Analyse: Europa, tome I, de Robert Steuckers
par Gwenaël CormEx: http://lesocle.hautetfort.com
Fruit d'un travail long de plusieurs années, Europa est
une trilogie consacrée à l'Europe, analysée sous l'angle géopolitique.
Porté par le temps et l'espace longs, le travail de Robert Steuckers a
pour ambition de fournir des solutions à son désenclavement. Tétanisée,
prise en étau entre une Asie inaccessible et une Amérique hégémonique,
l'Europe est également prisonnière de son univers mental, l’empêchant de
prendre conscience d'elle-même et inhibant tout réflexe de puissance ou
même de survie. Et comme nous l'explique Robert Steuckers, c'est
précisément la position précaire de l'Europe, petit promontoire à
l’extrême ouest du continent eurasiatique, qui façonna l'histoire de
l'Europe et la mentalité européenne.
Pour toute commande du volume:
https://editionsbios.fr/auteur/robert-steuckers
De la méditation de notre histoire et analysant les rapports de force animant le monde contemporain, Robert Steuckers recherche les pistes d'une renaissance européenne, tant culturelle que géopolitique et nous livre ici le résultats de ses réflexions. Europa est un plaidoyer civilisationnel comme il en existe encore trop peu aujourd'hui. De nos plus lointains ancêtres à la conquête de l'espace, l'esprit qui doit nous animer est contenu dans ces trois tomes dont le SOCLE vous livre à présent la critique positive.
De la méditation de notre histoire et analysant les rapports de force animant le monde contemporain, Robert Steuckers recherche les pistes d'une renaissance européenne, tant culturelle que géopolitique et nous livre ici le résultats de ses réflexions. Europa est un plaidoyer civilisationnel comme il en existe encore trop peu aujourd'hui. De nos plus lointains ancêtres à la conquête de l'espace, l'esprit qui doit nous animer est contenu dans ces trois tomes dont le SOCLE vous livre à présent la critique positive.
Par Gwendal Crom, pour le SOCLE
Selon
la formule consacrée, on ne présente plus Robert Steuckers. Aux côtés
d’Alain de Benoist, de Guillaume Faye et de Dominique Venner, Robert
Steuckers fait partie des piliers de la « Nouvelle Droite » dont le
mouvement identitaire dans son ensemble revendique aujourd’hui
l’héritage.
Après avoir participé à l’aventure du GRECE, Robert Steuckers va fonder Synergies européennes,
réorientant la pensée de la « Nouvelle Droite » vers la géopolitique et
cherchant à tisser de nouvelles solidarités à travers toute l’Europe.
Il
est donc deux sujets, deux préoccupations qui constituent le cœur de la
pensée de Robert Steuckers : l’Europe et la géopolitique. Deux sujets
qui en vérité n’en forment qu’un car comme l'auteur l’explique lors de
sa conférence lilloise du 9 mars 2019, l’Europe est une civilisation
politique, fortement déterminée par son environnement, climatique,
géographique certes, mais aussi humain. Les menaces qu’ont fait et font
toujours peser ses voisins sur l’Europe ont fortement modelé l’histoire,
la mentalité de nos peuples. C’est pourquoi Robert Steuckers nous en
averti d’emblée, penser l’Europe comme un isolat qui se limiterait à
l’actuelle Union Européenne est une grave erreur. Le plus grand des maux
dont a souffert l’Europe à travers l’histoire est son enclavement. S’il
ne fallait donc retenir qu’un seul terme à même de résumer l’ambition
pour l’Europe de Robert Steuckers, ce serait celui de
« désenclavement ». Car comme il le souligne, l’Europe a chaque fois été
en retrait, en position de faiblesse, lorsqu’elle était enclavée.
