Nieppe, 28 avril 2019 – Colloque de
« Synthèse Nationale »
Intervention de Robert Steuckers
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Chers amis et camarades,
Aujourd’hui, nous avons les élections
législatives espagnoles ; dans moins d’un mois, les élections européennes.
Très récemment, nous avons eu les législatives finlandaises qui ont fait du
parti des Finlandais la deuxième formation du pays, qui talonne les
sociaux-démocrates, généralement vainqueurs dans le grand Nord et cette fois
avec un écart de seulement 0,2% des voix (17,5% contre 17,7%). En septembre,
les sondages donnent l’AfD victorieuse en Saxe où s’effondrent le parti de
Merkel et les sociaux-démocrates. Le vent semble tourner en Europe et les
chances de Vox en Espagne sont réelles aujourd’hui, où l’on vote pour des
législatives anticipées. Nous verrons ce soir ce que ce scrutin donnera et s’il
y aura, ou non, dans les prochaines semaines, un gouvernement PP/Vox/Ciudadanos.
Mais ces diverses élections, à quoi pourraient-elles bien servir ? Quels
projets nouveaux et nécessaires devraient-elles promouvoir pour autant que les
élections apportent réellement du nouveau ? La nécessité, urgente
aujourd’hui, est l’émancipation de l’Europe qui doit échapper, coûte que coûte
si elle veut simplement survivre, à l’étau qui l’enserre, à l’étau qui est
formé par la politique du Deep State
américain et par les initiatives, en théorie privée, des multiples associations
et ONG patronnées par George Soros. Les élections italiennes, qui ont porté au
pouvoir et le populisme de droite de
la Lega de Salvini et le populisme de
gauche du « Mouvement Cinq Etoiles » de diMaio, semble être de bon
augure et les meilleures nouvelles, en ces temps moroses où les gilets jaunes
peinent à obtenir gain de cause, viennent assurément d’Italie.
Dans quel contexte, plus précisément, ces
espoirs de changement rapide se déploient-ils ? Le principal de ces
contextes a été, sans aucun doute, la 63ème Conférence sur la
Sécurité de Munich, tenue en février dernier dans la capitale bavaroise. Lors de cette conférence, où, généralement,
les participants ânonnent benoîtement les mots d’ordre de l’OTAN, les
dissonances entre les deux rives de l’Atlantique se sont fait bruyamment
entendre sur des points essentiels comme le gazoduc Nord Stream 2 et les
relations euro-iraniennes. Auparavant, l’alignement inconditionnel des
instances européennes sur les positions de l’OTAN (donc des Etats-Unis) faisait
dire au ministre russe Sergueï Lavrov que l’UE ne détenait pas le monopole de
la décision dans le modelage de ses propres affaires régionales et avait raté
toutes les occasions de construire réellement la « maison commune
européenne ». Pour le journaliste italien Lorenzo Lamperti, qui écrit pour
Affari italiani (www.affaritaliani.it ), l’Europe semble
avoir pris la voie de l’émancipation en n’acceptant pas la politique violemment
anti-iranienne de Washington et en créant, pour la contourner et la vider de
tout contenu articulable, l’instance baptisée « Instex », véhicule
financier destiné à commercer avec Téhéran selon les bonnes vieilles règles du
troc, sans passer par une monnaie d’échange donc sans passer par le dollar. La
volonté américaine de faire jouer le « droit » et la
« justice » pour punir tous ceux qui contourneraient les embargos qu’ils
imposent, surtout dans la question iranienne, a attiré les critiques de Lavrov,
véritable vedette à Munich, contrairement aux émissaires de Trump (Pompeo,
Pence et Bolton, trois « faucons », nouvelles moutures du
néo-conservatisme belliciste). Federica Mogherini a clairement affirmé que
l’Europe n’entendait pas se faire dicter une conduite dans l’affaire iranienne ni
s’aligner, ipso facto, sur les politiques bellicistes, dictées par les
Etats-Unis, d’Israël et surtout de l’Arabie Saoudite, à laquelle les Américains
s’apprêteraient à vendre des technologies nucléaires pour que l’épicentre du
wahhabisme se dote de l’arme atomique pour affronter l’Iran (à la place
d’Israël, qui conserverait son arsenal intact et échapperait à d’éventuelles
représailles perses ?). C’est, on le voit, dans le cadre de l’UE, le
retour, encore bien timide, de la géographie, donc de la géopolitique et de la
géo-économie. A Munich, l’Administration Trump avait exigé que les Européens
reprennent les quelque 800 prisonniers de l’Etat islamique faits en Syrie par
l’US Army et qu’en cas de refus, ceux-ci seraient libérés : les Allemands
ont sèchement répondu que c’était impossible. Dans le dossier très complexe et
très épineux de la 5G développée par la firme chinoise Huawei, les Européens,
surtout les Allemands, se montrent très réticents à annuler les projets qui
sont déjà en phase de réalisation. Pour les Etats-Unis, ne pas se laisser
distancer par les Chinois dans la technologie de la 5G est un impératif de
sécurité nationale, d’où les multiples interdits qui frappent la firme Huawei
et la mesure qui a permis l’arrestation d’une des cadres de la firme au Canada
récemment. La raison majeure de cette panique à Washington vient du fait que la
5G chinoise ne possède pas la « porte d’entrée » (le « backdoor ») permettant à la NSA de
s’y introduire, comme dans les appareils Samsung. Les appareils chinois et même
certains modèles d’Apple permettent en revanche aux services chinois d’y
accéder : l’Europe, qui n’a jamais misé sur ces technologies, se trouve
dès lors coincée entre les Etats-Unis et la Chine et soumise à leurs réseaux
d’espionnage, sans possibilité de répondre à ce défi et d’en contrer les
inconvénients.
