Peut-on définir
une géopolitique du coronavirus ?
Par Robert Steuckers
Première
remarque : rien n’est clair dans les discours médiatiques, majoritairement
téléguidés depuis les officines américaines. Les contradictions se succèdent et
se superposent : ce virus est-il naturel (une variante plus pernicieuse de
la grippe saisonnière) ou s’est-il échappé volontairement ou involontairement
d’un laboratoire chinois ? La pratique du confinement est-elle utile ou
totalement inutile comme semble le prouver l’expérience suédoise ? Sur
cette pandémie, d’autres projets semblent se greffer : celui de pouvoir à
terme contrôler davantage les masses humaines agglutinées dans les grandes
mégapoles ; celui d’une vaccination planétaire qui profiterait largement aux
instances de la « Big Pharma », hypothèse apparemment confirmée par
les déclarations antérieures et actuelles de Bill Gates ; une telle
vaccination généralisée permettrait en outre de faire main basse sur les fonds
accumulés par les politiques sociales, socialistes et keynésiennes, des pays
industrialisés d’Europe. Par ailleurs, l’impréparation des Etats et les
cafouillages dans les commandes et distributions de masques sanitaires, la
querelle sur les médicaments en France avec comme principal protagoniste le Dr.
Didier Raoult préconisant un traitement simple à la chloroquine, la très
récente hypothèse contestant la validité des traitements choisis pour enrayer
la maladie, l’abus fatal dans la distribution de Rivotril dans les maisons de
soins et de retraite, plaident en faveur de l’hypothèse (complotiste ?) d’une
mise en scène planétaire, visant à créer et à amplifier la panique : dans
ce sens, le système politico-médiatique, dominé et stipendié par la haute
finance, les lobbies pharmaceutiques et les GAFA, jouerait bien son rôle dans le scénario qui
lui aurait été dicté, celui de préparer les masses à accepter vaccins,
confinement et autres mesures policières inouïes et inédites, même dans les
régimes considérés comme les plus répressifs. La chaîne de télévision française
LCI vient pourtant de révéler que les taux élevés de létalité et de
contagiosité du virus ont été considérablement exagérés suite aux discours
alarmistes et apocalyptiques des représentants de l’OMS. Le confinement, contre
lequel les opinions publiques allemande et néerlandaise se rebiffent avec
véhémence, a donc été totalement inutile ou prétexte à mettre au point des
techniques de contrôle policier inédites, imitées de celles en place dans les
futures (mais très prochaines) « smart cities » chinoises, parmi
lesquels on citera surtout les techniques de reconnaissance faciale. Quelles
que soient les hypothèses qui l’on peut formuler sur les effets, réels ou
fabriqués, de la pandémie actuelle, force est d’admettre que les
bouleversements en cours sur l’échiquier politique international, surtout
eurasien, ne seront nullement stoppés par la pandémie : bien au contraire,
les officines des stratégistes préparent activement le monde qui suivra la
crise du virus. Cette pandémie permet à
l’évidence de camoufler un ensemble de glissements bénéfiques à l’hegemon, en
dépit des faiblesses que celui-ci semble montrer, dans son recul industriel,
dans la déliquescence de sa société ou dans les défaillances de son système de
santé. La vigilance de tous ceux qui souhaitent voir reculer l’emprise souvent
étouffante de cet hegemon est donc de mise.