Rappelant les figures de Marco Polo et d’Ivan le terrible ou la
découverte de l’Amérique, Robert Steuckers nous montre que l’Europe ne
fut jamais grande que lorsqu’elle brisa cet enclavement. Comme nous le
verrons par la suite, l’Europe souffrira longtemps de ses divisions et
de ses égoïsmes. Sept siècles pour reconquérir totalement l’Espagne,
deux siècles entre la prise des Balkans par les Ottomans et la bataille
de Lépante. Et à chaque fois, une Europe dont les souverains
s’écharpent, se désintéressant du contrôle de la méditerranée,
abandonnant la Hongrie et Constantinople, complotant les uns contre les
autres (culminant dans l’ignominie avec l’alliance franco-turque de 1536
établie entre François 1er et Soliman le magnifique).
Au-delà des avertissements que nous livre la méditation de l’histoire et
que Robert Steuckers partage avec nous, l’auteur cherche donc les
pistes de notre désenclavement.
Europa
compile ainsi plusieurs dizaines de textes et d’interventions de Robert
Steuckers consacrés à l’histoire et la destiné de notre continent. Le
tout est divisé en trois tomes. Le premier, Valeurs et racines profondes de l’Europe,
se fixe pour but de lister les caractéristiques, les valeurs de
l’esprit européen nées durant l’Antiquité. Pour Robert Steuckers, il
s’agira donc pour tout travail métapolitique de revivifier ces valeurs
dans le cœur des Européens pour permettre leur renaissance et ainsi de
renouer avec la puissance. On ne manquera de remarquer ici que l’esprit
européen, à rebours de son enclavement géographique actuel, est comme
enclavé à l’extérieur. Il n’a pas su tel Ulysse revenir chez lui, à la
source qui l’a vue naître, condamné ainsi à vagabonder de par le monde,
s’extasiant sur ce qu’il n’est pas, se revendiquant de grands principes
et concepts désincarnés, impersonnels. Ainsi devons-nous revenir à
nous-mêmes pour repartir à l’assaut du monde. Non pour le dominer mais
pour que notre horizon, qu’il soit géopolitique ou mental cesse d’être
un mur.
Le second tome, appelé De l’Eurasie aux périphéries, une géopolitique continentale,
poursuit cette volonté de désenclavement. Conscient que ce sont les
grands espaces et les grands ensembles qui fondent la marche du monde et
les rapports de forces, Robert Steuckers en appelle à une grande
politique eurasiatique, prolongée par une démarche géopolitique
multipolaire bienveillante envers les espaces perse, indien et chinois.
Le troisième tome : L’Europe, un balcon sur le monde,
analyse en profondeur les grands ensembles civilisationnels auxquels
est confronté l’Europe. Des Balkans au Pacifique, ce tour du monde
historique et géopolitique est l’occasion pour le lecteur de prendre
conscience que l’Europe n’est qu’un sous-continent, à l’extrême-ouest du
continent eurasiatique, que le monde au-delà de ses marches (de plus en
plus mal défendues qui plus est) tourne et fait tourner des masses de
plus en plus grandes, qu’elles soient démographiques, économiques,
industrielles, scientifiques. Prendre conscience que derrière ce mur que
nous voulons abattre se trouve un monde (des mondes) auquel il faudra
être préparé.
La présente critique positive se concentrera sur le premier tome, dont le titre est nous le rappelons : Valeurs et racines profondes de l’Europe. Nous traiterons les deux tomes suivants lors de prochaines critiques positives.
Toute
la démarche de Robert Steuckers se fait sur le temps et l’espace longs.
Il s’agit de trouver les permanences qui permettent de penser le
présent, non pour vouloir répéter à l’identique les gestes et les
situations d’autrefois mais pour trouver l’inspiration, les exemples
permettant de se confronter au monde comme nos ancêtres surent le faire.
Et comme nous l’avions dit en introduction de cette critique positive,
pour Robert Steuckers, les valeurs européennes sont en grande partie
d’essence (géo) politique, façonnées, dictées par ses environnements
interne comme externe. Ainsi le rappelle l’auteur page 15 : « L’identité
géopolitique européenne est donc ce combat plurimillénaire pour des
frontières stables et « membrées », pour le libre passage vers le cœur
de l’Eurasie, qu’avait réclamé Urbain II à Clermont-Ferrand en prêchant
la première croisade. L’identité culturelle européenne est cette culture
militaire, cet art de la chevalerie, hérités des héros de l’ère
avestique. L’identité culturelle européenne est cette volonté
d’organiser l’espace, l’ager des Romains, de lui imprégner une marque définitive. Mais aujourd’hui, où en est-on ? Quelle est notre situation objective ? ».
