commerce et les hommes d’affaires
pour ne même pas mentionner les universités et les boîtes-à-penser ». Grande
sagesse. Et clairement exprimée ! En termes très diplomatiques, de
Villepin poursuit : le projet de route de la soie « est une vision
politique qui induit les pays européens à renouveler le dialogue avec des
partenaires du continent asiatique, permettant de forger, par exemple, des
projets souples avec la Russie, notamment pour trouver les fonds nécessaires
pour re-stabiliser l’Ukraine. Le lien entre l’Est et l’Ouest doit se
maintenir ». Mieux : « Nous avons là une vision économique qui
adapte la planification chinoise à la coopération économique internationale.
Dans un monde financièrement volatile et instable, il s’avère nécessaire
d’opter pour la bonne approche dans les projets à long terme, utilisant des
outils nouveaux, de type multilatéral ».
Le grand projet OBOR des
Chinois
La Chine envisage
l’émergence de six corridors économiques, à replacer dans un projet plus vaste,
baptisé OBOR (« One Belt, One Road » - soit « Une ceinture (maritime),
Une route »). Cet OBOR entend consolider une route maritime de la Chine à
l’Iran voire à la Mer Rouge et créer de solides liaisons ferroviaires entre
l’Europe et la Chine. Il vise surtout à relier la Chine à soixante pays. Les
six corridors majeurs sont : le CMREC ou Corridor économique Chine /
Mongolie / Russie ; le NELB ou « Nouveau Pont Terrestre
eurasien » (« New Eurasian Land Bridge ») ; le CCWAEC ou
Corridor économique Chine / Asie centrale et occidentale ; le CICPEC ou
Corridor économique Chine / Péninsule indochinoise ; le CPEC ou Corridor
économique Chine / Pakistan ; et, enfin, le BCIMEC ou Corridor économique
Bengladesh / Chine / Inde / Myanmar. A ces projets chinois, tous nécessaires
d’un point de vue asiatique, s’ajoute celui du « Canal Eurasia »,
élaboré par les Russes et les Kazakhs. Ce canal doit relier la Caspienne à la
Mer d’Azov (face à la Crimée !), permettant notamment d’acheminer du brut
vers la Mer Noire donc vers les confins orientaux de l’Europe. L’enjeu
ukrainien/criméen prend ici toute son ampleur.
De Marx à List
Ces projets, dont on
pourrait dresser une longue liste, démontrent que les puissances du BRICS, du
moins la Chine et la Russie, ne sont plus guère affectées, comme jadis, par
l’idéologie prêtée à Marx et à Engels mais tentent d’appliquer ou de
ré-appliquer les principes pragmatiques de l’économiste Friedrich List
(1789-1846). Ce dernier était considéré comme un « libéral » mais, à
coup sûr, un libéral « hétérodoxe », soucieux de tenir compte des
contextes historiques dans lesquels se déployait l’économie. List était un
idéologue du développement. Pour qu’une économie puisse se développer à un
rythme correct, l’Etat ne doit nullement jouer un rôle de « veilleur de
nuit », à l’instar de ce que souhaitent les théoriciens libéraux
anglo-saxons. Au contraire, List pose l’Etat comme une instance constructrice,
investisseuse. L’Etat est là pour construire des lignes de chemin de fer et des
canaux. C’est List qui planifiera le premier réseau ferroviaire allemand, au
sein du Zollverein, de l’Union
douanière, dont il fut aussi un père fondateur. En Belgique et aux Etats-Unis,
il préconisera le creusement de canaux. En France, il inspirera les praticiens
de la « colonisation intérieure ». L’idée du Transsibérien en Russie,
les suggestions pratiques des économistes et ingénieurs du Kuo Min Tang chinois
s’inspirent toutes d’idées dérivées de List, après sa mort. La politique des
grands projets gaulliens est « listienne », de même que le sont les
pratiques chinoises, après la parenthèse maoïste et le ressac dû à la
tristement célèbre « révolution culturelle » des années 1960. A
partir de Deng Xiaoping, la Chine redevient « listienne » et
« confucéenne » : c’est à cette double mutation de référence
qu’elle doit son succès actuel. Ce serait à un retour à Aristote et à List que
l’Europe pourrait devoir son hypothétique renaissance, du moins si l’avenir
permettra l’élimination impitoyable des pseudo-élites déchues et abjectes qui
nous gouvernent actuellement, exactement comme la Chine maoïste a éliminé sa
« bande des quatre », pour ne pas sombrer dans les délires manichéens
et idéologiques, dans un remake de la
calamiteuse « éthique de conviction » de la « révolution
culturelle » et de ses avatars malsains.