D’abord, la zone
des turbulences conflictuelles majeures semble glisser des complexes
ukraino-syrien et irakien vers la Mer de Chine du Sud. L’ennemi principal de
l’hegemon semble devenir la Chine, très clairement, alors que depuis 1972, la
Chine avait d’abord été l’allié de revers contre l’URSS, avant de devenir un
partenaire économique majeur permettant de mettre en oeuvre la pratique
néolibérale de la délocalisation vers les zones asiatiques à main-d’œuvre bon
marché. La Chine, dans le complexe que certains géopolitologues nommaient la
« Chinamérique », était l’atelier de l’économie réelle, productrice
de biens concrets, tandis que l’hegemon se réservait les services et pratiquait
désormais une économie virtuelle et spéculatrice, qu’il entendait décrire comme
entièrement suffisante alors que la crise actuelle démontre ses insuffisances criantes :
l’on ne peut pas se passer de l’économie réelle assortie d’une bonne dose
« politique » de planification ou de régulation. Les puissances
moyennes d’Europe, inféodées à l’américanosphère, ont imité cette funeste pratique
inaugurée par l’hegemon dès le moment où la Chine, bien que
« communiste » sur le plan idéologique, était devenue son alliée de
revers contre la Russie soviétique. Dans ce contexte, l’Europe a
progressivement abandonné ses pratiques planistes ou ce que Michel Albert avait
appelé le « capitalisme (patrimonial) rhénan » : c’est
l’Allemagne qui s’auto-déconstruit, décrite par Thilo Sarrazin, ou la France
qui se suicide, explicitée par Eric Zemmour. La crise du coronavirus a prouvé
notamment que la France, et même l’Allemagne, ne produisaient plus de petits
biens de consommation élémentaires en quantités suffisantes, comme les masques
sanitaires, désormais manufacturés dans les pays à main d’œuvre meilleur
marché. Toutes les erreurs du néolibéralisme délocalisateur sont apparues au
grand jour, sur fond de crise économique larvée depuis l’automne 2008.
La Chine a
accumulé une masse colossale de devises après avoir accepté ce rôle d’atelier
planétaire. L’atelier planétaire devait cependant sécuriser les voies de
communication maritimes et terrestres pour acheminer ces produits finis vers
leurs lieux de destination, en Europe comme en Afrique ou en Amérique du Sud.
Quand la Chine était un allié de revers de l’américanosphère au temps de la
guerre froide, et même pendant une ou deux décennies après la fin de ce conflit
virtuel, elle n’avait aucune vocation maritime et ses tâches
continentales/telluriques se limitaient à consolider ses franges frontalières
en Mandchourie, sa frontière avec la Mongolie extérieure et la zone de
l’ex-Turkestan chinois, qui avait été sous influence soviétique au temps de la
grande misère chinoise. Cette zone, jadis convoitée par Staline, est le
Sin-Kiang actuel, peuplé d’une minorité autochtone ouïghour. La Chine pratiquait ainsi une politique de
« containment », d’endiguement, qui servait aussi (et surtout) les
intérêts des Etats-Unis. Une paix tacite s’était alors installée sur le front
maritime taïwanais et les deux Chines envisageaient même une réconciliation lato sensu, pouvant peut-être mener à
une réunification rapide, semblable à la réunification allemande. Le Parti
communiste chinois et le Kuo-Min Tang taïwanais auraient pu aplanir leurs
différends au nom d’une idéologique planiste et productiviste efficace.
La nécessité impérieuse
de sécuriser les voies maritimes au large des littoraux chinois eux-mêmes, dans
l’ensemble de la Mer de Chine du Sud et jusqu’au goulot d’étranglement qu’est
Singapour, a changé progressivement la donne. Les nouvelles menées chinoises en
Mer de Chine du Sud impliquaient, à une étape ultérieure et tout-à-fait
prévisible, de se projeter très loin au-delà de Singapour vers l’Inde (qui,
elle, visait à asseoir sa souveraineté sur des portions de plus en plus vastes
de l’Océan Indien) puis vers la péninsule arabique et la Mer Rouge pour arriver
jusqu’en Méditerranée : bref, une réactualisation de la politique de l’Empereur
Ming qui avait d’abord soutenu les expéditions de l’Amiral Zheng He au 15ème
siècle avant de cesser tout appui à cette politique océanique pour se
concentrer sur la rentabilisation hydraulique, très coûteuse, de la Chine
continentale. Xi Jiping, explique le grand géopolitologue sinophile et
eurasiste Pepe Escobar, dans un article récent, ne semble pas vouloir répéter
l’erreur strictement continentaliste pour laquelle l’Empereur Yong Le avait
fini par opter.