Nous
parlons de géopolitique, donc de rapport de forces, donc de grands
espaces. La notion d’empire est donc centrale pour comprendre la pensée
de Robert Steuckers et plus généralement la marche du monde. Cette
notion d’empire, fondamentale, trouvera son expression dans l’Empire
romain sous nos latitudes, avec l’empire sassanide parthe en Perse et
l’empire Gupta en Inde. Ces trois empires formant une chaîne de
l’Atlantique à l’océan indien, empire qui s’effondreront devant les
Huns, les Arabes, les Mongols et les Turcs. Effondrement qui privera
l’Europe d’accès à l’Asie comme durant le Moyen-âge et la Renaissance.
Mais
aujourd’hui, quid de la notion d’empire ? Elle est plus que jamais
d’actualité. Parler d’empire américain a un sens mais pas exactement
celui auquel on pourrait s’attendre. En effet, tels les Romains
autrefois, les Américains ont compris l’importance de contrôler les
grands axes de communications et les centres névralgiques avec entre
autres les Balkans et le Danube (nécessaires pour avoir accès à l’Asie).
Tels les Romains, la volonté des Américains se veut bien évidemment
hégémonique mais il n’en reste pas moins que de l’avis même de certains
hauts responsables américains, ce n’est pas aux Romains que les
Américains doivent être comparés mais bel et bien aux Mongols. Certains
s’étonneront de cette comparaison et pourtant… Page 7 peut-on ainsi
lire : « Brzezinski n’a pas hésité à dire que les Américains avaient
pour but d’imiter les Mongols : de consolider une hégémonie économique
et militaire sans gérer ni administrer le territoire, sans le mailler
correctement à la façon des Romains et des Parthes. L’Amérique a inventé
l’hégémonie irresponsable, alors que les trois grands empires
juxtaposés des Romains, des Parthes et des Gupta visaient à une
organisation optimale du territoire, une consolidation définitive, dont
les traces sont encore perceptibles aujourd’hui, même dans les provinces
les plus reculées de l’empire romain : le mur d’Hadrien, les thermes de
Bath, le tracé des villes de Timgad et de Lambèze en Afrique du Nord
sont autant de témoignages archéologiques de la volonté de marquer
durablement le territoire, de hisser peuples et tribus à un niveau de
civilisation élevé, de type urbain ou agricole mais toujours sédentaire.
Car cela aussi, c’est l’identité essentielle de l’Europe. La volonté
d’organiser, d’assurer une paix féconde et durable, demeure le modèle
impérial de l’Europe, un modèle qui est le contraire diamétral de ce que
proposent les Américains aujourd’hui, par la voix de Brzezinski. Rien
de tel du côté des Mongols, modèles des Américains aujourd’hui. Nulle
trace sur les territoires qu’ils ont soumis de merveilles
architecturales comme le pont du Gard. Nulle trace d’un urbanisme
paradigmatique. Nulle trace de routes. La dynamique nomade des tribus
hunniques, mongoles et turques n’aboutit à aucun ordre territorial
cohérent, même si elle vise une domination universelle. Elle ne propose
aucun « nomos » de la Terre. Et face à cette absence d’organisation
romaine ou parthe, Brzezinski se montre admiratif et écrit : « Seul
l’extraordinaire empire mongol approche notre définition de la puissance
mondiale ». »
Ainsi
l’Europe doit-elle revenir à la notion fondamentale d’empire et pouvoir
opposer un empire européen à l’empire américain « mongolomorphe ». Et
cela, pas uniquement pour des raisons de rapport de force. En effet,
seul un empire permettrait d’articuler les différentes composantes,
qu’elles soient culturelles ou politiques de l’Europe. Un empire étant
fondé par définition sur l’agglomération de plusieurs peuples, il serait
la solution au problème de transition politique dont ne savent plus
sortir les Européens, bloqué entre le fédéralisme sans Etat ni
gouvernement central de l’UE et le retour en arrière, abusivement appelé
souverainiste, que portent les mouvements populistes d’Europe. Comme
l’explique bien Gérard Dussouy dans Contre l’Europe de Bruxelles, fonder un Etat européen,
il n’existe point de souveraineté sans puissance. Et comme le rappelle
Robert Steuckers en ouverture du chapitre X : « L’horizon du politique,
de tout dynamisme politique constructif, n’est plus l’Etat-nation fermé,
qu’il soit centralisé ou fédéral, mais les limites géopolitiques du
continent européen ». L’empire européen donnerait à notre continent la
masse critique démographique, économique, industrielle et financière lui
permettant de renouer avec la puissance et donc la souveraineté. Un
empire européen articulé selon le principe de subsidiarité, un empire
empreint d’une véritable verticalité, incarné dans les peuples et
l’histoire de l’Europe.
