Genève, 9 mars 2019 – Colloque de RESISTANCE
HELVETIQUE
Intervention de Robert Steuckers
Mesdames,
Mesdemoiselles, Messieurs, chers amis et camarades,
L’Europe,
le réveil ou la mort, tel est l’intitulé du colloque d’aujourd’hui. L’Europe
est, politiquement parlant, en dormition. Et en dormition profonde, alors que
de multiples dangers et menaces se
développent et s’amplifient, dangers et menaces qui sont autant de défis.
.
Il y a
le danger démographique, avec une
chute vertigineuse des natalités et un remplacement de population à une échelle
inouïe. Sur ce sujet, je ne vous apprends rien. Ce danger démographique est
assorti d’un basculement dans la multiculturalité
qui fait de toutes les sociétés ouest-européennes des sociétés composites donc
fragiles et déstabilisées en permanence, ruinant le principe antique, et
toujours valable, de la politique selon Aristote : une Cité est d’autant
plus harmonieuse et efficace qu’elle est homogène, qu’elle est gérée comme une
famille biologique, comme un vaste réseau ethnique, tissé par d’innombrables
liens de cousinage. Voilà pour l’idéal aristotélicien. Dans la pratique, en
revanche, nous assistons à l’installation de réseaux mafieux diasporiques, favorisés par les regroupements
familiaux et par la dissémination subséquente de communautés bien soudées dans
quelques grands pôles urbains répartis dans plusieurs pays européens : le
monde politique belge est tombé des nues, au cours de ces dernières semaines,
en découvrant les ramifications complexes d’un clan araméen-chaldéen de double
nationalité, turque au départ, belge à l’arrivée. Ces ramifications partaient
du trafic de cocaïne à la constitution d’agences immobilières et de
l’implantation de réseaux de bistrots à la vente de passeports, à la location
d’automobiles de luxe et à la corruption concussionnaire au sein de la
politique politicienne, le tout avec la bénédiction du prêtre de la communauté
qui, dans son presbytère, faisait dans le recel de marchandises illicites ou de
papiers compromettants.
Ce n’est
qu’un exemple parmi beaucoup d’autres et, paradoxe de plus sur la place de
Bruxelles, c’est la maison d’édition du parti néo-communiste qui dresse, dans
un ouvrage copieux, le bilan historique complet des communautés qui se sont
installées dans la capitale belge et européenne ; l’auteur clôture chaque
chapitre en décrivant les types de criminalité qu’elles pratiquent chacune. Ce
ne sont donc pas les populistes qui le disent mais ceux qui se proclament
« antifa ». Nous sommes bel et bien face à l’imposture du
vivre-ensemble car tout vivre-ensemble conduit inexorablement à juxtaposer, en
une même agglomération urbaine de bonnes dimensions, des réseaux diasporiques
d’économies parallèles, des formes nouvelles de criminalité, des trafics
illicites et non pas à rassembler, toutes ethnies confondues, les amoureux de
Victor Hugo dans les villes françaises ou de Goethe dans les villes allemandes.
Il y a
ensuite le danger du « figement
politique », tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Sur
le plan théorique, on nous prie, depuis plusieurs décennies, de vénérer un
« patriotisme constitutionnel » qui fait fi de toutes les
appartenances concrètes dont relevaient, dans les sociétés encore normales, les
ressortissants d’un peuple, quel qu’il soit. Tout doit être gommé, effacé des
mémoires, chez les autochtones comme chez les allochtones : les
traditions, la culture, l’inné ethnique, l’acquis historique, les institutions
nées des combats politiques pour ne laisser que des normes abstraites, posées
comme immuables, et que l’on ne pourra enfreindre sans risquer les foudres des
nouvelles inquisitions. En Allemagne, le politologue Hans Herbert von Arnim
vient d’établir un bilan précis de la partitocratie allemande, soit le système
qui a éloigné la sphère politicienne (car on ne peut plus parler de sphère
politique !) des citoyens, créant une bulle parasitaire qui échappe à
toutes les responsabilités réelles, combat tout challengeur potentiel, ruinant ainsi
la mobilité démocratique inscrite dans les principes mêmes de toute bonne
gouvernance, selon leur propre vulgate, s’entend. Le remède proposé par von
Arnim est celui du référendum, que vous connaissez en Suisse pour le pratiquer
à intervalles réguliers, et que réclament les Gilets Jaunes en France
aujourd’hui. Nous voyons là se dessiner une convergence entre contestataires
des désordres établis.
Le
référendum a pour vertu politique principale de briser les routines que
perpétuent les majorités ou les grandes coalitions qui, généralement, ne
résolvent rien et laissent pourrir les problèmes. Le référendum permet de
sauter au-delà des clivages gauche/droite ou majorité/opposition, au-delà des
projets de lois concoctés par les tenants de diverses idéologies politiciennes,
projets généralement loufoques et indécis que la « vox populi » peut
alors jeter aux orties en toute légalité. Le résultat d’un référendum équivaut
à une décision, à trancher sans tergiversations aucunes. Et, ainsi, à faire
avancer la Cité dans un sens bien précis, dépourvu de toute ambigüité.