Le
clivage dans le monde ne passe plus par la dichotomie capitalisme / communisme
ni par la piètre distinction entre sociétés ouvertes et sociétés fermées mais
par une dichotomie entre « listiens » et néolibéraux qui recoupe
aussi la distinction qu’opérait Max Weber entre « éthique de la conviction »
et « éthique de la responsabilité ». Les néolibéraux, et le cortège à
la Jérôme Bosch que constituent leurs alliés festivistes, gauchistes ou
féministes, adhèrent à des éthiques farfelues de la conviction. Leurs
adversaires les plus sérieux à une éthique « listienne » de la
responsabilité.
L’Allemagne dans ce grand
jeu eurasien
Les projets chinois
séduisent les Allemands. Ce n’est ni nouveau ni étonnant. Le moteur économique
de l’Europe participe aux synergies suggérées par Beijing, en tire de substantiels
bénéfices que la délirante « juridification » de la sphère économique
tente de réduire par l’artifice de procès farfelus comme celui intenté contre
Volkswagen en 2015. Est-ce la raison pour laquelle on tente de faire basculer l’Allemagne
de Merkel dans le chaos, en lui imposant des flots d’hères inassimilables,
flanqués d’activistes formés au terrorisme et à d’autres formes de guerres de
la « quatrième génération », qui n’y produisent que du désordre et de
la violence ?
Jusqu’ici, l’Allemagne avait
réussi à desserrer la cangue américaine en se branchant sur les gazoducs russes,
dont la gestion a été placée sous le patronage et l’impulsion des anciens chanceliers
Helmut Schmidt et Gerhard Schröder. Leur socialisme, pragmatique et non
idéologique, « listien » et wébérien, conjuguait ses efforts pour
parfaire une diplomatie de l’apaisement, une Ostpolitik fructueuse. Ces efforts avaient abouti aux accords
permettant, à terme, de construire le tracé des gazoducs « North
Stream 1 & 2 », accentuant certes la dépendance allemande par rapport
au gaz russe mais déconstruisant simultanément son extrême dépendance politique
face au système atlantiste, tandis que le « South Stream » alimente
l’Italie, l’Autriche et la Hongrie (où Orban refuse les sanctions contre la
Russie, sur fond d’un revival marginal
de l’idéologie eurasiste en pays magyar).
Hans Kundnani, dans un
article magistral de la revue américaine Foreign
Affairs (janvier-février 2015), évoque une « Allemagne
post-occidentale », c’est-à-dire une Allemagne qui se serait détachée de
ses liens avec l’Occident anglo-saxon, de sa Westbindung, pour se mouvoir vers un espace essentiellement
industriel, commercial et énergétique dont les pôles majeurs seraient la Russie
et la Chine voire l’Inde. Pour la première fois dans l’histoire de la
République Fédérale, une minorité de 45% seulement est encore en faveur du
statu quo pro-occidental, impliquant l’adhésion à l’OTAN et/ou à l’UE comme
seules possibilités diplomatiques. 49% des Allemands contemporains sont
désormais en faveur d’une « position médiatrice », où l’Allemagne
équilibrerait le jeu de ses relations entre l’Europe occidentale et la Russie.
C’est le résultat tangible d’un anti-américanisme qui s’est sans cesse amplifié
depuis la guerre du Golfe, déclenchée par Bush junior en 2003 et depuis les
révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage systématique pratiqué par la NSA.
Les liens commerciaux avec la Russie et la Chine se sont considérablement
accrus, accroissement qui permettait, jusqu’il y a peu de temps, le maintien de
l’opulence allemande, assorti de l’espoir de voir celle-ci se consolider et se
perpétuer. Ce lent glissement de l’Allemagne, cœur industriel et territorial du
sous-continent européen, vers un Est eurasien très vaste, explique sans nul
doute les attaques qu’elle subit depuis le printemps 2015. Par ailleurs, des
stratégistes de l’ombre veillent à créer un espace pro-occidental, agité ou non
de turbulences, entre l’Allemagne et la Russie que l’on baptisera pompeusement « Intermarium ».