Mais
vouloir la puissance pour la puissance serait une erreur, Robert
Steuckers nous le rappelle. Tout projet européen doit avoir pour horizon
le désenclavement de notre continent. Ainsi, voici pour l’auteur les
priorités que devrait se fixer un empire européen en termes
géopolitiques:
Reprendre le contrôle ou s’assurer un accès :
- Au Danube
- Au Caucase (avec la Russie)
- Au Cachemire (avec la Russie et l’Inde)
Faire refluer les puissances concurrentes :
- Dans les Balkans
- Sur le Danube (troupes américaines)
- A Chypre (expulsion des Turcs)
Et pour les mêmes raisons :
- Aider les Kurdes et les Arméniens contre les Turcs et leurs alliés
- Faire de l’Inde un partenaire privilégié en particulier dans sa lutte contre le Pakistan et son allié étasunien.
- Adopter une véritable politique spatiale (satellites) et maritime (tant d’un point de vue économique que militaire)
- Affirmer une véritable indépendance militaire
- Détricoter les archaïsmes de l’UE qui empêchent l’Europe de renouer avec la puissance
A
présent, penchons-nous sur les recommandations de Robert Steuckers en
termes d’organisation du pouvoir politique. Quelle forme devrait prendre
cet empire européen selon lui ?
Comme
dit précédemment, il s’agit pour Robert Steuckers d’alléger la
bureaucratie européenne et de recentrer le pouvoir européen sur les
missions pour lesquelles il sera plus compétent que les Etats seuls et
notamment l’armée, la diplomatie et la monnaie, trois leviers de
souveraineté fondamentaux permettant d’assurer l’indépendance de
l’Europe. Sur les autres tâches, ce doit être aux Etats ou aux régions
de décider. Subsidiarité encore une fois. Robert Steuckers nous parle
ici de ce qu’il appelle la conjonction « Unité législative – pluralité
administrative ». Et à ceux qui craindraient que les Etats d’Europe
perdent ainsi toute souveraineté, Robert Steuckers prend le cas de
l’Allemagne en exemple. En effet, si toute personne suivant un tant soit
peu la politique connait le Bundestag, la plupart ne savent que rarement ce qu’est le Bundesrat et son rôle dans la politique allemande. Si le Bundestag est le parlement fédéral qui exerce le pouvoir législatif et élit le chancelier fédéral, le Bundesrat constitue la chambre des régions (les fameux Länder). Toute initiative législative doit être présentée au Bundesrat avant de l’être devant le Bundestag. De plus, et c’est la chose la plus remarquable qu’il nous faut retenir, c’est que le Bundestag
a droit de veto absolu sur les propositions de législation relevant de
son autorité et dispose d’un veto suspensif sur tout autre type de
législation. Un tel mode de fonctionnement serait ici parfaitement
adapté à un Etat européen qui laissera le pouvoir aux Etats. Il s’agira
alors de garder le parlement européen actuel en tant que parlement
fédéral et de créer une chambre des nations qui, par le biais de la
majorité de ses membres, pourrait stopper toute loi qui ne serait pas
dans l’intérêt de l’ensemble des nations européennes. Un tel dispositif
parlementaire permettrait d’allier efficacité et respect des
souverainetés nationales tout en empêchant qu’une minorité de pays
bloquent l’ensemble de l’Europe. Car oui, le droit de veto serait
collectif et ne serait pas donné individuellement à chaque Etat. A
chacun d’être cohérent. Il n’existe pas de différence d’un point de vue
politique entre l’absence d’Europe et une Europe des nations qui
seraient totalement indépendantes les unes des autres.