La
partitocratie sans référendum conduit à l’absence de décisions claires en tous
domaines. Les régimes qui s’y complaisent ne sont pas politiques mais
impolitiques. Leur présence persistante dans la durée indique que la
souveraineté n’est pas entre leurs mains mais entre celles d’un hegemon
extérieur qui cherche, par ses propres décisions, à leur confisquer tout
pouvoir réel sur la marche du monde ou à les plonger durablement dans le
marasme.
Le
danger du « patriotisme constitutionnel », théorisé par le grand
gourou du système en Allemagne, Jürgen Habermas, est celui d’un état d’esprit
qui vénère la norme, et rien que la norme, et évacue la force, et même et
surtout la simple force des choses, écrit le politologue français d’origine
libanaise Zaki Laïdi. En évacuant toute force et toute simple force des choses,
le patriotisme constitutionnel, cher à Habermas et défendu avec jactance par
Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt, est un pur déni du réel, qui place
l’Europe dans un état de faiblesse très inquiétant, tout en interdisant les
remèdes, d’avance condamnés comme étant les expressions morbides du populisme,
nouveau croquemitaine des intellocrates et des médiacrates, au service de la
superclasse.
Il y a
ensuite le danger américain, danger
principal, qui est très divers dans ses manifestations mais dont je ne retiendrai
que deux aspects particulièrement pernicieux aujourd’hui : 1) l’espionnage
par satellites, patronné par la NSA, dénoncé naguère par Edward Snowden, et 2) l’usage
offensif du droit pour torpiller l’élan de firmes étrangères, principalement
européennes, à coups d’amendes pharamineuses et de sanctions vexatoires.
A la fin
des années 1990, les révélations d’un journaliste écossais, Duncan Campbell,
sur le système d’écoute ECHELON ont suscité quelques remous bien vite oubliés,
alors que le rapport rédigé par les autorités de l’UE précisait bien que
plusieurs entreprises de haute technologie en Europe, principalement en France
et en Allemagne, avaient littéralement été pompées et que tout le fruit de leur
R&D avait été exploité aux Etats-Unis puis largement commercialisé à un
coût très bas puisqu’il n’y avait pas eu d’investissement. En 2013, les
révélations du hacker Snowden, tout comme les fuites de Wikileaks diffusées par
Assange, ont fait le buzz pendant quelques semaines avant que la pause estivale
ne vienne recouvrir d’un pudique silence les rares voix qui s’étaient insurgées
contre ces pratiques indignes d’un allié. D’un allié ? Non ! Les
Etats-Unis n’ont plus d’alliés depuis la doctrine Clinton, élaborée pendant
l’un des mandats de ce président démocrate. Face aux Etats-Unis, selon cette
doctrine, il n’y a plus que des « alien
audiences » pour lesquelles on ne doit pas entretenir trop de
scrupules. Dont acte. L’UE et sa clique dirigeante n’ont pas bougé, n’ont pas
élaboré une politique de défense des entreprises européennes. J’espère que
l’histoire retiendra cette inactivité préjudiciable comme une haute trahison.
Après le
pompage des données sensibles de nos entreprises les plus performantes, qui se
poursuit allègrement, sans rencontrer ni critiques ni résistances, une nouvelle
arme a été sortie de la panoplie américaine : le droit. Depuis une dizaine
d’années, depuis la crise de 2008, de grandes entreprises européennes subissent
les foudres des procureurs du département de la Justice américaine et l’assaut
des agences de régulations financières. Elles sont accusées de violer les
embargos imposés à Cuba, à la Corée du Nord et surtout à l’Iran. Les amendes
qu’on leur inflige montent à des millions voire des milliards de dollars. Tour
à tour, Siemens, la banque ABN Amro, Technip, la BNP, Alstom, la Société
Générale, etc. ont été dans le collimateur ; ces multinationales
européennes figurent au top dix des plus lourdes sanctions imposées par
Washington, en attendant d’être rejointes demain par Airbus ou de passer sous
pavillon américain, écrit Ali Zaïdi, chercheur auprès de l’IRIS et spécialiste
des guerres économiques. Cette attaque systématique et continue contre nos
entreprises est le résultat de la doctrine Clinton, car, depuis qu’elle a été
énoncée, les Etats-Unis n’ont plus d’alliés mais se trouvent face à des
« cibles étrangères » qu’il convient de viser et de frapper quand
elles risquent de dépasser en ampleur leurs équivalentes américaines ou de
développer des technologies supérieures à celles créées par leurs concurrentes
d’Outre-Atlantique. Les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours
jumelles à New York ont servi de prétexte, sous Bush II, pour planétariser des
lois qui ne s’adressaient, jusqu’alors, qu’aux entreprises et aux citoyens
américains. Les terroristes wahhabites ont bon dos : l’action terroriste
spectaculaire qu’on leur attribue a permis de lancer une attaque systématique
contre le véritable ennemi européen, dont il faut, par la coercition juridique,
vassaliser les meilleures entreprises, surtout en Allemagne et en France.