Cet « Intermarium », cet entre-deux-mers entre la Baltique et la Mer
Noire, est la ré-activation d’un projet concocté à Londres pendant la seconde
guerre mondiale par les gouvernements polonais et tchèque en exil, avec la
bénédiction de Churchill, que l’alliance avec Staline avait rendu nul et non
avenu : on a sacrifié, à Londres, les velléités d’indépendance polonaises
et tchèques pour pouvoir exploiter à fond la chair à canon soviétique. Moscou
ne voulait pas de ce bloc polono-tchèque, même à un moment où la guerre contre
l’Allemagne hitlérienne atteignait un paroxysme inégalé.
Du « Cordon sanitaire »
de Lord Curzon à l’Intermarium
Même si l’on peut considérer
que ce projet d’un Intermarium n’est
pas, a priori, une mauvaise idée en soi, qu’il est une application actuelle de
projets géopolitiques très anciens, visant toujours à relier les mers du nord à
celles du sud parce l’Europe, petite presqu’île à l’ouest de la très grande
Eurasie, est géographiquement constituée de trois axes nord/sud : celui
qui va de la Mer du Nord au bassin occidental de la Méditerranée (l’espace
lotharingien du partage de Verdun en 843), celui envisagé mais non réalisé au
moyen-âge par le roi de Bohème Ottokar II Premysl qui va de la Baltique à
l’Adriatique (de Stettin à Venise ou Trieste, cités aujourd’hui reliées par une
voie de chemin de fer directe et rapide) et, enfin, l’axe dit
« gothique », reliant depuis les Goths, bousculés par les Huns, la
Baltique à la Mer Noire et à l’Egée, au bassin oriental de la Méditerranée. Aujourd’hui,
les stratégistes ennemis de toute vigueur européenne et de toute synergie euro-russe,
veulent constituer un Intermarium,
sur l’ancien axe gothique, qui serait une résurrection du « cordon
sanitaire » de Lord Curzon, destiné à empêcher toute influence de
l’Allemagne et de ses dynamismes sur la Russie, posée depuis le géopolitologue
Halford John Mackinder comme le « cœur du monde » mais un « cœur
de monde » qui ne peut être optimalement activé que par une forte
injection d’énergie allemande. Toute alliance germano-russe étant, dans cette
optique, considérée comme irrémédiablement invincible, invincibilité qu’il faut
toujours combattre et réduire à néant, avant même qu’elle n’émerge sur la scène
internationale.
La submersion démographique
que subit l’Allemagne depuis les derniers mois de l’année 2015, qui provoquera
des troubles civils et ruinera le système social exemplaire de la République
Fédérale, qui compte déjà plus de 12 millions de pauvres, a été plus que
probablement téléguidée depuis certaines officines de subversion :
plusieurs observateurs ont ainsi constaté que les nouvelles alarmantes sur la
présence de migrants délinquants en Allemagne viennent de serveurs basés aux
Etats-Unis ou en Angleterre, de même que les tweets ou autres messages sur
Facebook incitant les migrants à commettre des déprédations ou des viols ou,
inversement, incitant les Allemands à manifester contre la submersion
démographique ou contre la Chancelière Merkel. Le conflit civil semble être
fabriqué de toutes pièces, avec, au milieu du flot des réfugiés, l’armée de
réserve du système, composée de djihadistes qui combattent le régime baathiste
syrien ou le pouvoir chiite irakien ou l’armée russe en Tchétchénie mais se
recyclent en Europe pour déborder les polices des Etats de l’UE en menant la
guerre planétaire selon d’autres méthodes.
Spykman, les
« rimlands » et l’endiguement
Si la submersion de
l’Allemagne a pour but essentiel de briser les potentialités immenses d’un
tandem germano-russe, elle vise aussi, bien sûr, à ruiner les bonnes relations
économiques entre l’Allemagne et la Chine, d’autant plus que les chemins de fer
allemands, la Deutsche Bundesbahn, sont
partie prenante dans la construction des voies de trains à grande vitesse entre
Hambourg et Shanghai. L’Allemagne et, partant, les pays du Benelux, sont
fortement dépendants du commerce avec la Chine. Le but de l’hegemon est donc de briser à tout prix
ces synergies et ces convergences. Affirmer cela n’est pas l’expression d’un
complotisme découlant d’une mentalité obsidionale mais bel et bien un constat,
tiré d’une analyse de l’histoire contemporaine : la réalisation du
Transsibérien russe sous l’impulsion du ministre Witte a entraîné la
théorisation et la mise en pratique de la stratégie de l’endiguement par
Halford John Mackinder d’abord, par son disciple hollando-américain Nicholas
Spykman ensuite. Sans Mackinder et Spykman, les Etats-Unis n’auraient sans
doute jamais élaboré leur géostratégie planétaire visant à rassembler des
alliances hétéroclites, parfois composées d’ennemis héréditaires, sur les
franges du grand continent eurasien, avec l’OTAN de l’Islande à la frontière
perse, le CENTO du Bosphore à l’Indus et l’OTASE en Asie du Sud-Est.