Les menaces de Trump, d’imposer des
droits de douane aux automobiles européennes, ne sont pas passées à Munich en
février et l’UE s’apprête à prendre des contre-mesures. Trump, en adoptant une
intransigeance qu’il n’avait pas promis, bien au contraire, pour se faire
élire, a sabordé l’unanimité qui faisait la force, jusqu’ici, de l’alliance
transatlantique, contraire aux intérêts européens. L’Allemagne lorgne désormais
vers la Chine et vers le Japon : les ministres des affaires étrangères
allemand et chinois insistent sur le droit national des Etats européens et
asiatiques à pratiquer le multilatéralisme en commerce international. Quant à
l’Italie, elle s’est branchée sur les « routes de la Soie » et a
accepté que le port adriatique de Trieste, aujourd’hui encore souvenir des
splendeurs de la monarchie austro-hongroises, redevienne un port de la plus haute
importance en Méditerranée certes mais branché aussi et surtout sur l’Europe
centrale bavaroise, autrichienne et hongroise comme avant son annexion à
l’Italie. Trieste est relié à Stettin sur la Baltique par un chemin de fer
rapide, lien indispensable dans l’isthme du centre de l’Europe, ce qui
apportera encore davantage de cohérence géopolitique à l’ensemble européen. A
terme, Gènes s’y branchera aussi, entraînant la Suisse qui est son hinterland
naturel ainsi que la Provence, le Languedoc et la Catalogne. La société danoise
Maersk, spécialisée dans le transport par conteneurs vers la Chine est d’ores
et déjà présente sur la côte ligure, prête à lancer une synergie
balto-méditerranéenne, avec les ports d’Anvers, Rotterdam et Hambourg, le trio
portuaire nord-européen au passé hanséatique.
Pour l’observateur irlandais Finian
Cunningham, les tentatives de Macron, absent à Munich, de bidouiller un montage
institutionnel au sein de l’UE, pour freiner l’utilisation du gazoduc Nord
Stream 2, constitue un piètre expédient atlantiste que l’Allemagne, les pays du
Benelux, la Grèce et Chypre n’ont pas accepté, faute de devoir payer l’énergie
trop chère, tant pour les industries que pour les ménages. Cette tentative
maladroite et déraisonnable de torpiller l’approvisionnement énergétique de
l’Europe du Nord comme du Sud met en exergue les contradictions de la politique
européenne de Macron : d’une part, il se veut le champion du « couple
franco-allemand » mais, d’autre part, empêche son partenaire soi-disant
privilégié de s’approvisionner en énergie comme il l’entend, rendant
automatiquement caduques toutes les belles déclamations du nouveau traité
d’Aix-la-Chapelle qu’il a signé naguère avec Merkel sous les huées de gilets
jaunes allemands, français et wallons. Ensuite, Macron a promis d’être le
champion des « causes vertes » et de pratiquer des politiques
écologiques, où le gaz, moins polluant, devrait toujours être préféré au
nucléaire, au pétrole et au charbon. Une contradiction de plus et non des
moindres. Enfin, alors qu’il devrait se montrer soucieux de tarir le
mécontentement des gilets jaunes qui déstabilisent la France, il agit pour que
l’énergie soit plus chère, car éventuellement dérivée du gaz de schiste
américain, quand le peuple français se rebelle justement contre la hausse du
prix de l’essence. Plus sévère encore à l’endroit de la politique anti-gazière
de Macron est la géopolitologue française Caroline Galacteros :
« Nous agissons comme si (…) nous n’avions nul besoin de nous mettre en
ordre de bataille (entre Européens) pour projeter notre puissance de frappe
commerciale collective vers le reste de la planète, afin de ne pas nous faire
dévorer tout crus par Pékin et Washington. Bref on a tout faux… mais on fonce
dans le mur avec l’assurance d’un taureau au front court se précipitant sur une
muleta rouge pour finir lardé de banderilles meurtrières ». Fin de
citation. L’UE, ajoute-t-elle, « paralysée par ses propres réglementations
anachroniques, …, consent à son effacement de la carte des grands
ensembles ». Pour Caroline Galacteros, Macron a agi par peur des pressions
américaines, pour saisir une chance de plaire au « maître ».