La
véritable guerre est là. L’ennemi numéro un de Washington, c’est l’Europe. Une
Europe qui est tétanisée. En effet, au sein de l’UE, aucune majorité ne se
dessine pour contrecarrer la législation extraterritoriale américaine. Les
listes noires, établies à Washington, menacent les entreprises et leurs
dirigeants de geler leurs avoirs aux Etats-Unis et de leur interdire toutes
activités commerciales. L’Europe ne peut toutefois se passer du client iranien,
le désordre établi dans ce pays depuis la fin des années 1970, par les
agissements d’officines étrangères, ayant eu pour objectif stratégique de
briser tous les tandems économico-industriels que le Shah d’Iran avait promu comme
la coopération nucléaire avec la France et l’Allemagne, les importations
d’acier wallon en Iran, etc. La création délibérée de l’Iran khomeyniste a
servi à diaboliser le pays jusqu’à nos jours : l’objectif réel n’est donc
pas de lutter contre un fondamentalisme islamique et chiite, que l’on a créé et
soutenu dans un premier temps, mais de ruiner toute coopération
irano-européenne ; d’ailleurs, comment ne pas s’apercevoir de la
supercherie de cet anti-islamisme déployé contre Téhéran quand, par ailleurs,
les mêmes services ont utilisé les fondamentalistes wahhabites pour lancer
leurs guerres de basse intensité en Afghanistan, en Tchétchénie, au Daghestan,
en Syrie et au Yémen ?
Les
fausses élites eurocratiques savent parfaitement que la politique
anti-iranienne de Washington est en réalité une politique anti-européenne. Face
à la virulence de l’offensive juridique, en cours depuis une bonne dizaine
d’années, l’eurocratie vient timidement de contre-attaquer. En effet, le 25
septembre 2018, Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne,
annonce, en pleine assemblée générale des Nations Unies, que l’Europe a trouvé
une parade pour maintenir ses relations économiques avec l’Iran (Ali Laïdi, p.
309), en pratiquant une politique de transactions par troc ! Cette
solution évite d’utiliser des devises donc le dollar, permettant ainsi
d’échapper aux sanctions américaines. L’Iran échange son pétrole ou son gaz
contre des produits finis, selon un modèle préconisé par la « diplomatie
Goering » dans les années 1930, quand l’Allemagne achetait de la viande,
des céréales et des légumes frais aux pays d’Europe centrale et orientale, en
les troquant contre des machines ou des locomotives. Devant ce fait quasiment accompli,
Mike Pompeo a promis de se venger. Et il le fera, à coup sûr, au risque de
ruiner encore la réputation des Etats-Unis car, désormais, le rôle mondial du
dollar est bel et bien sapé : tous s’en éloignent. Ali Laïdi rappelle
quelques paroles étonnantes de Jean-Claude Juncker, tirées de son
« Discours sur l’état de l’Union » de 2018 : « Il est
aberrant que l’Europe règle 80% de sa facture d’importation d’énergie en
dollars américains alors que 2% seulement de nos importations d’énergie nous
proviennent des Etats-Unis. Il est aberrant que les compagnies européennes
achètent des avions européens en dollars et non pas en euros ». Ces
timides changements d’attitude et ces paroles qui sonnent enfin vrai ne sont
que l’amorce d’un combat qui est loin d’être terminé. Un combat que Juncker et
les siens ne mèneront évidemment pas et que nous devons, nous, préparer dès
maintenant.
Examinons
toutefois les contextes dans lesquels ce combat va se dérouler : celui de
la dette abyssale des Etats-Unis et celui de l’abandon progressif du dollar par
des puissances comme la Russie ou la Chine. Pour y voir clair, rien de tel que
les analyses de la dissidence américaine, plus lucide et clairvoyante que les
dissidences européennes, dont la nôtre, dans les domaines de la politique et de
l’économie internationales. Barbara Boland, sur l’excellent site « The American Conservative »,
constate que le Congrès américain admet que la différence négative entre la
dette et le PIB américain est aujourd’hui de 22.000 milliards de dollars. En
2000, cela faisait une différence de 33% ; en 2019, ils en sont à
78% ; en 2029, ce sera vraisemblablement 93%. Le déficit du budget fédéral
américain est de 900 milliards de dollars/an aujourd’hui ; à partir de
2022, il sera de 1000 milliards de dollars par an. Ce qui est alarmant, comme
partout dans la sphère occidentale, à laquelle nous ne nous identifions pas,
c’est qu’aucun débat sérieux sur les dettes et leurs effets pernicieux n’anime
plus les hémicycles parlementaires, y compris aux Etats-Unis où l’on discute du
« Medicare » pour tous (soit !), du Mur de Trump et de sa
justification morale ou, cerise sur le gâteau, du « Green New Deal »
d’Alexandra Ocasio-Cortez ! Or, le déficit américain est essentiellement
dû à l’hypertrophie impérialiste, aux immixtions incessantes commises dans des
pays étrangers, hors de l’espace continental américain, où les budgets suivants
ont été alloués l’an passé : 5,3 milliards pour Israël, l’Ukraine et la
Jordanie ; 3,4 milliards pour les réfugiés fuyant les zones de combat (une
augmentation de 74 millions par rapport à 2017) ; 4,4 milliards pour les
catastrophes au niveau international ; 8,83 milliards pour les
« Global Health Programs » ; 9 milliards pour la « Security
Assistance ».