Finalement, ces stratégies
de l’endiguement sont une application de la fameuse « Doctrine de
Monroe », dite de « l’Amérique aux Américains ». Derrière cette apparente
revendication d’indépendance se camouflait une volonté de soumettre totalement
l’Amérique ibérique au bon vouloir des Etats-Unis. Mais elle s’opposait aussi à
la terrible menace qu’aurait pu faire peser sur le continent américain une
Sainte-Alliance européenne inébranlable qui s’étendait de l’Atlantique Nord au
Pacifique, puisque l’empire du Tsar Alexandre Ier en faisait partie. Cette
Sainte-Alliance aurait parfaitement pu défendre les intérêts espagnols dans les
Amériques ou les européaniser. A l’époque, la Russie avait une frontière
commune avec l’Espagne en… Californie, à hauteur du poste russe de Fort Ross,
abandonné seulement en 1842. Le Vieux Monde européen était uni –mais cette
union n’allait durer qu’une petite quinzaine d’années- tandis que le Nouveau
Monde américain était fragmenté. La Sainte-Alliance, pour le Nouveau Monde et
pour les Etats-Unis, encore en gestation mais sûrs de pouvoir mener à terme une
mission civilisatrice déduite de leur idéologie religieuse puritaine, constituait
par voie de conséquence un double danger : celui de perpétuer le
morcellement politique du Nouveau Monde au bénéfice de l’Euro-Russie et celui
de se maintenir comme une unité indissoluble et de contrôler le monde pour le
très long terme.
« Doctrine de
Monroe » et pratique de la table rase
La « Doctrine de
Monroe » est donc un rejet de l’Europe et des vieilles civilisations qu’elle
représentait, de même qu’un rejet malsain et pervers de toute civilisation
ancienne, quelle qu’elle soit, et, surtout, de toute grande profondeur
temporelle : là, les délires puritains des sectes protestantes farfelues
hostiles à la culture classique gréco-latine de l’Europe catholique ou même
anglicane-élisabéthaine, rejoignait les folies de certains avatars incontrôlés
de l’idéologie des Lumières. La conjonction de ces deux formes de folie et de
nuisance idéologique, qui sévit toujours aujourd’hui, génère un fantasme
criminel de destruction systématique d’acquis positifs et de legs historiques.
La « Doctrine de
Monroe », bien davantage que les socialismes messianiques qui pointaient à
l’horizon avec la maturation des idées de Karl Marx, est donc une pratique
perverse et sournoise de la table rase que tente de parachever de nos jours le
néolibéralisme, né aux Etats-Unis à partir de la fin des années 1960 : toute démarche eurasiste constitue donc une
révolte contre ce projet d’arasement total, représente une défense des vieilles
civilisations, des traditions primordiales, et une revendication du primat de
toute profondeur temporelle par rapport à des innovations-élucubrations
inventées par des iconoclastes avides de pouvoir absolu, un pouvoir total qui
ne peut s’exercer que sur des masses amorphes et amnésiques.
Face aux avatars actualisés
de la « Doctrine de Monroe », qui est passée d’une défense affichée
de l’autonomie des Etats américains et des Etats créoles de l’Amérique ibérique
à la volonté de contrôler les rives atlantiques et pacifiques qui font face à
la bi-océanité étatsunienne, l’eurasisme
bien compris vise, au contraire, à éradiquer les blocages et fermetures que
génèrent les pratiques géopolitiques et la pactomanie américaines sur le
continent eurasien, d’abord en Europe et en Asie. Ce rejet des verrouillages
incapacitants induit tout naturellement la promotion volontaire d’une politique
grande-continentale d’ouvertures rationnelles aux flux qui vivifient et ont
jadis vivifié les territoires eurasiatiques.