Robert
Steuckers a bien conscience que dépasser les antagonismes nationaux,
les intérêts égoïstes de nos gouvernements sera long et difficile. La
pensée européenne elle aussi est enclavée, enclavée à l’intérieur de ses
nombreuses frontières qui sont autant les symboles de gloires passées
que d’un futur perclus. Beaucoup des nôtres sont encore incapables de
sortir du paradigme stato-national, confondent (sciemment ou non) Europe
et Union Européenne, Union Européenne et véritable gouvernement
européen. Beaucoup ne comprennent pas que le génie français par exemple
est ce qui permettait à notre chère nation de faire la différence face à
des adversaires à sa taille mais n’est en aucun cas ce qui donne à
David le pouvoir de terrasser Goliath. Beaucoup ne comprennent pas que
les recettes d’hier ne s’appliquent pas à demain. Seul notre
environnement et les capacités dont nous disposons peuvent dicter ce qui
nous sera possible d’accomplir comme le rang que nous pourrons
atteindre. Et donc de dicter la politique que nous devons mener pour
rester souverains. Ne seront souverains que des Européens, qu’ils soient
Français, Allemands, Lituaniens ou Italiens. Mais individuellement il
n’y aura pas de souveraineté pour eux et ils seront condamné à se mettre
sous la férule d’un des grands blocs qui domineront demain le monde
multipolaire qui se dessine sous nos yeux chaque jour un peu plus.
Une
fois un tel Etat mis en place donc, une fois qu’une véritable volonté
impériale animera l’Europe, quelles devront être les grandes décisions,
les grandes orientations qu’il devra prendre ?
Tout
d’abord, tout ce qui permettra d’assurer son indépendance. Cela
implique une armée puissante passant par le développement de son
industrie de l’armement et de l’Eurocorps qui permettra une sortie de
l’OTAN, une politique spatiale (y compris et surtout militaire) et
maritime ambitieuses, un aménagement du territoire, une indépendance
énergétique passant entre autres par une diversification des sources
d’énergie et un partenariat stratégique avec la Russie. Impériale,
l’Europe pourra à nouveau envisager la géopolitique avec un point de vue
plus pragmatique, à l’exemple de celui des Chinois, à rebours de
l’universalisme américain que suivent aujourd’hui les Européens. Page
244, Robert Steuckers rappelle les grands principes qu’appliquent encore
aujourd’hui les Chinois en matière de géopolitique :
«
- Aucune immixtion d’Etats tiers dans les affaires intérieures d’un autre Etat. Cela signifie que l’idéologie des droits de l’homme ne peut être utilisée pour susciter des conflits au sein d’un Etat tiers. Le général Löser qui, immédiatement avant la chute du mur, militait en Allemagne pour une neutralisation de la zone centre-européenne (Mitteleuropa), défendait des points de vue similaires ;
- Respect de la souveraineté des Etats existants ;
- Ne jamais agir pour ébranler les fondements sur lesquels reposaient les stabilités des Etats ;
- Continuer à travailler à la coexistence pacifique ;
- Garantir à chaque peuple la liberté de façonner à sa guise son propre système économique
»
En
termes économiques justemment, Robert Steuckers préconise d’abandonner
le libéralisme effréné pour un ordo-libéralisme où l’Etat européen
aurait toujours le dernier mot et dont l’inspiration générale serait
l’investissement plutôt que la spéculation. Toute politique économique
doit être un instrument de puissance comme le rappelle Robert Steuckers
qui cite le cas de Bruno Gollnisch qui (page 242) : « a proposé une
politique européenne selon trois axes : premièrement, soutenir Airbus,
afin de développer une industrie aéronautique européenne indépendante de
l’Amérique ; deuxièmement, développer « Aérospace » afin de doter
l’Europe d’un système satellitaire propre ; troisièmement, soutenir
toutes les recherches en matière énergétique afin de délivrer l’Europe
de la tutelle des consortia pétroliers dirigés par les Etats-Unis. Un
programme aussi clair constitue indubitablement un pas dans la bonne
direction ». Rien de bien étonnant de la part de cet homme politique car
celui qui fait sien le principe de souverainisme sera naturellement
amené à penser en termes européens.