Cette attitude ouvre bien entendu le
dossier, crucial et inquiétant, du « parti américain » au sein des
institutions eurocratiques qui, le 12 mars dernier, a encore voté une
résolution antirusse présentée par une parlementaire lettone, Sandra Kalniete,
dénonçant les présidentielles russes comme
« non-démocratiques » : elle a obtenu 402 voix pour, 163 voix
contre et 89 abstentions. Dans la plupart des cas, le parlement européen
répète, à la lettre près, les accusations formulées par des ONG américaines. De
même, quand l’Italie a formulé, pour la première fois, le désir de participer
aux synergies de la « route de la soie », la Commission de Juncker
lui a fait savoir que la Chine « est un rival qui promeut des modèles
alternatifs de gouvernance » ( !), alors que, justement, tous ont
besoin de gouvernance nouvelle ou rénovée, tant le « malgoverno » s’est
généralisé en Europe depuis près d’un demi-siècle ! Manlio Dinucci,
observateur des fluctuations géopolitiques dans le monde, dénonce dès lors
« l’influence qu’exerce le ‘parti américain’, puissant camp transversal
qui oriente les politiques de l’UE le long des lignes stratégiques
USA/OTAN », avec le risque, s’empresse-t-il d’ajouter, « d’accepter
très bientôt les missiles balistiques avec base à terre, soit de nouveaux euromissiles
qui feront, une fois encore, de l’Europe la base et, en même temps, la cible
d’une guerre nucléaire ». Nous revoilà revenu à l’année 1982 quand les
Etats-Unis, en pleine guerre froide, voulaient déployer leurs missiles Pershing
en Allemagne pour préparer l’Armageddon annoncé par Reagan, premier président
américain à avoir réintroduit le discours biblique et apocalyptique dans
l’exposition des buts de la politique internationale de Washington et à avoir
abandonné le « réalisme » cher à Kissinger.
C’est ce « parti américain »
que les formations politiques nouvelles, populistes de droite ou de gauche,
devront empêcher de nuire dans l’avenir pour que les générations qui nous
suivront puissent simplement survivre dans un monde de plus en plus
multipolaire et de moins en moins européen. On parle d’une internationale des
populistes en gestation, sans nécessairement s’entendre sur une définition
précise de ce qui est populiste et ne l’est pas. On sait depuis le début du 20ème
siècle que les partis se sclérosent, « s’oligarchisent », « se
bonzifient », pour reprendre la terminologie polémique d’un observateur
que l’on n’a cessé de citer depuis : Roberto Michels. La sclérose a
indubitablement frappé les trois principales formations qui structurent le
fonctionnement du parlement européen : les chrétiens-démocrates du PPE,
les sociaux-démocrates et les libéraux. Ces trois ensembles ont répété à
satiété la politique voulue et imposée par Washington, conduisant l’Europe dans
l’impasse où elle se trouve aujourd’hui. Toute formation réellement politique se
doit de dégager notre continent de cette cangue et de permettre son
désenclavement géopolitique. C’est donc en politique étrangère, comme on l’a vu
à Munich en février dernier, que ce dégagement et ce désenclavement devront
s’opérer en premier lieu.
Les chrétiens-démocrates de Merkel, et
leurs partenaires socialistes et libéraux, ont toujours joué la carte
atlantiste or cette option est désormais grosse de dangers réels pour notre
avenir, ceux qui nous précipiteront à coup sûr, s’ils ne sont pas conjurés dans
les plus brefs délais, dans une irrémédiable récession. L’idéologie que
véhiculent ces forces politiques du passé est une idéologie du sur place, de la
répétition ad nauseam du même et encore du même dans un monde qui change à une
vitesse désormais vertigineuse (celle de la 5G !). Cette idéologie de
l’indécision et du débat stérile, théorisée par Jürgen Habermas, pratiquée par
Verhofstadt et vulgarisée par Cohn-Bendit doit être balayée de nos horizons.
