Recension par Georges Feltin-Tracol:
Robert Steuckers poursuit la parution
à un rythme soutenu de ses différents travaux. Avec ce nouveau recueil, il
revisite un monument de la pensée politico-philosophique du XXe
siècle : Carl Schmitt. En germaniste accompli, il réfléchit aux concepts les
plus novateurs tels que l’Ernstfall (l’« état d’exception ») et
s’intéresse à des influences majeures nommées Clausewitz, le sociologue Gustav
Ratzenhofer (1842 – 1904) ou le « jeune-conservateur » Hans Freyer (1887 –
1969) pour qui « le “ peuple ” [...] est, grâce à sa mémoire historique, le
dépositaire de la virtù, c’est-à-dire de la “ force créatrice d’histoire
” (p. 161) ». Il en évoque la postérité intellectuelle et cerne, en
particulier, celle de Bernard Willms (1931 – 1991). Inconnu en France, ce
spécialiste de Hobbes publie en 1982 dans le contexte de la crise des
euromissiles et de la vague pacifiste outre-Rhin La Nation allemande. Théorie,
Situation, Avenir qu’on pourrait considérer comme une approche « souverainiste » avant
l’heure. En effet, pour Willms, « l’idée de nation, écrit Robert Steuckers,
n’est […] pas une valeur, qui pourrait être contestée comme toutes les valeurs,
mais un fait objectif que l’on ne contourne pas, un destin (Schicksal)
(p. 200) ». En penseur d’Empire, Robert Steuckers en profite pour avancer que «
le nationalisme français ne s’adresse plus à la seule nation française mais
veut planétariser les idéaux des Lumières (p. 200) ».
Il rend un hommage vibrant au
professeur Piet Tommissen (1925 – 2011) et donne un riche panorama de l’immense
œuvre schmittienne. Ainsi traite-t-il de la « pyropolitique » qui s’affranchit
de l’« hydropolitique ». « Dès le moment historique où il n’y a plus aucun
territoire vierge à conquérir et à organiser sur la planète […], à la mode
tellurique/continentale des géomètres romains, la “ Terre ”, en tant qu’élément
structurant du véritable politique, cède graduellement sa place prépondérante,
non seulement à l’Eau mais aussi au Feu. L’Eau est l’élément qui symbolise par
excellence le libéralisme marchand des thalassocraties, des sociétés
manchestériennes, des ploutocraties : voilà pourquoi un monde dominé par
l’élément Eau refuse de reconnaître limites et frontières, les harmonies
paisiblement soustraites à toute fébrilité permanente (p. 240). »
Hostile au « Nouvel Ordre mondial »
étatsunien, Carl Schmitt soutient très tôt le « Grand Espace » au nom du renouveau
de l’Europe. Il réclame «une “ doctrine de Monroe ” européenne, une doctrine qui, en politique
internationale, puisse regrouper les peuples par affinités culturelles en zones
semi-autarciques autocentrées, gouvernées par une conception de l’économie
politique non libérale, une conception de l’économie qui rejette le
libre-échangisme et l’interdépendance économique mondialiste (p. 25) ».
Carl Schmitt, et à sa suite Robert
Steuckers, ont bien imaginé dès la première moitié des années 1980
l’indispensable concept de démondialisation.
Georges Feltin-Tracol
• Recension parue dans « Livres au
crible » dans Synthèse nationale, n° 53, printemps 2020.
Pour commander l'ouvrage: http://www.ladiffusiondulore.fr/home/693-sur-et-autour-de-carl-schmitt-un-monument-revisite.html
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