Mais,
et c’est également ce qui doit être retenu de cet ouvrage, Robert
Steuckers appelle à faire l’Europe sur le savoir et la culture plutôt
que sur l’économie. Ne serait-ce que parce que les intérêts individuels
de chaque état européen ne convergent pas nécessairement. Robert
Steuckers nous assène une vérité que l’on serait bien en mal de croire
tant elle est paradoxale : les Européens d’aujourd’hui ont plus de mal à
communiquer que les Européens d’hier. Certes, nous avons intensifié nos
échanges économiques, bâti des géants industriels tels Airbus et
Ariane, certes nous avons mis en place de nombreux programmes d’échange
et de coopération dont l’un des plus emblématiques exemples est bien
évidemment Erasmus mais les Européens ayant perdu en substance, il nous
est bien difficile de partager quoi que ce soit de véritablement
profond. Il y a encore de cela quelques décennies, tous les Européens
éduqués avaient fait leurs humanités et avaient reçu l’enseignement du
grec et du latin. Le grec et le latin soit les deux langues mères de
notre civilisation. Aussi vrai qu’une langue offre un rapport spécifique
au monde (car l’on ne pense pas exactement de la même manière en
anglais ou en français, en allemand ou en espagnol) la connaissance de
ces langues impliquait nécessairement et également d’avoir lu les textes
qui les portaient. Et les jeunes Européens d’alors lisaient des poèmes
de la Rome antique, l’Iliade et l’Odyssée, les textes décrivant la vie
des Romains ou des Spartiates. Un imaginaire, une mémoire commune se
dessinaient alors, par-delà les différentes histoires nationales et les
antagonismes qui parfois nous séparaient. Et dans cet imaginaire et
cette mémoire surgissaient des exemples à suivre ! Qui aujourd’hui lit
encore De viris illustribus urbis Romae ?
Pour
Robert Steuckers (page 195) : « Pour sortir de ce paradoxe, de cette
impasse, l’Europe devrait pouvoir parier sur la culture, sur nos
universités, sur un retour aux racines communes de notre civilisation et
ensuite, dans un deuxième temps, se donner une arme militaire et
diplomatique commune pour s’imposer comme bloc sur la scène
internationale. Les fonctions juridiques-sacerdotales et
militaires-défensives sont plus à même de faire rapidement l’Europe, à
moindre frais et sans lourdeur administratives. La fonction appelée par
définition à gérer un divers sans cesse mouvant, soumis à des aléas
naturels, climatologiques, conjoncturels et circonstanciels : vouloir à
tout prix harmoniser et homogénéiser cette fonction est un véritable
travail de Sisyphe. Jamais on n’en viendra à bout. Les fonctions
juridiques-administratives, la défense et l’illustration d’un patrimoine
culturel à l’échelle d’une civilisation, l’écolage d’une caste de
diplomates capables de comprendre le destin global du continent,
l’élaboration d’un droit constitutionnel respectant les réalités locales
tout en s’inscrivant dans les traditions européennes de fédéralisme et
de subsidiarité, la formation d’officiers comprenant que les guerres
inter-européennes ne peuvent déboucher que sur des carnages inutiles, la
création d’une marine et d’un réseau de satellites militaires et civils
sont des tâches qui visent le long terme. Et qui peuvent susciter les
enthousiasmes mais non les mépris, car tout ce qui est procédurier et
administratif, trop simplement gestionnaire, suscite le mépris… »
Le
message est clair. Il faut sortir de l’administratif, du purement
technique, du monde de la norme et de la réglementation. Ce n’est pas
ainsi que l’on érige et que l’on préserve une civilisation. Ce n’est pas
ainsi que l’on peut partir à la conquête de soi et du monde. Il faut se
lancer dans de vastes politiques d’innovation, d’aménagement du
territoire, lever une armée pan-européenne dirigée par des officiers
conscient du monde tel qu’il est et non tel qu’il fut. Et pour emporter
