Sommet de l’OTAN et sommet
Trump/Poutine : que faut-il en penser ?
Par Robert Steuckers
Script de l'entretien d'aujourd'hui accordé à Channel 5 (Moscou), sous la houlette d'Alexandra Lusnikova
Le sommet de l’OTAN qui se tient
aujourd’hui, 11 juillet 2018, et se poursuivra demain à Bruxelles, aura pour
point principal à son ordre du jour la volonté affichée par Donald Trump d’obtenir
de ses partenaires, plutôt de ses vassaux, européens ce qu’il appelle un « Fair
Share », c’est-à-dire une participation financière accrue des petites
puissances européennes dans le budget de l’OTAN. Pour Trump, les pays européens
consacrent trop d’argent au « welfare » et pas assez à leurs armées. C’est
une antienne que l’on entend depuis belle lurette de la part de tous les ténors
américains de l’atlantisme. Ceux-ci veulent que tous les pays européens
consacrent au moins 2% de leur PNB à la chose militaire. Les Etats-Unis,
engagés sur de multiples fronts de belligérance, consacrent 3,58% de leur PIB à
leurs dépenses militaires. En Europe, la Grèce (qui craint surtout son voisin
turc et doit sécuriser les îles de l’archipel égéen), le Royaume-Uni, la
Pologne, l’Estonie et la Roumanie dépassent ces 2% exigés par Trump. La France consacre
1,79% à ses forces armées ; l’Allemagne 1,22%. Evidemment, ces 1,22% du
PIB allemand sont largement supérieurs aux 2% consacrés par des pays moins
riches. Malgré les 3,58% dépensés par les Etats-Unis,
précisons toutefois que ce budget, certes énorme, est en constante diminution depuis
quelques années.
L’exigence américaine se heurte à
plusieurs réalités : d’abord, les Etats-Unis ont sans cesse, depuis la
création de l’OTAN, empêché les pays européens de développer leurs aviations
militaires, en mettant des bâtons dans les roues de Dassault, de Saab, de Fiat,
etc. et en interdisant la renaissance des usines aéronautiques allemandes. Si l’Europe
avait reçu de son « suzerain » le droit de développer ses propres
usines aéronautiques, ses budgets militaires, même réduits en apparence, auraient
permis de consolider sérieusement ses armées, tout en créant des emplois de
qualité sur le marché du travail ; ensuite, certains chiffres parlent pour eux-mêmes : si l’on
additionne les budgets militaires des principales puissances européennes de l’OTAN
(Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne), ceux-ci dépassent de loin le
budget de la Russie, posée comme « ennemi majeur ». Le bugdet de l’OTAN,
Etats-Unis compris, est donc pharamineux.
Bon nombre de voix estiment que cette
problématique de « Fair Share » est le rideau de fumée qui masque le
problème réel: celui de la guerre commerciale larvée entre l’Europe et
les Etats-Unis. Le but réel de Trump et du « Deep State » américain
est de réduire les importations européennes (et chinoises) vers les Etats-Unis.
Le but de Trump, louable pour un Président des Etats-Unis, est de remettre l’industrie
américaine sur pied, de manière à débarrasser la société américaine des affres
qu’a laissées la désindustrialisation du pays. Pour Trump, mais aussi pour ses
prédécesseurs, l’UE imposerait des barrières, en dépit de ses crédos
néolibéraux, qui empêcheraient les Etats-Unis d’exporter sans freins leurs
produits finis en Europe, comme ils le faisaient dans les deux décennies qui
ont immédiatement suivi la seconde guerre mondiale. L’UE est un problème pour l’élite
financière américaine, tout simplement parce qu’elle est largement (bien qu’incomplètement)
autarcique. Trump estime que, dans les relations commerciales bilatérales, les
pertes américaines, par manque à gagner, s'élèveraient à 151 milliards de dollars. Le déficit
commercial entre l’UE et les Etats-Unis serait actuellement de 91 milliards de
dollars, au détriment de Washington.