Ce volontarisme eurasiste
réduit à néant le discours stratégique né de la distinction opérée par Karl
Popper entre sociétés ouvertes et sociétés fermées, où les Etats-Unis se posent
comme les promoteurs et les garants des « sociétés ouvertes », tout
en pratiquant des fermetures calamiteuses dues à la pactomanie qu’ils pratiquent
sur les rimlands eurasiens de
l’Europe à l’Indochine. A l’Eurasie des fermetures, produit de la Guerre
Froide, doit succéder une Eurasie des communications sans entraves entre
l’Europe et la Chine : le monde réellement fermé est donc celui qu’ont
établi les tenants de la « société ouverte » (de Popper et de Soros),
tandis que l’Eurasie des communications ouvertes est le fait en gestation de
ceux qui sont accusés, dans les médias dominants, d’être les adeptes des
« sociétés fermées », d’hégélienne ou de marxienne mémoires. Sur
cette contradiction flagrante, mais ignorée délibérément dans les discours
médiatiques occidentaux, reposent toutes les ambigüités de la propagande, tout
le flou incapacitant dans lequel marinent nos décideurs et nos concitoyens.
Trois ouvertures historiques
Trois ouvertures historiques
en Eurasie doivent nous servir de modèles : l’Empire de Kubilaï Khan,
visité par Marco Polo, qui ne s’opposait pas à la libre circulation des biens,
des caravanes et des idées, contrairement aux verrouillages seldjouk et
ottoman ; les rapports espérés entre la Chine et l’Europe quand le jésuite
Ferdinand Verbist exerçait son haut mandarinat en Chine au XVIIe siècle ;
l’alliance informelle sous Louis XVI entre la France, l’Autriche et la Russie,
où la première veillait à contrôler l’Atlantique Nord, les seconde et troisième
à faire sauter le verrou ottoman. A ces trois modèles, il convient d’ajouter la
notion de syncrétisme religieux, porté par une volonté de ne rien éradiquer,
d’opérer des fusions fécondes et de générer de l’harmonie : c’était la
préoccupation principale d’Alexandre Ier après les tumultes révolutionnaires et
napoléoniens ; c’est la notion de « djadidisme » qui prévaut
aujourd’hui dans l’islam de la Fédération de Russie, notamment au Tatarstan où
se situe le grand centre spirituel de Kazan ; le djadidisme s’interdit de
chercher querelle avec les autres confessions, contrairement aux formes
diverses et pernicieuses qu’un certain islam a prises ailleurs dans le monde, soit
le salafisme, le wahhabisme ou le mouvement des Frères musulmans, formes virulentes
aujourd’hui en Occident et génératrices à court terme de graves conflits civils ;
ces formes inacceptables ont cherché à s’implanter en Russie, à partir de la
période de « smuta » que fut le premier gouvernement d’Eltsine :
elles ont échoué ; ce n’est qu’à Kazan et au Tatarstan qu’un véritable
« euro-islam » s’est constitué ; il n’y en a pas d’autres
possibles et les constructions boiteuses d’un Tarik Ramadan, dont les
prédécesseurs et collatéraux ont été financés et soutenus par les services
américains, ne sont que des déguisements maladroits pour gruger les Occidentaux
écervelés. Outre la volonté de convergence religieuse du Tsar Alexandre Ier,
outre le syncrétisme centre-asiatique promu en Asie centrale au temps de la
domination mongole, outre le djadidisme actuel de la Fédération de Russie, nous
ne voyons guère d’autres filons religieux traditionnels qui tiennent vraiment
compte de la profondeur temporelle voire immémoriale, nécessaire à
l’établissement de véritables ferveurs structurantes, indispensables pour
contrer les déliquescences du monde moderne. L’ouverture des communications, le
rejet des véritables sociétés fermées par les intransigeances occidentales ou
wahhabites/salafistes implique l’émergence d’un syncrétisme harmonisateur qui ne
raisonne pas par exclusion (« ou bien… ou bien… ») mais par inclusion
(« et… et… »).