l’adhésion des foules, pour que l’Europe enflamme enfin le cœur de ses
enfants, il faut miser toujours et encore sur la communication entre
eux, intensifier les échanges entre jeunes Européens, faire des agences
d’information européennes sur les sujets fondamentaux : économie,
géopolitique, recherche, etc. Tous les grands défis qui nous font face
doivent être traités sous l’angle européen car ces défis nous menacent
collectivement. Il faut enfin, et nous conclurons sur ce point,
réhabiliter l’homme politique. Car il ne faut pas tomber dans le piège
que nous tend l’ultralibéralisme. Celui-ci ayant désarmé la plupart de
nos représentants, les laissant sans pouvoir ni utilité, il serait
stupide d’en déduire (et c’est le but, conscient ou non, de l’idéologie
libérale) que l’homme politique est inutile par essence. Il faut, nous
dit Robert Steuckers, si nous voulons reprendre le pouvoir, remettre sur
un piédestal la figure de l’homme politique, incarnation de la
« vertu », non pas au sens moral mais au sens romain du terme.
C’est-à-dire, celle qui découle du vir, « l’homme mûr justement animé par la force physique et morale qui sied à un civis, à un citoyen romain, à un zoon politikon. »
Et cela ne se fera que par une éducation comme les jeunes Romains de
l’antiquité en recevaient. Une éducation centrée sur les humanités,
destinée à forger des citoyens, soient des hommes animés de courage
politique et prêt à servir la cité.
En
conclusion, que retenir ? Que tout est à rebâtir mais que rien ne
serait sans doute plus simple, plus naturellement réalisable que ce
grand projet d’empire européen auquel nous convie Robert Steuckers.
Prolongement historique et essentiel de notre continent, l’empire
européen nous permettra de reprendre le cours de l’histoire, de la faire
à nouveau plutôt que de la subir comme depuis maintenant plusieurs
décennies. Cette Europe aura pour tâche d’élever à la conscience
civilisationnel les jeunes Européens de demain et de se désenclaver à
l’Est par un partenariat stratégique avec la Russie et à l’ouest en
rejetant toute ingérence américaine. Ce monde multipolaire qui se lève
aujourd’hui fera une place aux nôtres s’il le mérite. A nous de cultiver
ce qui fit de nous ce que nous fûmes : des combattants, des chercheurs
de vérité, des artistes, des conquérants, des hommes de sciences, des
administrateurs hors-pairs, des poètes et des philosophes. A nous de
cultiver ces forces impérissables dans le cœur de tout bon Européen : la
grandeur et l’audace qui y mène.
Pour le SOCLE :
- Il nous faut un empire Européen. Subsidiariste, fédéral, enraciné, animé par une véritable politique de souveraineté.
- « Désenclavement » doit rester le maitre-mot de toute vision européenne de la puissance. L’Europe se condamne à la mort si elle ne parvient pas à briser les étaux américains et turcs, et à s’assurer un accès au reste du monde. L’Europe doit donc nouer des partenariats stratégiques, vitaux avec l’Inde, la Russie, l’Iran.
- Il faut prendre conscience que l’Europe est menacée sur tous les fronts par les USA et que l’UE même est un outil de désunion créé par les Américains.
- La volonté d’Europe ne date pas d’hier. Elle résulte d’une conscience aigüe d’appartenir à une civilisation commune et des menaces extérieures pesant sur elles. L’histoire montre que l’Europe a chaque fois chèrement payé ses divisions.
- Il faut refonder anthropologiquement l’Europe. Par le retour de la vertu au sens romain du terme, par l’apprentissage d’une culture non-universaliste commune (latin, grec autrefois), par les échanges entre Européens, par l’européanisation des problématiques économiques, politiques, scientifiques, etc. et en se protégeant de l’influence culturelle néfaste des USA. Nous devons repenser notre spécificité et la protéger.
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