En effet, le
projet gigantesque de la Chine actuelle est de créer sur la grande masse
continentale eurasiatique, de nouvelles routes de la soie terrestres et,
simultanément, d’ouvrir des voies maritimes vers l’Océan Indien, la Mer Rouge
et la Méditerranée, en tablant sur un lien terrestre partant de Chine
continentale vers le port pakistanais de Gwadar, puis d’ouvrir, avec le
concours de la Russie, une seconde route de la soie maritime à travers
l’Arctique en direction de Hambourg, Rotterdam et Anvers. Ce projet colossal et
eurasien constitue un défi majeur à l’hegemon qui entend poursuivre la
politique exclusivement thalassocratique et endiguante de feu l’Empire
britannique et, partant, de saboter toutes les initiatives visant à développer
les communications terrestres, par voies ferrées (comme le Transsibérien de
1904) ou par voies fluviales, qui pourraient relativiser ou minimiser
l’importance des communications océaniques (les « Highways of
Empire »). Les Chinois se montrent davantage disciples de Friedrich List,
économiste du développement, que de Karl Marx. List était d’ailleurs l’un des
grands inspirateurs de Sun Ya Tsen, dont l’objectif était de sortir la Chine du
« siècle de la honte ». Les Etats-Unis, pour contrer ce projet de
grande envergure, suggèrent déjà une alternative, également « listienne »,
en pleine crise du coronavirus : bloquer la Chine devant Singapour et
suggérer à la Russie l’exploitation des voies terrestres et ferroviaires de
Sibérie, voire la route de l’Arctique, qui seraient à coupler, via la
construction d’un pont sur le Détroit de Bering, à des voies similaires sur le
continent nord-américain. Ce qui permettrait de contrôler aussi l’espace
désigné comme le « Greater Middle East », englobant des républiques
musulmanes ex-soviétiques et placé sous le commandement stratégique de l’USCENTCOM,
toujours appuyé efficacement par la possession de la petite île de Diego
Garcia, porte-avion insubmersible au beau milieu de l’Océan Indien. Sans plus
aucune projection valide vers la Méditerranée et l’Asie centrale, la Russie ne
conserverait que son rôle de « pont » entre l’Europe, la Chine, dont
la seule politique maritime tolérée serait alors limitée à la seule Mer de
Chine du Sud, d’une part, et le Continent nord-américain, d’autre part. Le plan
final de la nouvelle politique du Deep
State serait alors : de contenir les velléités maritimes de la Chine,
d’englober la Russie dans un projet sibérien/arctique où la Chine n’interviendrait
plus, contrôler le Greater Middle East,
sans que ni la Chine ni la Russie ne puissent en rien contrôler cet espace et
ce marché.
L’irruption
soudaine du coronavirus et la culpabilité de la pandémie, que les caucus du Deep State attribuent à la Chine et au
laboratoire de Wuhan pour les besoins de la propagande, permet de déployer
toutes les stratégies et tactiques pour endiguer la Chine dans les eaux du
Pacifique et à ne lui laisser le contrôle direct que des eaux à proximité de
son littoral, sans qu’il ne lui soit permis, bien sûr, de satelliser les
Philippines et avec, en plus, un Vietnam consolidé par des aides américaines,
comme menace permanente sur son flanc sud. Le site « Asia Times »,
basé en Thaïlande, rappelait, ces jours-ci, que l’Etat islamique marquait des
points aux Philippines, au grand dam du président philippin Rodrigo Duterte,
fâché avec l’hegemon et partisan d’un rapprochement avec la Chine : bref,
le scénario habituel…
Pepe Escobar
esquisse les grandes lignes des deux premières sessions du 13ème
Congrès national du peuple, dont la troisième session devait se tenir le 5 mars
2020 mais a été postposée à cause de la crise du coronavirus. On peut d’ores et
déjà imaginer que la Chine acceptera la légère récession dont elle sera la
victime et fera connaître les mesures d’austérité qu’elle sera appelée à
prendre. Pour Escobar, les conclusions de ce 13ème Congrès
apporteront une réponse aux plans concoctés par les Etats-Unis et couchés sur
le papier par le Lieutenant-Général H. R. McMaster. Ce militaire du Pentagone
décrit une Chine constituant trois menaces pour le « monde libre »
avec : 1) Le programme « Made in China 2025 » visant le
développement des nouvelles technologies, notamment autour de la firme Huawei
et du développement de la 5G, indispensable pour créer les « smart
cities » de l’avenir et où la Chine, en toute apparence, s’est dotée d’une
bonne longueur d’avance ; 2) avec le programme des « routes de la
soie », par lequel les Chinois se créent une clientèle d’Etats, dont le
Pakistan, et réorganisent la masse continentale eurasienne ; 3) avec la
fusion « militaire/civile », coagulation des idées de Clausewitz et
de List, où, via la téléphonie mobile, la Chine s’avèrera capable de développer
de larges réseaux d’espionnage et des capacités de cyber-attaques.