Quelques mots sur l’Inde
Ma démonstration, ici, que
j’annonçais d’emblée « succincte » et incomplète, ne peut donc
prétendre à l’exhaustivité. Mais elle ne saurait omettre d’évoquer l’Inde dans
ce survol des convergences eurasiatiques. Depuis son indépendance en 1947,
l’Inde est traditionnellement alliée à la Russie, hostile à la Chine, contre
laquelle elle a mené une guerre sur les hauteurs de l’Himalaya. La volonté de
convergence eurasiatique s’occupe de gommer ce conflit. Les régions
himalayennes contestées permettraient, une fois pacifiées, un passage entre
l’Inde et les territoires anciennement soviétiques et entre l’Inde et la Chine.
L’affaire se corse parce que la Chine, du temps de son conflit avec l’Inde,
avait soutenu le Pakistan pour obtenir un port sur l’Océan Indien et des voies
de communications entre ces installations portuaires avec la région chinoise de
Kachgar, via le tracé en montagne dit de « Karakoroum », partant
d’Islamabad pour rejoindre le poste-frontière d’Aliabad au Cachemire. Le gros
problème est que l’Inde revendique cette partie du Cachemire pour avoir un lien
avec le Tadjikistan ex-soviétique. Par ailleurs, comme le soulignent deux historiens
insignes des faits indiens, le Britannique Ian Morris et l’Indien Pankaj
Mishra, l’Inde souhaite consolider la cohésion du commerce entre le Golfe et la
Mer Rouge d’une part, le Golfe du Bengale et les eaux de l’Asie du Sud-Est,
d’autre part. L’objectif géopolitique de l’Inde est d’affirmer sa présence dans
l’Océan Indien, surtout dans l’archipel d’Andaman et dans les Iles Nicobar,
face aux côtes thaïlandaises. Cette volonté entend créer un chapelet de relais
entre la Mer Rouge et l’Insulinde, le même que celui voulu par la Chine, qui le
prolongerait jusqu’à ses propres ports du Pacifique, ce qui explique le conflit
actuel pour les îles et îlots, naturels ou artificiels, dans la Mer de Chine du
Sud. La consolidation de ce chapelet de
relais maritimes, sans possibilité de le couper ou de le fragmenter, rendrait à
l’ensemble des Etats d’Eurasie une autonomie commerciale et navale sur son
flanc sud, tandis que la Russie rétablirait les communications par l’Arctique,
de Hambourg au Japon. Une Egypte militaire, débarrassée du danger que
représentent les Frères musulmans et les autres adversaires des syncrétismes
féconds, ouvrirait, par Suez, l’espace méditerranéen au commerce eurasien,
réalisant du même coup le vœu des Génois et des Vénitiens de notre moyen-âge, tout
en isolant la Turquie, du moins si cette dernière entend encore jouer le rôle
d’un verrou et non pas d’un pont, comme le souhaitent les Chinois qui leur
proposent la construction, entre l’Iran et l’Egée, d’un chemin de fer les liant
tout à la fois à l’Asie et à l’Europe. Erdogan se trouve devant un choix :
abandonner les « otâneries » et les sottises fondamentalistes ou
renouer avec un laïcisme et un syncrétisme turcs qui n’apporteraient que des
bienfaits.
La Chine, le chapelet de
relais et l’Océan Pacifique
La consolidation du chapelet
de relais maritimes de Cadix à Shanghai permettrait à l’Europe, à son centre
germanique et à la Russie de se projeter vers le Pacifique, impératif
géopolitique qu’avaient compris des hommes aussi différents que Louis XVI, La
Pérouse, Lord Kitchener et Karl Haushofer. Kitchener prévoyait, dans une
conversation avec Haushofer, que les puissances européennes (Royaume-Uni
compris !) qui n’auraient pas de bases solides dans le Pacifique, seraient
irrémédiablement condamnées au déclin. Haushofer avait tiré la conclusion
suivante : l’Allemagne, présente dans les Mariannes, suite au retrait
espagnol, avait des chances ce consolider ses positions mais, dans la foulée,
rencontrait automatiquement l’hostilité des Etats-Unis qui cherchaient -depuis 1848, date à laquelle ils acquièrent
l’atout géostratégique majeur de la bi-océanité- à dominer le marché chinois, quantitativement
le plus important à l’époque, comme de nos jours. Le destin a décidé qu’après
la rétrocession des Mariannes à Tokyo par l’Allemagne au Traité de Versailles
de 1919, la lutte pour le Pacifique se déroulerait entre un Japon, agrandi de
cette immense Micronésie, et les Etats-Unis, maîtres des Philippines depuis
leur victoire sur l’Espagne en 1898. La seconde guerre mondiale donnera aux
Etats-Unis la maîtrise absolue du Pacifique, atout qui scelle leur hégémonisme
planétaire. Aujourd’hui, le télescopage géopolitique ne s’effectue pas entre
une puissance européenne présente au centre du Pacifique (comme le furent successivement
l’Espagne puis l’Allemagne de Guillaume II) ou le Japon shintoïste et les
Etats-Unis, mais entre les Etats-Unis et la Chine, où cette dernière est endiguée
par une chaîne de petites puissances (Japon vaincu en 1945 compris) entièrement
contrôlées par le système des alliances américaines. Cette chaîne vise à
empêcher la Chine de s’élancer vers le large et à doter les Etats-Unis des
bases insulaires nécessaires pour harceler, le cas échéant, les convois et
l’acheminement d’hydrocarbures vers les ports du littoral pacifique chinois,
pour rendre précaire cette ligne vitale de communications maritimes.