Barbara
Boland note que ce ne sont pas les démocrates qui sont responsables de
l’explosion de cette dette pharamineuse. Sous Bush, la dette avait atteint
10.000 milliards de dollars ; avec Obama, elle culminait à 20.000
milliards. La spirale avait été amorcée par des Républicains, notamment par Reagan.
Cette
dette énorme est le talon d’Achille des Etats-Unis qui ne font rien pour la
juguler sous Trump. Chris Hedges, autre dissident américain, estime, quant à
lui, que l’accroissement de la dette sous Trump fait perdre toute confiance en
l’Amérique et induit les autres grandes puissances à abandonner le dollar, ce
qui aura pour corollaire de démanteler graduellement et tacitement les
alliances, tout comme les harcèlements judiciaires américains ont fait fléchir,
en septembre dernier, Juncker et
Mogherini, auparavant féaux sujets de l’hegemon,
incapables d’imaginer un monde où celui-ci aurait été autre qu’hégémonique.
La dette a des effets désastreux sur la politique intérieure américaine, ajoute
Chris Hedges, car elle entraîne une inflation difficilement maîtrisable qui ne
permet plus de financer les forces armées, dont le budget est colossal, comme
on le faisait auparavant. Chris Hedges annonce ainsi la fin d’une impérialité
de triple facture, athénienne, romaine et britannique, athénienne parce qu’elle
tablait sur des alliés fiables et fidélisés, romaine parce qu’elle dispersait
ses légions à bon escient aux endroits les plus stratégiques, britannique parce
qu’elle visait un « système omni-englobant » reposant sur la culture,
le commerce et les alliances.
Pour
Hedges, la fracture est née en 2003 quand Bush a refusé d’écouter ses
« alliés » européens. Elle sera confortée plus tard quand les
Etats-Unis rejetteront justement les accords avec l’Iran, en menaçant leurs
« alliés » de rétorsions s’ils persistaient à respecter ces accords
ou à passer outre les injonctions américaines. La Turquie, depuis lors, a
partiellement abandonné le dollar, l’Europe refuse de céder sur le gaz russe
amené par le gazoduc Nord Stream 2, la Russie a échangé un stock de 100
milliards de dollars pour des yuan chinois, des yens japonais et des euro,
l’Allemagne a demandé le retrait de son or de la « Federal Reserve » (300 tonnes), suivi par les Pays-Bas
(100 tonnes). La dette, la défiance générale par rapport au dollar, sonne le
glas du bellicisme néo-conservateur, incarné aujourd’hui par une nouvelle
génération de faucons comme Mike Pompeo, John Bolton et Elliott Abrams.
Hedges
base son analyse sur les travaux d’un historien anglais, Ronald Robinson, qui a
étudié les mécanismes qui ont entraîné la disparition progressive de l’impérialité
britannique. Celle-ci s’est effilochée quand elle n’a plus trouvé de
collaborateurs indigènes et que ceux-ci, notamment sous l’impulsion de Gandhi,
se sont mis à poursuivre des programmes autonomes. Pour ce qui concerne
l’actuelle impérialité américaine, la perte de confiance due à la dette
entraîne la perte de confiance dans les bons du trésor américain, même auprès
du gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney qui a déclaré :
« Nous avons désormais des devises de réserve autres que le dollar ».
Cette perte de confiance s’observe très nettement depuis 2004 déjà, où les
banques se sont appliquées à conserver moins de dollars dans leurs réserves. La
tendance s’est accentuée jusqu’en 2015 où moins de paiements en dollars ont été
effectués dans les transactions commerciales internationales. D’où la cote des
Etats-Unis sur le total du commerce mondial n’est plus que de 10%, alors
qu’elle dépassait les 50% dans l’immédiat après-guerre et au moment de la
Guerre de Corée.
Si rien
ne change, le période de 2020 à 2030 sera catastrophique pour l’hegemon : l’augmentation des prix
aux Etats-Unis ruinera encore davantage la pauvre classe moyenne, ou ce qu’il
en reste, car les salaires stagneront. Pour Hedges, le dollar cessera
définitivement d’être une monnaie de réserve mondiale vers 2030, obligeant le
Pentagone à retirer ses troupes de partout ; le tourisme américain ne sera
plus possible ni finançable pour les particuliers ; le recul de la
puissance sur terre entraînera un recul dans l’espace et dans le
« cyberspace », ce dont je doute et j’y reviens, provoquant sur le
territoire américain lui-même des conflits internes que Hedges ne définit pas
mais que les tenants de la fameuse « alt-right »
qualifieront de « raciaux », ce qui est l’hypothèse effectivement la
plus plausible.
Pourquoi
ai-je émis un doute quant au recul des Etats-Unis dans le domaine du
« cyberspace » ? Pour énoncer cette objection, je prends appui
sur un document rédigé par Jean-Claude Empereur, vice-président de la
« Convention pour l’Indépendance de l’Europe », un document qui a été
préalablement publié dans la « Revue
Politique et Parlementaire », dans son numéro d’avril-septembre 2018.