Autre point à l’agenda : les
efforts qui vont devoir, selon l’OTAN, être déployés pour que la Géorgie puisse
adhérer le plus rapidement possible à l’Alliance Atlantique. Dans l’ordre du
jour du sommet d’aujourd’hui et de demain, ici à Bruxelles, la question
géorgienne est évidemment le thème le plus intéressant à analyser. La stratégie
habituelle des puissances maritimes, l’Angleterre au 19ième siècle
et puis les Etats-Unis qui prennent son relais, est de contrôler les bras de
mer ou les mers intérieures qui s’enfoncent le plus profondément à l’intérieur
de la masse continentale eurasienne et africaine. L’historien des stratégies
navales anglaises depuis le 17ième siècle, l’Amiral américain Mahan,
s’intéressait déjà à la maîtrise de la Méditerranée où l’US Navy avait commis
sa première intervention contre les pirates de Tripolitaine à la fin du 18ième
siècle. Halford John Mackinder retrace aussi, dans ses principaux traités de
géopolitique, l’histoire de la maîtrise anglaise de la Méditerranée. Dans le
cadre des accords Sykes-Picot et de la Déclaration Balfour, les Anglais
protestants, en imaginant être un « peuple biblique », accordent,
contre l’avis de leurs compatriotes et contemporains conservateurs, un foyer en
Palestine pour les émigrants de confession mosaïque. Le but, que reconnaissait
pleinement le penseur sioniste Max Nordau, était de faire de cette entité juive
la gardienne surarmée du Canal de Suez au bénéfice de l’Empire britannique et de créer un
Etat-tampon entre l’Egypte et l’actuelle Turquie afin que l’Empire ottoman ne
se ressoude jamais. Les guerres récentes dans le Golfe Persique participent d’une
même stratégie de contrôle des mers intérieures. Aujourd’hui, les événements d’Ukraine
et la volonté d’inclure la Géorgie dans le dispositif de l’OTAN, visent à
parachever l’œuvre de Sykes et de Balfour en installant, cette fois au fond de
la Mer Noire, un Etat, militairement consolidé, à la disposition des thalassocraties. Le fond du Golfe
Persique, le fond de la Méditerranée et le fond de la Mer Noire seraient ainsi
tous contrôlés au bénéfice de la politique globale atlantiste, contrôle qui
serait encore renforcé par quelques nouvelles bases dans la Caspienne. Je pense
vraiment que ce point à l’ordre du jour est bien plus important que les débats
autour du « Fair Share » et de la balance commerciale déficitaire des
Etats-Unis.
Le sommet Trump-Poutine
D’après maints observateurs, le sommet
prochain entre Trump et Poutine à Helsinki en Finlande aurait pour objet
principal de laisser la Syrie à la Russie, après les succès de l’armée
régulière syrienne sur le terrain. Reste à savoir si la Syrie, laissée à Assad,
sera une Syrie tronquée ou une Syrie entière, dans ses frontières d’avant l’horrible
guerre civile qu’elle a subi depuis 2011. L’objectif des Etats-Unis et d’Israël
semble être de vouloir tenir l’Iran, et son satellite le Hizbollah, hors de
Syrie. Poutine, apparemment, y consentirai et offre d’ores et déjà une
alternative à l’Iran qui, depuis les premiers empires perses de l’antiquité,
souhaite obtenir une façade sur la Méditerranée, directement ou indirectement par
tribus ou mouvements religieux interposés. Poutine offre à l’Iran la
possibilité d’emprunter une voie par la Caspienne (d’où l’intérêt récent des
Américains à avoir des bases dans cette mer intérieure et fermée), la Volga, le
Canal Volga/Don, le Don (par Rostov), la Mer d’Azov, l’isthme de Crimée et la
Mer Noire. L’Iran préfère évidemment la voie directe vers la Méditerranée,
celle qui passe par la Syrie et la partie chiite de l’Irak. Mais si l’Iran doit
renoncer à son fer de lance qu’est le Hizbollah, les Etats-Unis devraient
renoncer, en toute réciprocité, à soutenir des mouvements protestataires,
souvent farfelus, en Iran. Deuxième condition, pour que l’éviction hors de
Syrie de l’Iran soit crédible, il faudrait aussi expurger définitivement la
Syrie de toutes les séquelles du djihadisme salafiste ou wahhabite. Or, on
observe, ces derniers mois, que ces forces djihadistes sont alimentés voire
instruites au départ de la base américaine d’al-Tanf sur la frontière
syro-irakienne. Question à l’ordre du jour : les Etats-Unis vont-ils
quitter cette base terrestre entre la Méditerranée et le Golfe Persique ou y
rester, en tolérant des poches de résistance djihadiste qu’ils alimenteront au
gré de leurs intérêts ?
L’objectif des Russes, dans le cadre
syrien, est de sauver la viabilité économique du pays, de rouvrir les grands
axes de communication et de soustraire définitivement ceux-ci à toute forme de
guerre de basse intensité (low intensity
warfare), à toute stratégie lawrencienne modernisée. Pour y parvenir,
Poutine et Lavrov suggèreront sans nul doute le rétablissement d’une Syrie
souveraine dans ses frontières de 2011, ce qui implique de purger le pays de
toutes les formes de djihadisme, portées par les « Frères Musulmans »
ou par Daesh et de prier la Turquie d’évacuer les zones qu’elle occupe au Nord
du pays, le long de sa frontière. Le Hizbollah, lui, a toujours promis d’évacuer
les territoires syriens où il est présent, dès que les forces djihadistes sunnito-wahhabites en
auront été éliminées.
Force est de constater que le projet
russe correspond certes aux intérêts traditionnels de la Russie, tsariste,
soviétique ou poutinienne, mais aussi aux intérêts des puissances
ouest-européennes comme la France et l’Italie et même à une puissance
germano-centrée ou austro-centrée qui aurait retrouvé sa pleine souveraineté
dans le centre de la presqu’île européenne.
Le volet géorgien du sommet de l’OTAN
et les futurs échanges sur la Syrie et la présence iranienne en Syrie, entre
Trump et Poutine, me paraissent les enjeux les plus intéressants de l’actualité
qui se fait et se fera, aujourd’hui et demain, ici à Bruxelles.
Commentaires
Enregistrer un commentaire