Chine : double
stratégie maritime et continentale
L’application de cette
stratégie de harcèlement en Mer de Chine du Sud pourra soit étouffer la Chine
soit épuiser les Etats-Unis (où le taux de pauvreté augmente dangereusement).
La Chine avait jadis deux stratégies possibles : une stratégie
continentale, d’expansion vers le Tibet et le Turkestan/Sinkiang, qui ne
dérangeait pas les Américains puisqu’elle inquiétait les Soviétiques. Ou une
stratégie maritime, à laquelle le maoïsme avait renoncé, permettant, à partir
de 1972, de nouer une alliance informelle avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, la
Chine cherche à échapper à son endiguement par une double stratégie : à la
fois continentale, vers le Kazakhstan et au-delà, par le truchement de chemins
de fer trans-asiatiques, et maritime, par la consolidation d’un chapelet de
relais dans le Pacifique et l’Océan Indien, dans la mesure du possible en
harmonie avec son concurrent potentiel, l’Inde. L’Europe, centrée sur
l’Allemagne, et, partant, le tandem euro-russe ont donc intérêt à assurer des
projections sans obstacles vers l’Inde et la Chine, tout en évitant qu’une
puissance comme le Japon continue à faire partie de la barrière maritime
américaine. Or le Japon se débat de nos jours, coincé qu’il est dans le
dilemme suivant : éviter l’absorption par la Chine, ce qui serait
humiliant, eu égard aux conflits sino-japonais depuis 1895 et éviter
l’inféodation perpétuelle à une puissance étrangère à l’espace asiatique comme
les Etats-Unis. Attiser les contentieux sino-japonais va dans le sens des
intérêts de l’hegemon. Harmoniser les rapports futurs entre le
Céleste Empire et l’Empire du Soleil Levant est une tâche des cénacles
eurasistes partout dans le monde.
La pacification des rapports
entre toutes les composantes de la masse continentale eurasiste (flanquée du
Japon) permettra l’avènement de ce que Jean Parvulesco appelait l’
« Empire eurasiatique de la Fin », dans toute son acception
eschatologique. Cela signifie-t-il une « fin de l’histoire », un peu
comme celle qu’avait envisagée Francis Fukuyama au moment de l’effondrement du
système soviétique et de la plongée de la Russie dans la « smuta »
eltsinienne ? Non, Fukuyama a déjà été réfuté par les faits :
l’histoire ne s’est pas arrêtée, bien au contraire, elle s’est accélérée. Cet
« Empire eurasiatique de la Fin » signifierait essentiellement la fin
des divisions rédhibitoires, des interventions belligènes potentielles,
inutiles et néfastes que déploraient Carl Schmitt ou Otto Hoetzsch. Ce serait
le retour définitif de l’alliance informelle du XVIIIe siècle ou, enfin, un
retour de la Sainte-Alliance, de l’Atlantique au Pacifique.
Douze pistes pour une
« pax eurasiatica »
J’emprunte ma conclusion au
géopolitologue italien Alfonso Piscitelli qui suggère une douzaine de pistes
pour aboutir à cette pax eurasiatica :
1. Ne
jamais renoncer à la coopération énergétique, ce qui signifie poursuivre envers
et contre tout la politique des gazoducs North et South Stream, selon les
modalités fixées par l’ancien Chancelier allemand Gerhard Schröder.
2. Re-nationaliser
les sources énergétiques pour les soustraire aux fluctuations erratiques d’un
libéralisme mal conçu.