Mais tous les populistes qui ont émergé dans les contextes nationaux des pays
d’Europe, d’Ibérie aux rives de la Baltique, ont-ils conscience de ce double
enjeu ? Ont-ils tous la volonté de sortir de la cangue de
l’atlantisme ? Ont-ils tous viré leur cuti néolibérale ? Car, ne
l’oublions pas, la science politique qualifie de « populiste » tout
mouvement qui n’est pas strictement chrétien-démocrate, socialiste ou libéral,
à la rigueur écologiste, et qui sera, dès lors, disqualifié par les médias
dominants qui lui colleront l’étiquette de « populiste ». Or Podemos
en Espagne ou Syriza en Grèce voire Mélanchon en France sont aussi étiquetés
« populistes », tout en bénéficiant d’une certaine mansuétude de la
part des médiacrates et des intellocrates parce qu’ils sont des
« populistes de gauche », non hostiles à la vague migratoire donc peu
susceptibles de gagner des voix en suffisance et de défier effectivement les trois pôles politiques majeurs en place
dans les institutions eurocratiques. Seule
Sarah Wagenknecht avait des chances dans une fraction des gauches allemandes de
parfaire une politique populiste de gauche efficace mais elle a démissionné et
a quitté la scène politique. Macron, en se dégageant du parti socialiste de
Hollande et en n’empruntant pas la voie du sarkozisme, est considéré, lui aussi,
comme un « populiste », un « populiste néolibéral », un peu
comme Bolsanaro au Brésil mais en moins vigoureux, en moins machiste.
L’Internationale populiste, crainte par
les Merkel et les Macron de tous poils et acabits, verra le jour, c’est
certain, car il est très probable que onze ou douze nationalités participeront
à un groupe politique unique au parlement européen à la fin du mois de mai
2019. Mais cette nouvelle Internationale des nationaux sera-t-elle homogène sur
le plan de la politique internationale et sur le plan d’une géopolitique
européenne enfin ressuscitée ? Là est la question, l’épineuse, la
lancinante question qu’il faut se poser aujourd’hui, à la vieille du grand
scrutin. Agira-t-elle dans le sens des paroles fermes de Federica Mogherini à
Munich en février, lors de la 63ème Conférence sur la Sécurité en
Europe ? L’Internationale populiste, si elle est appelée à s’ancrer, à
partir de mai 2019, dans le quotidien du parlement européen et à constituer un
bloc antisystème au sein du système, doit être intransigeante sur la politique
énergétique européenne, qui doit demeurer totalement indépendante de toute
ingérence extra-européenne, doit être inflexible sur la politique iranienne de
l’UE, sur la politique russe de l’UE, sur les relations que l’Europe souhaitera
entretenir avec la Chine.
Tel est le programme, la ligne directrice
incontournable qu’il s’agira de suivre. C’est ce désenclavement politique,
géopolitique et idéologique auquel il faudra œuvrer sinon ce qui nous attend au
tournant, et très vite, c’est la mort, lente ou rapide, dans la récession
économique, dans l’implosion sociale et la submersion démographique.
Je vous remercie.
Bibliographie :
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va-t-elle s’effondrer ? », http://europesolidaire.eu
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« L’Allemagne remet Macron au pas », https://echelledejacob.blogspot.com
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Fulvio SCAGLIONE, « Grano :
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-
Roberto VIVALDELLI, « Cosi Trump ha ucciso l’alleanza
Transatlantica », https://www.ariannaeditrice.it (7 mars 2019).
Articles anonymes :
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« Wagenknecht
tritt kürzer : Keine Kandidatur mehr für Linken-Fraktionsvorsitz »,
ex: https://de.sott.net (11 mars 2019).
-
“US-Vizepräsident aus der Münchner SiKo: Washington
läuft weiter Sturm gegen “Nord Stream 2””, http://www.zuerst.de (18 février 2019).
-
“Une ‘Internationale
populiste’?”, http://www.dedefensa.org , repris sur http://euro-synergies.hautetfort.com (12 octobre
2018).
-
« Plus que
jamais, l’Iran entre USA et Europe », https://echelledejacob.blogspot.com
, repris sur http://euro-synergies.hautetfort.com
(28 février 2019).
-
« Lawrow auf der Münchner SiKo : Die EU
leidet unter realem Bedeutungsverlust », http://zuerst.de (18 février 2019).
-
“Ischinger auf der 63. Sicherheitskonferenz: Völkerrecht
aushöhlen – mehr Interventionsmöglichkeiten schaffen”, http://zuerst.de (16 février 2019).
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