Pour Empereur, nous sommes aujourd’hui, à l’échelle planétaire, face au
« piège de Thucydide ». L’historien grec antique Thucydide, auteur de
« La guerre du Péloponnèse »,
avait émis un axiome de la pensée politique qui disait que les grandes guerres
se déclenchaient quand une puissance dominante était défiée par une puissance
émergente et que la puissance dominante ne sortait pas nécessairement victorieuse
du conflit ou en sortait en perdant des plumes.
Aujourd’hui,
le « piège de Thucydide » s’observe dans la confrontation
Chine/Etats-Unis, où la Chine est une puissance
tellurique et les Etats-Unis, facteur nouveau dans l’histoire, une puissance numérique. La Chine est
qualifiable de puissance tellurique parce qu’elle vise à organiser
territorialement le continent en créant de nouvelles voies terrestres ou des
voies maritimes littorales en Eurasie, qui rappellent les antiques
« routes de la soie ». Elle veut dont multiplier les infrastructures
physiques sur une vaste masse continentale. Tandis que les Etats-Unis, par leur
savoir-faire de pointe, veulent parfaire une puissance basée sur le virtuel,
sur le « Big Data ». Le défi chinois, face à l’hégémonie réelle et
actuelle des Etats-Unis, se matérialise surtout dans la tentative de se tailler
un créneau dans la sphère du numérique en tablant sur la 5G. Car tel est bien
le défi majeur. Je laisse aux spécialistes le soin d’expliquer en quoi consiste
matériellement ce bond en avant du numérique. Je me contenterai d’en évoquer
les retombées politiques. L’affaire Huawei, qui secoue aujourd’hui les
relations sino-américaines, est la première manche dans cette cyber-guerre que
mènent les deux protagonistes. La 5G, pour les Chinois, doit permettre de créer
la ville du futur, testée en Chine à Xiongan qui recevra ses premiers habitants
en 2020. La gestion numérique de cette ville, de cette smart city, devra servir de modèle aux acheteurs potentiels du
système ailleurs dans le monde ; Xiongan est située à quelque 100 km de
Beijing et est reliée à la capitale par un train à lévitation magnétique se
déplaçant à 200 km/h. Les Chinois avaient déjà mis beaucoup de choses remarquables
en œuvre pour la gestion des villes du futur et des aéroports tentaculaires des
prochaines décennies. Xiongan doit être le couronnement de ces recherches,
ponctuées désormais par la maîtrise de la 5G. L’exportation de ce modèle de
ville, à des coûts concurrentiels, pourrait rapporter à la Chine autant que la
maîtrise du numérique a rapporté aux Etats-Unis. Godfree Roberts écrit à ce
propos : « Les Etats-Unis considèrent Huawei comme étant ‘dangereuse
pour la sécurité’ parce que Huawei protège la confidentialité des
communications des usagers », installant ainsi un barrage assez efficace
contre toute intrusion des réseaux d’espionnage. La NSA a pourtant réussi à
pénétrer les serveurs de la société Huawei et ne doit guère craindre ce
bouclier vanté par les Chinois pour séduire les acheteurs de leurs produits,
déjà très nombreux en Europe. On le voit, la guerre est ouverte et ce que
craint Trump, par-dessus tout, c’est que les Etats-Unis accusent prochainement
un retard de dix ans sur la Chine, sur la 5G et les technologies associées.
Pire : ils se rendent compte que les Allemands, moteurs de l’Europe, ne
peuvent renoncer à Huawei sans risquer le suicide économique. Un tandem
sino-européen pointe à l’horizon, dont la Russie ne serait pas exclue. Une
dynamique eurasienne se dessine, cauchemar des thalassocraties anglaise hier et
américaine aujourd’hui.
Le sort
des cadres chinois de Huawei, poursuivis par la « justice » américaine,
laisse préfigurer le pire aux Européens qui transgresseraient les interdits
formulés par le Deep State américain.
Le récit que vient de nous livrer Frédéric Pierucci dans son livre intitulé « Le piège américain » est
affolant : ce cadre d’Alstom a été emprisonné pendant de longs mois aux
Etats-Unis pour faire chanter les dirigeants de l’entreprise française qui ont
fini par la céder à un consortium américain, avec toute la complaisance de
Macron.
L’Europe,
elle, est marginalisée par rapport à cet enjeu planétaire car elle n’a parié ni
sur les infrastructures terrestres ni sur des voies maritimes littorales ni sur
le numérique. Elle s’est voulue une « puissance de la norme » sans la
force, obsédée par l’institutionnel et le normatif, qui, pour tout lecteur de
Carl Schmitt, sont du vent, de la logorrhée, des vœux pieux, du « wishful thinking ». Le
normativisme est une idéologie qui privilégie exclusivement les formes figées
n’autorisant pas l’affrontement aux événements neufs, comme la révolution
numérique en cours ou, sur le plan des relations internationales, le passage de
la bipolarité de Yalta à l’unipolarité américano-centrée des années 1990, et de
celle-ci à la multipolarité des BRICS. Il est proprement impossible de
développer une stratégie, dans quelque domaine que ce soit, quand on adopte le
normativisme car celui-ci fige tout une fois pour toutes et considère que toute
action ou toute décision qui sortirait du cadre de la norme serait ipso facto une dangereuse transgression,
assimilable au mal absolu et historique qui aurait secoué l’Europe il y a
quatre-vingt ou septante ans. L’Europe de la norme sans force (Zaki Laïdi) donc
du politiquement correct s’interdit toute audace innovante au risque de plonger
toute sa population dans une régression calamiteuse. Inutile de vous préciser
qu’il est minuit moins cinq !