3. Parier
sur les BRICS et s’acheminer progressivement vers un « Euro-BRICS ».
4. Viser
des continuités politiques sur un plus long terme en généralisant les régimes
présidentiels, façon gaullienne, avec élection directe du Président comme en
France et en Russie, assorti d’un re-dimensionnement des pouvoirs non élus (des
potestates indirectae, des pouvoirs
indirects, dont la nuisance a été soulignée par Carl Schmitt). Le but final est
un retour à une sorte de « monarchie populaire ».
5. Proposer
un islam modéré, calqué sur le djadidisme soviétique, russe et tatar,
compatible, dans le monde arabe, avec des régimes militaires et civils détachés
des extrémismes religieux, comme ce fut le cas dans l’Egypte nassérienne, dans
l’Iran du Shah, dans la Libye de Khadafi et dans les régimes baathistes de
Syrie et d’Irak. Toute pensée politique exprimée par les musulmans des diasporas
doit s’inspirer de ces formes de panarabisme, de personnalisme baathiste, de
kémalisme ou de valorisation de la chose militaire et non plus de délires
salafistes ou wahhabites qui n’ont apporté que le chaos et la misère dans le
monde arabo-musulman.
6. Favoriser
l’intégration militaire de l’Europe, puis de l’Europe et de la Russie et, enfin
de l’Euro-Russie et des BRICS, le tout évidemment hors de cette structure
vermoulue qu’est l’OTAN qui ne peut conduire qu’au ressac européen, comme on
l’observe très nettement aujourd’hui.
7. Plaider
pour un monde multipolaire contre l’unipolarité voulue par Washington, selon
les axes conceptuels mis au point par les équipes eurasistes russe autour
d’Alexandre Douguine, Natella Speranskaya et Leonid Savin.
8. Travailler
à une réglementation positive des migrations, comme l’ont préconisé le
Président Poutine dans son discours à la Douma, le 4 février 2013, et Philippe
Migault, quand il a plaidé pour une entente euro-russe en Méditerranée, sur
fond du triple enjeu grec, syrien et cypriote.
9. Favoriser
une politique familiale traditionnelle comme en Russie pour pallier le ressac
démographique européen.
10. Entamer
un dialogue culturel inter-européen qui inclut les linéaments de la pensée
organique russe, comme l’avaient souhaité des figures allemandes comme
l’éditeur Eugen Diederichs dès la fin du XIXe siècle ou le Prof. Otto Hoetzsch,
grand artisan d’un réel dialogue germano-russe ou euro-russe de l’ère
wilhelminienne à Weimar et de Weimar à l’ère nationale-socialiste, malgré
l’hostilité du régime en place.
11. Entamer
un dialogue entre civilisations et grandes traditions religieuses, comme le
voulait le Tsar Alexandre Ier et selon certains axes préconisés par les leaders
religieux iraniens, comme le Président Rohani.
12. Revenir
à l’idée universelle romaine. L’eurasisme est un projet impérial, pan-impérial,
qui est une actualisation des pouvoirs impériaux romain (et donc byzantin,
allemand et russe), perse et chinois.
J’ajouterai à cette douzaine
de pistes une treizième, celle qui doit déboucher sur une dé-dollarisation
définitive de l’économie mondiale. Quelques initiatives, surtout au départ des
BRICS, ont déjà marqué des points dans ce sens.
Pour réaliser ce programme
suggéré par Alfonso Piscitelli, il convient évidemment d’éviter deux
écueils :
1. Présenter
ces pistes sous la forme d’un discours d’excité, truffé de rêveries ridicules,
risquant de faire interpréter toute démarche eurasiste comme un irréalisme
extrémiste, lequel serait automatiquement discrédité dans les médias.
2. Eviter
les polémiques gratuites contre les autres sujets de l’histoire
européenne : pas de russophobie ou de germanophobie anachroniques, pas de
sinophobie rappelant les discours sur le « péril jaune », etc. Et pas
davantage de discours anti-grecs, sous prétexte que la Grèce aurait mal gérée
ses finances, ou de discours hispanophobes, prenant le relais des
« légendes noires » colportées contre l’Espagne impériale par les
protestants dès la XVIe siècle.
Vous constaterez qu’il y a
un immense chantier devant nous. Au travail !
Robert Steuckers,
Forest-Flotzenberg, septembre
2015, février 2016.
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