Début mai
2020, Washington refuse de livrer des composantes à Huawei ; la Chine
rétorque en plaçant Apple, Qualcomm et Cisco sur une « liste d’entreprises
non fiables » et menace de ne plus acheter d’avions civils de fabrication
américaine. Le tout, et Escobar n’en parle pas dans son article récent, dans un
contexte où la Chine dispose de 95% des réserves de terres rares. Ces réserves
lui ont permis, jusqu’ici, de marquer des points dans le développement des
nouvelles technologies, dont la 5G et la téléphonie mobile, objets du principal
ressentiment américain à l’égard de Pékin. Pour affronter l’avance chinoise en
ce domaine, l’hegemon doit trouver d’autres sources d’approvisionnement en
terres rares : d’où la proposition indirecte de Trump d’acheter le
Groenland au royaume de Danemark, formulée l’automne dernier et reformulée en
pleine crise du coronavirus. La Chine est présente dans l’Arctique, sous le
couvert d’une série de sociétés d’exploitation minière dans une zone hautement
stratégique : le passage dit « GIUK » (Greenland-Iceland-United
Kingdom) a été d’une extrême importance pendant la seconde guerre mondiale et
pendant la guerre froide. L’ensemble de l’espace arctique le redevient, et de
manière accrue, vu les ressources qu’il recèle, dont les terres rares que
cherchent à s’approprier les Etats-Unis, et vu le passage arctique, libéré des
glaces par les brise-glaces russes à propulsion nucléaire, qui deviendra une
route plus courte et plus sécurisée entre l’Europe et l’Extrême-Orient, entre
le complexe portuaire Anvers/Amsterdam/Hambourg et les ports chinois, japonais
et coréens. L’hegemon a donc un double intérêt dans ses projets groenlandais
qu’il est en train d’articuler : s’installer et profiter des atouts
géologiques du Groenland, saboter l’exploitation de la route arctique. La crise
du coronavirus cache cette problématique géopolitique et géoéconomique qui
concerne l’Europe au tout premier plan !
Revenons au 13ème
Congrès national du Peuple de mai 2020 : il prévoit en priorité le
développement des régions occidentales (Sinkiang et Tibet), un renforcement des
liens avec les républiques ex-soviétiques qui ont une frontière avec ces
régions, et, entre autres choses, la construction de ports en eaux profondes,
une politique écologique accentuée basée sur le « charbon propre ». Le
problème est que l’initiative des routes de la soie (« Belt & Road
Initiative ») arrive en queue des priorités nouvelles, ce qui constitue en
soi un recul navrant.
L’hegemon semble
lâcher quelque peu la pression en Ukraine, en Syrie et en Irak mais l’Iran
demeure un ennemi à éliminer ou, du moins, à faire imploser à coups de
sanctions. La rigueur des mesures répressives de l’hegemon s’amplifie pendant
que les Européens se focalisent sur les effets du Covid-19, alors qu’ils
avaient réclamé récemment un relâchement des sanctions et inventé une ruse pour
contourner l’embargo américain qui ne va pas du tout dans le sens de leurs
intérêts commerciaux et géopolitiques. L’Iran reste une cible majeure, en dépit
de la centralité de son territoire dans la zone dévolue à l’USCENTCOM ou
« Greater Middle East » : pour contrôler cet espace, qui fut
jadis celui de la « civilisation iranienne », Washington cherche à en
faire imploser le centre.