La
puissance numérique américaine repose donc sur une maîtrise ancienne des
technologies informatiques et numériques, sachant que, selon la loi de Moore,
la puissance des ordinateurs double tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Les
Etats-Unis ont donc bénéficié du développement exponentiel de leurs acquis en
ce domaine, permettant de vastes avancées dans l’automation ou, par exemple,
dans la nanotechnologie sans oublier les drones qui donnent de considérables
avantages aux armées sur le terrain. Le déploiement des atouts numériques en
sciences et en médecine est évidemment un acquis indispensable à tous les
peuples du monde mais c’est aussi, dans le domaine de l’information et des
médias, la possibilité de démultiplier l’impact du « soft power » américain, dont on connait déjà la
redoutable efficacité. Le numérique, ainsi, permet des manipulations
médiatiques à l’échelle planétaire comme l’atteste, par exemple, la
mobilisation tous azimuts pour le climat qui jette aujourd’hui nos enfants dans
les rues chaque jeudi pour des happenings saugrenus qui permettent surtout de
détourner l’attention des problèmes réels. Jean-Claude Empereur écrit :
« La puissance algorithmique d’un Etat devient ainsi un élément majeur de
son influence géopolitique », puissance algorithmique que les Etats-Unis
utilisent pour obtenir leur « full
spectrum dominance ». Le colbertisme américain fait que l’armée, la
défense, soutient toutes les initiatives de la Silicon Valley et des autres
géants américains du numérique. Les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Youtube,
etc.) réinvestissent leurs profits colossaux HORS du numérique : dans les
projets spatiaux, le transport, le nucléaire, si bien qu’au soft power, décrit jadis par Joseph Nye,
s’ajoute désormais un « digital
power », aux potentialités quasi infinies. C’est là qu’il ne faut pas
partager à 100% le pronostic de Hedges qui voit un recul des Etats-Unis dans le
cyberspace.
Le dôme
numérique américain surplombe donc le monde aujourd’hui, aplatissant la Terre,
effaçant, au besoin par la force, toutes les différences inscrites dans le sol
de la Terre au bénéfice de tout ce qui est « hors sol », dans le
« cloud » comme la thalassocratie de Roosevelt avait arasé les
résistances des adversaires des Etats-Unis. Cet arasement, vendu hier comme une
« libération », est vendu aujourd’hui comme l’avènement sans heurts
« d’un vivre-ensemble mondialisé, ignorant les rapports de force et les
conflits territoriaux », soit une « géopolitique numérique du
tendre » (« soft/smooth
numerical geopolitics »). L’Amérique, qui avait exprimé son
messianisme conquérant par un langage agressif du temps de Teddy Roosevelt, par
un langage presbytérien et hypocrite avec Wilson, vient d’inventer le
« messianisme bienveillant », et numérisé, un messianisme thérapeutique,
mais cette bienveillance, vous en conviendrez, n’est qu’un masque. Que les
cerveaux hardis de notre Europe en dormition ont pour mission d’arracher.