La raison de ce tenace ostracisme anti-iranien, particulièrement
agressif, tient à deux raisons essentielles : l’une relève d’une stratégie
très ancienne, l’autre est déterminée par l’existence même de la plus-value
pétrolière que l’Iran peut utiliser pour asseoir une hégémonie régionale et
limitée. La stratégie très ancienne, articulée aujourd’hui par les Etats-Unis,
vise à interdire à toute puissance s’exerçant au départ du territoire de
l’Empire parthe antique de déboucher sur la côte orientale de la Méditerranée.
Les Etats-Unis, en effet, se posent, avec l’historien-géopolitologue Edward
Luttwak comme les héritiers des empires romains, byzantins et ottomans au
Levant et en Mésopotamie. La politique romaine, depuis Trajan jusqu’à
l’effondrement des Byzantins dans la région suite aux coups des armées
musulmanes, après la mort du Prophète, était de maintenir les Perses éloignés
de la Méditerranée et de la Mésopotamie. La crise du coronavirus permet, à
l’abri des feux de rampe médiatiques, de diaboliser davantage encore le
Hizbollah au Liban, ce parti chiite étant une antenne iranienne sur les rivages
de la Méditerranée orientale alors qu’il est aussi un rempart solide contre
l’ennemi islamiste-sunnite officiel (mais qui est un allié réel), représenté
par l’EIIL, et de permettre à Netanyahu et à son nouveau gouvernement composite
et hétéroclite d’annexer la Cisjordanie, en réduisant quasiment à néant les reliquae reliquarum laissés à l’autorité
palestinienne, désormais affaiblie et décrédibilisée.
Avec pour arrière-plan le
chaos indescriptible qui persiste entre la Syrie et l’Irak, l’hegemon consolide
l’Etat sioniste, en fait qualifiable de « judéo-hérodien » dans le
sens ou les rois Hérode étaient des pions des Romains, pour faire de la
Judée-Palestine une barrière infranchissable contre toute pénétration perse. L’Europe,
obnubilée par l’invisible et peut-être fictif coronavirus, n’observe que d’un
œil très discret cette mutation problématique à l’œuvre dans la Méditerranée
orientale. L’autre pion de Washington dans la région est l’Arabie Saoudite,
dont la politique a été quelque peu bousculée au cours de ces derniers mois,
sans que l’on puisse dire que la donne créée sur le pont du bâtiment USS Quincy
en 1945 par le Roi Ibn Séoud et le Président Roosevelt ait été fondamentalement
altérée, comme le montre très bien l’appui occidental à la politique belliciste
et génocidaire que pratiquent les Saoudiens au Yémen, où interviennent des
mercenaires colombiens et érythréens, en plein crise du coronavirus : dans
cette région hautement stratégique, l’hegemon et ses alliés avancent des pions
tandis que les médias occupent les opinions publiques de l’américanosphère avec
les histoires effrayantes d’un coronavirus qui ne disparaîtrait pas avec les
chaleurs estivales et reviendrait à la charge dès les premiers frimas de
l’automne. L’écrivain palestinien Said K. Aburish a rappelé, dans des ouvrages qui
ne sont pratiquement jamais cités dans les polémiques tournant autour du
conflit israélo-palestinien, le rôle toujours pro-occidental des Saoudiens,
alliés tacites du projet sioniste depuis la première guerre mondiale, projet
imaginé par ce bibliste protestant que fut Sykes.
La plus-value que
peut constituer le pétrole iranien pour la République islamique, comme elle
l’était jadis pour le Shah, pourrait servir un pôle économique euro-iranien,
sans aucunement léser la Russie, ce que n’a jamais admis l’hegemon, qui
souhaite ne voir aucune intervention (pacifique) européenne ou russe ou même
indienne et chinoise dans ce cœur territorial du « Greater Middle
East » qu’il se réserve en toute exclusivité pour un coup de poker
prochain, afin d’en faire un territoire à « économie pénétrée » avec
une démographie plus exponentielle que dans le reste du monde (bien que l’Iran
connaisse une certaine stagnation des naissances). Le « Greater Middle
East » est non seulement une réserve d’hydrocarbures mais un espace où
subsistent les gigantesques cotonnades de l’ex-URSS, qui intéressent
l’industrie textile américaine.
Trump -en dépit des promesses électorales et des
espoirs qu’il avait suscités chez des millions de naïfs, qui croyaient qu’il
allait vaincre tout seul le Deep State
totalement formaté par les cénacles « néocons »- n’a pas empêché le recrutement de néocons
d’une génération nouvelle dans les arcanes de son gouvernement et au sein du
ministère américain des affaires étrangères : ainsi, pour le Moyen Orient,
Simone Ledeen, fille du néo-conservateur musclé Michael Ledeen, donnera dans
l’avenir les contours de la politique américaine dans cette région de grandes
turbulences. Elle est l’auteur, avec son père, d’un ouvrage intitulé How We Can Win the Global War, où
l’Amérique est campée comme un empire du Bien, débonnaire mais assiégé par un
certain nombre d’ennemis pernicieux dont l’Iran serait le principal instigateur,
le centre du complot anti-américain dans le monde. Cette nouvelle promotion
d’une dame néo-conservatrice de la plus pure eau, en place dans les rouages de
la politique étrangère néo-conservatrice depuis 2003, s’est effectuée pendant
la période de la crise du coronavirus.
Enfin, la crise
planétaire du coronavirus camoufle les manœuvres actuelles de l’hegemon dans
son propre hémisphère, cherchant à ruiner la dimension quadricontinentale
qu’auraient pu revêtir les BRICS quand le Brésil en faisait partie et quand
l’Argentine s’en rapprochait. Aujourd’hui, en pleine crise du Covid-19, les
Etats-Unis démultiplient les pressions contre le Venezuela, s’agitent dans les
Caraïbes où ils déploient leur flotte, s’insurgent contre l’escorte des
pétroliers iraniens par la marine de la RII, alors que rien, en droit
international, ne pourrait incriminer les relations commerciales bilatérales
entre deux pays boycottés par les Etats-Unis et, à leur suite, par l’ensemble
de américano sphère. Au même moment, Trump, que l’on a élu pour contrer les
menées du Deep State mais qui les
favorise désormais d’une manière qui est la sienne propre, déclare se retirer
du Traité « Ciel Ouvert »/ »Open Skies », qui permettait
aux signataires de surveiller leurs mouvements militaires réciproques, dans un
souci de transparence et de pacification. Avec le retrait américain du traité
sur le programme nucléaire iranien, nous avons les prémisses d’une nouvelle
guerre froide, prémisses que déplore la Russie mais qui, en Europe occidentale,
sont délibérément effacées des préoccupations des masses, affolées par la
progression, réelle ou imaginaire, du coronavirus, collées à leurs écrans pour
comptabiliser les morts, préoccupées par l’achat de masques ou de gels
hydro-alcooliques ou espérant le lancement d’un vaccin sur le marché
pharmaceutique. Pendant ces agitations prosaïques, générées par le soft power et les techniques de la
guerre de quatrième dimension, les pions américains de la nouvelle guerre
froide sont avancés, ancrés dans le réel stratégique.
La crise n’a donc
nullement gelé les dynamiques de la géopolitique mondiale, elle les a
camouflées aux regards des masses ; elle a permis d’inonder les médias de
nouvelles alarmantes plus ou moins artificielles, tandis que les protagonistes
de la « grande politique » fourbissaient leurs arsenaux et mettaient
au point les stratégies à appliquer dès la troisième décennie du 21ème
siècle.
Robert Steuckers.
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