Face à
cette puissance numérique du tout-virtuel, du Big Data, du « hors sol » et du « cloud », la
Chine –et je le dis avec amertume parce que j’aurais voulu que ce fut notre
Europe qui le fasse- formule le projet
intéressant des « routes de la soie », propose ainsi une organisation
continentale, celle des géomètres romains, aurait dit Carl Schmitt, renoue avec
la pensée du développement chez Friedrich List, entend vertébrer le monde
plutôt que le fluidifier et le sublimer dans le « cloud ». Elle parie
pour le temps long. Face à cette tâche qu’elle aurait dû suggérer et
entreprendre elle-même, l’Europe, dit Empereur, « a souscrit béatement au
grand récit de la mondialisation heureuse et de la fin de l’histoire »,
annoncée au début des années 1990 par Francis Fukuyama. En souscrivant à ces
fables sans consistance, elle a évité ainsi la pensée du long terme, que
Chinois, sur le plan tellurique, et Américains, sur le plan numérique, ont
pourtant toujours eu en tête. Le présentisme obtus des Européens est une erreur
fatale. Ce « présent idéal », mais figé, correspondait peut-être à
des temps désormais révolus, ceux de la coexistence pacifique qui édulcorait la
guerre froide, ceux des Trente Glorieuses qui se sont muées en Trente Piteuses,
ou encore ceux de la perestroïka de
Gorbatchev. Or le monde est redevenu « normal », c’est-à-dire multipolaire et conflictuel, précise
Empereur. Voilà pourquoi un projet de
refondation est impératif pour l’UE, aujourd’hui, alors que les peuples
renâclent : les Européens, en effet, ont le sentiment diffus que leurs
institutions bruxelloises ne sont qu’un fatras technocratique oppressant qui
s’auto-justifie par une idéologie vertuiste, tissée de repentance et de
culpabilité. Les Européens, ajoute Empereur, « ne disposent ni de la
puissance numérique actuellement dominée par les Américains et sans doute
demain par les Chinois et sont coupés de toute profondeur stratégique non
seulement par leur situation géographique de petit cap de l’Asie mais aussi par
l’interdiction absolue qui leur est faite, par leurs alliés anglo-saxons, de
s’entendre avec la Russie dans une perspective eurasiatique. (…). Cette
stratégie d’interdiction géopolitique est totalement contraire aux intérêts
européens ». Pire : ces dernières semaines, à l’occasion de la
soixante-troisième conférence sur la sécurité à Munich, Mike Pence,
porte-paroles du gouvernement américain, a tenté de forcer Merkel à refuser et
à saborder le projet de gazoduc Nord Stream 2 et a déconseillé aux Européens de
commercer avec l’Iran. Macron prendra le relais en répétant les admonestations
de Pence, ruinant ainsi le binôme franco-allemand, reposant sur une volonté
d’émancipation européenne. Sans le gaz russe, l’Europe germanique et
bénéluxienne ne peut tout simplement pas survivre ; sans l’apport du
commerce iranien, l’Europe est condamnée à la stagnation et à ne disposer que
de fonds réduits pour ses « recherches et développements », alors que
ceux-ci sont urgentissimes pour rattraper ses retards dans le numérique et dans
d’autres domaines de pointe.
Pour
échapper à l’étau que Pence, à Munich, a menacé de faire fonctionner, Empereur
nous demande d’appuyer un projet de Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin
qui est une extension du projet suggéré en 2003 par Henri de Grossouvre,
c’est-dire non plus un Axe Paris-Berlin-Moscou mais un Axe Paris-Berlin-Moscou-Beijing
qu’ils définissent tous deux comme « conforme aux exigences de la
géographie ». Et Empereur conclut par ces paroles que je vous demande de
méditer quand vous sortirez de cette salle : « Puisse la réflexion sur les grands espaces l’emporter sur celles de la
gouvernance par les chiffres et les obsessions comptables d’une technocratie
sans vision ».
Cette
parole, qui conclut un article purement factuel sur l’affrontement
sino-américain, a une portée philosophique profonde que j’ai retrouvée dans un
long entretien que le philosophe Marcel Gauchet a accordé récemment au site
français « Les Crises ».
Pour Marcel Gauchet, -qui, dans cet
entretien, esquisse un bilan succinct, très didactique, visant
l’essentiel- la souveraineté, qui turlupine tant quelques
nationalistes français qui imaginent échapper aux désastres qui s’annoncent en
quittant l’UE, la souveraineté donc, dit Gauchet, est en baisse à tous les
niveaux en Europe, tant à celui des Etats nationaux qu’à celui de l’UE.
L’Europe, et chacun des Etats qui la compose, est anesthésiée : elle est
devenue, pour Gauchet, une entité a-politique et a-stratégique. Le politique,
au sens noble du terme, est évacué. La stratégie est absente. Or sans
« politique politique », disait Julien Freund, il n’y a pas de
souveraineté : rien que de la politicaille qui laisse tout aller, les
héritages comme les traditions, tel un chien crevé au fil de l’eau.
Les
dépenses militaires américaines, surtout après l’aventure vietnamienne et après
le projet de « guerre des étoiles » cher à Reagan, ont servi à lancer
une industrie numérique qui assure la domination américaine sur la planète
entière. Les Européens n’ont jamais eu le réflexe de coordonner leurs actions
pour être à l’avant-garde des innovations scientifiques et technologiques.
Face à
ce désastre, dont les effets se sont accumulés au fil des décennies, la riposte
« néo-nationaliste », dit Gauchet, est seulement
« affective ». En effet, on oppose à des faits évidents des affects
incapacitants qui dédoublent le danger, dans la mesure où ils n’entament en
rien la force de l’adversaire et où leurs actions risquent d’avoir un effet
retardateur, justement celui qu’escompte faire advenir l’ennemi pour freiner
nos élans. On ne répond pas à l’ennemi par des déclamations émotionnelles ou des
affects sans pertinence. De même, on ne réplique pas, dit Gauchet, par des
arguments relevant de la religion car le religieux, lui, est bel et bien
mobilisé par et pour la majorité morale aux Etats-Unis, par les
télé-évangélistes ou par les chrétiens sionistes. Pour Gauchet, nous sommes
face à une eschatologie politique, face à une théologie politique américaine
qui permet une forte mobilisation des électorats, puissance dont nous ne
disposons plus en Europe. Mais, j’ajouterai à l’argument pertinent de Gauchet
un élément qu’il ne cite pas : face à ce pandémonium
théologico-messianique américain, l’Europe ne se pose pas non plus comme le katechon qui va arrêter le déclin,
freiner la déliquescence et rétablir l’ordre traditionnel. Elle ne se donne
aucun rôle valorisant sur l’échiquier global. On peut poser la question :
Poutine, orthodoxe russe, est-il ce katechon ?
Je laisse la question ouverte car c’est là un autre débat, celui de la
théologie politique, thème extrêmement complexe.
Gauchet
constate aussi la « déstabilisation identitaire » qui frappe
principalement les pays d’Europe occidentale, Allemagne comprise. Les pays
d’Europe centrale et orientale, notamment la Pologne et la Hongrie, en sont
nettement moins affectés : les mésaventures très récentes d’Orban avec la
direction du PPE l’attestent à l’évidence. Cette « déstabilisation
identitaire », au cours de ces trois ou quatre dernières années, provient
essentiellement du flot d’arrivants venus de tous les horizons possibles et
imaginables, flot qui induit un processus de submersion démographique alarmant
auquel l’UE n’apporte aucune réponse car elle est un ensemble, dit Gauchet, qui
n’a aucun contrôle ni sur sa frontière sud ni sur son front intérieur, les
émeutes qui ont ravagé Grenoble, tout près d’ici, tout près de Genève, au cours
de la semaine écoulée en sont un exemple patent.
Cette
« déstabilisation identitaire » et ces turbulences inquiétantes sur
le front intérieur sont le fruit d’une absence totale de conscience politique,
que constate également Gauchet. Il nous dit : « L’UE ne sait
pratiquer qu’une POLITIQUE de la REGLE, alors que ce qui lui est demandé est
une POLITIQUE de l’EVENEMENT ». Toute politique de l’événement postule de
déployer méticuleusement une stratégie car une stratégie, explique Gauchet,
« permet d’anticiper les événements et de parer à toute
éventualité ». On retrouve là, en un langage plus serein et plus subtil,
les visions de Carl Schmitt et de Clausewitz. Pour Schmitt, le fétichisme de la
règle, ou de la norme, est un poison ankylosant qui ruine les Cités comme le
venin du cobra coagule le sang de ses proies. Pour Clausewitz, la stratégie
consiste à ne jamais rater une étape dans le développement des techniques
civiles et militaires qui procurent la puissance économique ou guerrière.
Ce
fétichisme de la règle, qui doit, selon les tenants du normativisme, s’imposer
envers et contre le réel, qui est par définition fluctuant, entraîne aussi la
haine de soi, l’oikophobie disent les
identitaires néerlandais, qui se traduit par une critique acerbe et injustifiée
des acquis de l’histoire européenne, répétée ad nauseam par les intellocrates mercenaires des médias et des
officines téléguidées par la NSA. L’idéal des normativistes étant défini une
fois pour toutes, tout recours à un passé différent ou tout projet de
refondation, populiste ou autre, sont tabou, doivent être effacés des mémoires
et des volontés, afin que l’on n’ait plus qu’une humanité de zombis amnésiques
et apathiques. Gauchet critique le « refus des intellectuels de tout
eurocentrisme » et ajoute : « les legs de notre histoire sont
tout-à-fait avouables ». Il y a donc urgente nécessité à « nouer un
rapport critique intelligent avec le passé ».
Gauchet
dénonce là le dernier danger que je voulais évoquer avec vous
aujourd’hui : le danger de
l’amnésie, de l’amnésie volontaire dans laquelle les normativistes nous
plongent parce qu’ils estiment avoir raison au-dessus du réel et parce qu’ils
ne veulent pas que des exemples du passé ressurgissent dans les mémoires, ou
s’y lovent, parce qu’ils seraient des reproches actifs et virulents face à
leurs manigances. Ma position personnelle est de ne pas arrêter la marche de
notre histoire, de ne pas étouffer le réel historique qui est notre socle
irremplaçable et doit nous servir de table d’orientation en permanence (la
« logique tacitiste ») ; en ce sens je suis peut-être plus
continuitaire qu’identitaire. Mais c’est là une coquetterie de vocabulaire.
Il me
reste à remercier les jeunes organisateurs de ce colloque genevois, qui, au nom
de la mobilisation totale, ont mobilisé les sexagénaires en ce jour pour leur
demander des recettes pour affronter ce que ce cher Guillaume Faye, qui vient,
hélas, de nous quitter définitivement, appelait la « convergence des
catastrophes ». L’impéritie des normativistes impolitiques a imposé aux
Européens la négligence de leur passé mais a aussi anesthésié leurs volontés
d’aller de l’avant, de chercher des alternatives à l’impasse où ils ont été enfermés.
Les tâches ardues qui attendent la nouvelle génération de combattants
politiques, en Suisse et, plus encore, ailleurs en Europe, seront immenses car
il s’agira de restaurer une souveraineté contre les agissements de forces
colossales, avec, à côté d’eux, un matériel humain, certes de notre souche,
mais profondément abîmé, zombifié par la permissivité et le festivisme qui ont
régné en Europe depuis un demi-siècle, où l’on a brisé sans pitié tous les
instruments traditionnels de la transmission.
Malgré
cela, je souhaite à tous de conserver un vibrant courage et je vous dis :
« A bientôt ! ».
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